Entrée en matière La nature, demeure éthique? - article ; n°1 ; vol.271, pg 9-20
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Description

Économie rurale - Année 2002 - Volume 271 - Numéro 1 - Pages 9-20
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 19
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Rémi Brague
Entrée en matière La nature, demeure éthique?
In: Économie rurale. N°271, 2002. pp. 9-20.
Citer ce document / Cite this document :
Brague Rémi. Entrée en matière La nature, demeure éthique?. In: Économie rurale. N°271, 2002. pp. 9-20.
doi : 10.3406/ecoru.2002.5337
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ecoru_0013-0559_2002_num_271_1_5337Entrée en matière
La nature, demeure éthique?
Professeur RémiBRAGUE de philosophie à l'Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne et à l'Université de Munich
Lorsque l'on se pose la question du rapport entre la nature et l'éthique, que ce soit
l'économiste en tant que spécialiste ou moi comme citoyen lambda, on se demande
dans quelle mesure la nature doit être l'objet de notre préoccupation éthique. Avons-
nous le droit de faire n'importe quoi sur elle, de lui faire subir n'importe quoi ?
nous le droit de nous servir d'elle pour faire n'importe quoi, disons à notre prochain ?
Bref, la nature apparaît toujours dans cette optique comme le point d'application, le
domaine d'application au moins de l'éthique. Or, selon une vision du monde que je vais
essayer de retracer, la nature a été, non pas l'objet d'une éthique, mais la source d'une
éthique. La question n'était pas: «Comment pouvons-nous appliquer notre souci éthi
que à la nature?». Ce pas une question d'application de l'éthique à la nature; la
question était plutôt de savoir comment nous inspirer de la nature pour
en tirer une éthique?
Si on a pu tirer de la nature des principes éthiques, c'est parce que l'on considérait que
la nature était bonne. Se demander si la nature est bonne ou mauvaise, c'est à peu près
aussi intelligent que de si un quatuor à cordes est jaune ou bleu ! J'essaierai
de montrer cependant que, selon un certain modèle de représentation du monde, cette
question de savoir si la nature est bonne avait non seulement un sens, mais elle était ce
qu'il y a de suprêmement bon ou, en tout cas, ce qui nous permet de connaître le mieux
ce qu'il y a de véritablement bon. Pour nos contemporains, la nature peut être à la
rigueur belle mais nous n'aurions jamais l'idée de dire que la nature est bonne au sens
où elle serait vertueuse et bienveillante. Il s'agirait de termes parfaitement absurdes.
Cela dit, le modèle que je tenterai de reconstituer ici a, d'une part, résisté pendant deux
millénaires; il constitue, d'autre part, l'arrière-plan par rapport auquel nous compre
nons spontanément notre rapport à nous, hommes modernes, avec la nature.
De ce modèle, nous en sommes sortis, une sortie sans retour: la porte est claquée
derrière nous. Nous en sortis dans les deux sens du mot: c'est notre origine;
c'est ce que nous avons quitté. Et ce que nous avons quitté continue d'une certaine
manière à nous marquer, même si cela n'est que de manière purement négative. Ce
modèle, c'est ce que j'appelle «La sagesse du monde»11 c'est-à-dire le monde considéré
1. Brague R. La Sagesse du monde. Histoire de l'expérience humaine de l'univers. Fayard, Paris, 1999.
Réédition coll. Biblio-essais, «Le Livre de poche».
Économie Rurale 271/Septembre-octobre 2002 S} ~ pendant source de deux décisions millénaires et d'agir comme moraux. étant sage et source de sagesse, autrement dit une
Une telle idée - selon laquelle le monde peut nous apprendre à être sage, à être plus
véritablement homme, plus véritablement humain que nous ne le serions sans lui - n'a
pas toujours existé. Elle est le produit de circonstances de l'histoire des idées que je vais
tenter maintenant de résumer.
