Histoire des idées keynésiennes en France - article ; n°4 ; vol.2, pg 22-56
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Description

Revue française d'économie - Année 1987 - Volume 2 - Numéro 4 - Pages 22-56
La pénétration du keynésianisme en France a été tardive mais le triomphe de cette doctrine y a été plus achevé que nulle part ailleurs. Il serait trop simple de considérer cette conquête dans la perspective traditionnelle d'une inévitable baisse avec le temps de la résistance aux idées nouvelles. Le keynésianisme a été en France comme en Grande-Bretagne le vecteur d'un compromis entre le socialisme et le libéralisme, mais plus encore il a été le moyen de conjurer les antagonismes modernes de la lutte des classes, en alliant tradition et modernité.
The development of keynesianism France occured later than in countries, but the triumph of paradigm was greater than else. It would be too simple to consider this succès as the and yet unavoidable decline in long run of the reluctance to ideas. Keynesianism was in and in Great-Britain the basis of a compromise betwen socialism and liberalism, but even more it was in France the mean to reduce the modern antagonism of social classes by reconciling tradition and modernity.
35 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Pierre Rosanvallon
Histoire des idées keynésiennes en France
In: Revue française d'économie. Volume 2 N°4, 1987. pp. 22-56.
Résumé
La pénétration du keynésianisme en France a été tardive mais le triomphe de cette doctrine y a été plus achevé que nulle part
ailleurs. Il serait trop simple de considérer cette conquête dans la perspective traditionnelle d'une inévitable baisse avec le temps
de la résistance aux idées nouvelles. Le keynésianisme a été en France comme en Grande-Bretagne le vecteur d'un compromis
entre le socialisme et le libéralisme, mais plus encore il a été le moyen de conjurer les antagonismes modernes de la lutte des
classes, en alliant tradition et modernité.
Abstract
The development of keynesianism France occured later than in countries, but the triumph of paradigm was greater than else. It
would be too simple to consider this succès as the and yet unavoidable decline in long run of the reluctance to ideas.
Keynesianism was in and in Great-Britain the basis of a compromise betwen socialism and liberalism, but even more it was in
France the mean to reduce the modern antagonism of social classes by reconciling tradition and modernity.
Citer ce document / Cite this document :
Rosanvallon Pierre. Histoire des idées keynésiennes en France. In: Revue française d'économie. Volume 2 N°4, 1987. pp. 22-
56.
doi : 10.3406/rfeco.1987.1158
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfeco_0769-0479_1987_num_2_4_1158Pierre
ROSANVALLON
Histoire des idées
keynésiennes
en France
comprendre la pénétration est tentant et le triomphe pour l'historien des idées d'essayer keynésienn de
es, des années trente aux années soixante, au moyen des
concepts avec lesquels T. Kuhn a proposé d'analyser le pro
cessus des révolutions scientifiques. Description des condi
tions de perception des anomalies auxquelles la théorie class
ique est confrontée dans les années trente et qui entraînent sa
remise en cause ; émergence du paradigme keynésien ; période Pierre Rosanvallon 23
de transition marquée par d'âpres débats théoriques ; victoire
finale du keynésianisme et retour à la science normale, les
problèmes qui avaient conduit l'ancien paradigme à la crise
pouvant désormais être résolus.
Un même cadre d'interprétation permettrait en effet
de traiter ainsi l'histoire du développement du keynésianisme
dans les différents pays. Seules varieraient les conditions prati
ques de l'affrontement entre le vieux et le neuf. Une telle pers
pective comparative est a priori fort séduisante. Mais l'assimi
lation à des paradigmes scientifiques du keynésianisme et de
la théorie classique qu'elle implique doit conduire à l'interro
ger. Contrairement aux théories scientifiques, les idées écono
miques en effet ne se débattent pas dans un espace homogène
de savoir. Si le monde des savants est relativement autoréfé-
rentiel, les économistes interviennent dans un champ qui est
fortement structuré par d'autres acteurs : décideurs politiques,
fonctionnaires, agents sociaux. La théorie économique s'ins
crit en ce sens toujours dans un système fort complexe d'art
iculation avec des idéologies et du sens commun. Autant dire
qu'il est impossible de faire l'histoire du keynésianisme dans la
perspective trop simple de l'analyse de la réduction progress
ive des résistances à une idée nouvelle. Le cas français le
montre de manière éclatante. La France a été le pays dans
lequel la pénétration de la doctrine de Keynes a été la plus
tardive; mais son triomphe y a peut-être été ensuite
achevé que nulle part ailleurs. Rien n'est linéaire dans cette
histoire. Elle est tout entière tissée d'ambiguïtés, d'équivoques
et de paradoxes. C'est en cela d'ailleurs qu'elle mérite particu
lièrement de retenir l'attention.
