Entretien avec Michel Rocard - article ; n°2 ; vol.1, pg 2-15
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Description

Revue française d'économie - Année 1986 - Volume 1 - Numéro 2 - Pages 2-15
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 7
Langue Français

Extrait

Entretien avec Michel Rocard
In: Revue française d'économie. Volume 1 N°2, 1986. pp. 2-15.
Citer ce document / Cite this document :
Entretien avec Michel Rocard. In: Revue française d'économie. Volume 1 N°2, 1986. pp. 2-15.
doi : 10.3406/rfeco.1986.1115
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfeco_0769-0479_1986_num_1_2_1115Michel
ROCARD
Entretien
nous souhaiterions débattre de vos conceptions lonsieur générales le en Ministre, écono
mie et notamment de celles qui fondent vos recommandations de pol
itique économique. Que pensez-vous en premier lieu de la réémergence
d'une orthodoxie monétaire et financière à laquelle les gouvernements
européens semblent s'être convertis ?
Michel Rocard : La théorie économique est à la fois un élé- Michel Rocard 3
ment du pouvoir — elle traite d'une de ses fonctions principal
es — et un enjeu conflictuel. Dès lors, il est naturel que cer
tains protagonistes aient cherché à camper sur une position
de force par l'élaboration d'une orthodoxie économique.
Devant les résultats inégaux de la mise en œuvre de
cette orthodoxie, la question aujourd'hui est de savoir si un
autre corps de pensée ayant lui aussi sa cohérence est envisa
geable, ou si l'on se contente d'une critique partielle. Remar
quez que la question s'est posée en des termes comparables
dans les années trente. Après avoir commencé par une crit
ique interne de la théorie classique, Keynes, faisant sauter ses
principaux maillons, fonda un autre système. La dernière bio
graphie intellectuelle qui lui est consacrée éclaire bien ce pas
sage de l'hétérodoxie au changement de système1.
Je ne crois pas, hélas, que nous soyons actuellement
aussi avancés dans la fondation d'une pensée économique
capable de rendre compte des réalités de cette fin de siècle —
et d'en résoudre les difficultés — que ne l'était Keynes en
1930. Cependant, on peut observer des progrès très sensibles
dans l'ordre de la micro-économie : l'attention portée par cer
tains responsables — notamment dans l'entreprise — aux
questions d'organisation du travail, de formation et d'adapta
tion technique, témoigne d'une évolution prometteuse. Et,
après tout, Roosevelt a eu quatre ans d'avance sur Keynes !
L'intervention politique pragmatique et «hétérodoxe» est
intervenue quatre ans avant sa théorisation.
R.F.E. : Quelle relation l'homme politique entretient-il avec l'ortho
doxie ?
M.R. : Premièrement, la force d'une orthodoxie réside dans
son effet de système. Il enferme ceux qui y pénètrent et ne les
laisse plus sortir qu'à grand prix de polémiques. Créer des
tabous est coûteux.
1. C. Hession, J.-M. Keynes, Paris, Payot, 1985. Michel Rocard 4
Deuxièmement, l'orthodoxie secrète des spécialistes
de plus en plus pointus, tandis que les généralistes se font plus
rares. La conséquence en est que des défaillances structurelles
de l'orthodoxie finissent par être oubliées au bénéfice d'obs
curs débats sur des points mineurs. Ainsi, je tiens pour
infirme une pensée économique qui n'intègre pas le champ
social ni les problèmes du développement. Mais où sont
désormais les lieux d'expertise où se produit cette réflexion
synthétique ? Tout se passe comme si le chômage était exclu
du champ des priorités politiques, elles-mêmes limitées aux
grands équilibres exprimés en termes financiers. L'hétéro
doxie commence avec l'idée de remettre le chômage au pre
mier rang des priorités.
J'ajouterai une remarque relative au métier politi
que. Du fait de l'importance prise par la télévision, le message
politique passe davantage aujourd'hui par l'image que par
l'imprimé. Or l'imprimé appelle à la réflexion, tandis que
l'image appelle à l'émotion. Dès lors survient une menace de
dégradation de la fonction politique : d'un côté, les experts