La nature, instance éthique: une vieille histoire
L'idée d'un rapport entre l'éthique et le cosmologique n'est pas une idée qui a toujours
existé. L'histoire se définissant à partir de l'invention de l'écriture, reportons-nous un
instant vers les cultures de l'ancien Orient, de l'Egypte et de la Mésopotamie, c'est-à-dire
les plus anciennes dont nous ayons conservé des traces écrites. Nous trouvons dans ces
cultures des doctrines de sagesse en abondance - il s'agit d'ailleurs de tout un genre
littéraire - mais cette sagesse n'a pas de dimension cosmique. Le monde n'est pas un
modèle de sagesse, il fait partie d'un tout à l'intérieur duquel se situe la pratique
humaine, pratique humaine qui interagit avec le monde. C'est de la juste manière de se
comporter de l'homme que dépend aussi l'ordre du monde. Si le Pharaon, par impossib
le, cessait d'accomplir la justice et de se laisser inspirer par la déesse de la sagesse qui
l'accompagne constamment; si par impossible cela se passait, le monde en subirait les
conséquences impitoyables. Le soleil cesserait de se lever, il cesserait de naviguer de
l'Orient à l'Occident sur sa barque et la folie des hommes aurait pour conséquence un
dérèglement cosmique. Il n'y a donc pas de sagesse du monde selon cette optique mais
plutôt une sagesse humaine qui s'imbrique, s'implique dans le cosmique et tel que celui-
ci en tire les conséquences positives dans la plupart des cas. Dieu merci... enfin Pharaon
merci également!
C'est avec la Grèce qu'apparaît une nouvelle idée qui constituera la condition de base
de tout ce qui va se passer. Et d'ailleurs de tout ce qui continue à se passer, puisque nous
continuons à vivre de cette idée. Il s'agit de l'idée de nature qui a donc 2 500 ans
d'histoire. Fait remarquable: cette idée divise en deux parties égales l'histoire de la
pensée humaine. En effet, si l'on fait commencer l'histoire de la pensée humaine par
définition avec l'histoire, c'est-à-dire avec l'écriture, nous avons donc 5 000 ans d'histoi
re derrière nous. Et c'est vers 500 avant Jésus-Christ qu'apparaît l'idée de nature, cela
étant précisé seulement pour la situer et sans vouloir en tirer une quelconque consé
quence. C'est à partir de la naissance de l'idée de la nature et jusqu'à l'aube des temps
modernes que se situent les deux millénaires de «sagesse du monde» dont je vais
maintenant évoquer les grands traits.
La sagesse du monde
Cette idée de nature se définit comme l'ensemble des choses sur lesquelles l'action
humaine n'a pas de prise. L'action humaine peut fabriquer des objets, comme l'artisan
qui fabrique un meuble; elle peut également exercer une action qui ne fabrique pas
d'objets, comme dans l'action politique. Et puis, surplombant tout cela, il existe des
choses sur lesquelles nous n'avons pas de prise. Les arbres poussent, le soleil se lève, la
pluie tombe: nous n'avons pas d'intervention directe, ou même indirecte, sur ce genre
de phénomènes. Tout ce que nous pouvons faire c'est regarder les choses se passer. Les
Grecs avaient un mot pour cela, theoria, dont nous avons fait le mot théorie : on regarde
simplement les choses mais on ne peut pas intervenir sur ce qui se passe. On peut situer
la naissance de cette idée de nature - comme étant ce qui ne dépend de rien, ce qui
"f 0 Économie Rurale 271 /Septembre-octobre 2002 en soi, ce qui se suffit à soi-même pour exister - à un célèbre fragment d'Heracrepose
lite. Celui-ci explique que la totalité des choses, toutes ces choses que nous voyons, n'a
été faite ni par un dieu, ni par un homme, mais par un feu éternel qui ne cesse de se
rallumer et de s'éteindre spontanément. Ce n'est ni par un dieu - cela on pourrait peut-
être l'imaginer- ni par un homme: personne n'a jamais pensé que la totalité des choses
avait été créée par un homme, si ce n'est peut-être justement, selon cette idée archaï
que évoquée précédemment, et selon laquelle l'ordre du monde dépend de la pratique
humaine. Cet ensemble de choses porte depuis à peu près la même date - à un siècle
près - un nom qui nous est encore familier et qui est celui de cosmos. Nom qui ne
désignait pas à l'époque l'univers mais qui recouvrait une image très concrète, l'image
d'un ordre qui serait en même temps créateur de beauté. Par exemple la coiffure d'une
dame bien soignée et dans laquelle les boucles des cheveux, les bijoux, les diadèmes
forment un ensemble 

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