Les années 1930
ou le temps des équivoques
La Théorie générale, publiée en Angleterre en 1936, n'a été di
sponible qu'à la fin de 1942 dans la traduction française1. De Pierre Rosanvallon 24
1936 à 1942, très peu de Français liront la Théorie générale
dans sa version originale, y compris chez les économistes. Si
l'on tient en outre compte du fait qu'il était très difficile de se
procurer la traduction de l'ouvrage pendant la Deuxième
Guerre mondiale2, on peut estimer que la Théorie générale ne
commencera vraiment à être lue en France qu'à partir de
1945.
Cette pénétration relativement tardive fait en elle-
même problème. Keynes, en effet, n'était pas un auteur
inconnu du public français dans l'entre-deux-guerres. De
1919 à 1933, cinq de ses ouvrages avaient été traduits avec un
certain succès : en 1919 paraissent Les conséquences économi
ques de la paix (N.R.F.), le livre aura quinze éditions ; en 1922,
les Nouvelles considérations sur les conséquences de la paix (Stock) ;
en 1924, la Réforme monétaire (Kra) ; en 1928, les Réflexions sur
la France (Kra), sept éditions successives ; en 1933, Essais de
persuasion (N.R.F.-Gallimard). Comment expliquer le déca
lage entre la diffusion relativement large de ces essais et le
retard apporté à la traduction de l'œuvre majeure de Keynes ?
Il ne s'agit naturellement pas seulement d'un concours de ci
rconstances purement fortuit. On peut d'ailleurs noter à ce
propos que son autre grand ouvrage théorique, le Treatise on
money [1930], fut également fort peu commenté et qu'il ne fut
pas traduit en français (il ne l'est d'ailleurs toujours pas en
1987).
Il y a d'abord des obstacles qui tiennent à la personn
alité de l'auteur. Keynes était surtout connu en France
comme un essayiste, presque un journaliste ou un pamphlét
aire : il n'avait aucun statut de théoricien. Keynes était égal
ement considéré comme un donneur de leçons hostile à la
France. N'avait-il pas écrit dans sa préface à l'édition française
des Conséquences économiques de la paix que «ceux dont
s'entoura M. Clemenceau trahirent les intérêts de la
France » ? L'ouvrage passa pour pro-allemand et fut accueilli
«avec une stupéfaction indignée»3. Préfaçant en 1946 Pierre Rosanvallon 25
l'ouvrage d'E. Mantoux, La paix calomniée ou les conséquences
économiques de M. Keynes, R. Aron témoigne de la persistance
de ce souvenir. « De Bainville et de Keynes, écrit-il, c'est Bain-
ville qui vit clair. On écarte Les conséquences économiques de la
paiXy on relit Les conséquences politiques de la paix^. » La Lettre
ouverte à M. le Ministre des Finances [1926] critiquant la polit
ique économique et budgétaire du gouvernement français
avait aussi été très mal reçue, et pas seulement dans les
milieux conservateurs proches de Poincaré.
Ce contentieux entre Keynes et l'opinion publique
française a indéniablement joué. Mais il y a également
d'autres raisons, plus fondamentales et plus intéressantes, qui
expliquent la faible pénétration des thèses exposées dans la
Théorie générale au cours des années trente. On peut en distin
guer trois : l'hostilité doctrinale dans les milieux académi
ques ; le contexte du débat sur la politique économique ; le
rapport équivoque entre les idées keynésiennes et la tradition
française en matière d'intervention de l'Etat.
Dans les années trente, il y a cinq économistes qui
comptent en France : A. Aftalion (professeur à la faculté de
droit), C. Colson (professeur à l'école Polytechnique),
G. Pirou (professeur à la faculté de droit), C. Rist (d'abord
professeur, il se tourne ensuite vers des activités de conseil et
d'expertise) et J. Rueff (haut fonctionnaire du Trésor). Plu
sieurs d'entre eux ont lu Keynes et l'ont critiqué. J. Rueff
avait notamment bien perçu l'originalité des propositions
de Keynes dans le domaine monétaire et c'est justement pour
cette raison qu'il s'est opposé à lui. Rueff restait un adepte
de la théorie classique (pour laquelle les phénomènes monét
aires ne doivent être que le reflet passif des conditi

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