seraient en charge de réfléchir et de construire, de l'autre, les
politiques n'auraient plus qu'à couvrir le travail d'expertise
par le discours, la représentation et l'émission de messages
symboliques ou émotionnels. Cette situation où le corps poli
tique dépense 70 % de son temps en représentation n'est pas
satisfaisante. Elle laisse libre cours à la pression de la pensée
ambiante, colportée par les médias. Lorsque le politique
souhaite réagir, il est déjà en partie trop tard ; l'orthodoxie a
prospéré et son viol se fait au prix médiatique le plus fort.
R.F.E. : Faut-il voir, par exemple, dans la recherche de l'équilibre bud
gétaire un simple produit des circonstances dû à des taux d'intérêt réels
anormalement élevés et à une croissance ralentie, ou faut-il y voir un
changement radical des conceptions du rôle de l'État dans la société?
M.R, : Les finances publiques, et pas seulement le budget de
l'Etat, influent sur l'activité économique, mais en sont égale- Michel Rocard 5
ment tributaires. François Bloch-Lainé et Jean Bouvier rap
pellent combien l'Etat, dans l'esprit de Keynes et de Beve-
ridge, a réussi à conduire, après la guerre, une politique de
choix actifs2. J'entends par choix actifs ceux qui tranchent
entre des projets nouveaux et structurants. Je constate à
l'inverse que l'Etat est contraint aujourd'hui, pour un grand
nombre de ses décisions, à une politique de choix passifs :
économies budgétaires et de dépenses sociales, augmentations
d'impôts ou de cotisations sociales destinées à financer non
des mesures nouvelles, mais le surcroît tendanciel des dépenses.
Or, si se manifeste, en France comme ailleurs, une
résistance certaine à la pression fiscale, ce n'est pas tant en rai
son de son niveau absolu qu'en raison du manque de lisibilité
et d'efficacité de l'action de l'Etat. Je crois qu'une course de
vitesse est engagée. D'une part, il convient de restaurer l'auto
rité économique de l'Etat en rendant ses choix plus transpa
rents et, surtout, en les faisant porter davantage sur les
domaines porteurs d'avenir. D'autre part, la multiplication
des fronts de la crise, alors que les financements sont limités
par la résistance à la pression fiscale, conduit à la paupérisa
tion de l'agent public. On n'a pas commencé à réfléchir à ce
que cela veut dire. Mon sentiment est que, dans les années
qui viennent, les Français vont commencer à s'énerver série
usement devant le fait que l'on ne peut plus entretenir les écol
es ni les lycées, que la justice et la police travaillent dans des
conditions matérielles inadmissibles, que nous aurons des dif
ficultés croissantes à entretenir les hôpitaux et que, de
manière générale, la qualité du service public se dégrade.
Il résulte de tout cela qu'au niveau national comme
au niveau international, les hommes les plus écoutés, car ils
sont sur le front le plus exposé, sont ceux qui gèrent la tréso
rerie, qui ont en charge les taux d'intérêt, le taux de change et
les équilibres financiers. La parole des gestionnaires du court
2. F. Bloch-Laîné et J. Bouvier, La France restaurée, Paris, Fayard, 1986. Michel Rocard 6
terme l'emporte sur toute autre. Ajoutons à cela — c'est
l'ancien ministre du Plan qui parle — que les États, y compris
la France, ne sont pas capables de développer une expertise
administrative du moyen ou du long terme. J'ai vécu la crise
de l'instrument planificateur : lorsque le court terme parle
trop fort, le plan n'est plus entendu. Lorsque le court terme
impose son rythme et ses priorités, l'équilibre budgétaire
devient protecteur.
Mais l'analyse économique dont la seule expertise
administrative qui fasse foi porte sur le court terme n'est pas
bonne. Imaginez le pilote d'avion à qui l'on donnerait pour
consigne de ne s'occuper que de trois des cent cadrans qui
s'inscrivent devant lui. Il s'en suivrait un très mauvais pilo
tage ! Nous en sommes là. Le bon pilotage est une synthèse de
la totalité des informations disponibles.
R.F.E. : L'image que v

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