L Autriche est-elle un pays du Nord ? - article ; n°1 ; vol.3, pg 22-26
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Description

Critique internationale - Année 1999 - Volume 3 - Numéro 1 - Pages 22-26
5 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 8
Langue Français

Extrait

u cours de sa présidence de l’Union
européenne (juillet-décembre 1998), l’Autriche
a contribué activement à faire avancer le
Partenariat euro-méditerranéen (Euromed) et a même accueilli dans ce cadre une
conférence des ministres de l’Industrie. Les responsables autrichiens de ce dialogue
ont souligné à cette occasion que c’était la première fois qu’un « pays du Nord »
organisait une telle réunion ministérielle. La qualification semblait aller de soi. Pour-
tant, l’Autriche n’est-elle pas un acteur de l’Europe méditerranéenne qui s’ignore ?
Q
ue l’on prenne l’Autriche dans ses frontières actuelles, qui sont celles de 1918,
reconfirmées en 1945 après qu’elle eut été rayée de la carte pendant sept ans, ou
l’Autriche « historique » (difficile à définir si l’on veut remonter plusieurs siècles
en arrière, mais qui est en gros, et à juste titre, généralement assimilée à celle
issue du Congrès de Vienne en 1815, modifiée par les quelques changements
qu’elle a connus jusqu’en 1918), il est difficile, voire impossible, de lui assigner une
appartenance européenne qui serait définie par un des quatre points cardinaux
d’une carte géographique.
L’Autriche est-elle au Nord ? La moitié de ses voisins sont des pays dits « de l’Est »
(République tchèque, Hongrie, Slovaquie, Slovénie), l’autre moitié des pays dits
« occidentaux » : un pays du Nord (l’Allemagne), un pays on ne peut plus médi-
terranéen (l’Italie), enfin la Suisse et le Liechtenstein. Certes l’allemand est sa
langue officielle, et elle a une longue frontière avec l’Allemagne ; en outre, ce voi-
sin est de loin son partenaire commercial le plus important, et la communauté de
langue fait que les flux touristiques, culturels et artistiques sont particulièrement
intenses entre les deux pays. Mais l’Italie est son deuxième partenaire commercial,
et ce pays fournit, avec la France, une large part des touristes étrangers (il est vrai,
loin derrière l’Allemagne et les Pays-Bas).
La France se place au quatrième rang des partenaires commerciaux de l’Autriche,
après... la Hongrie, un signe parmi d’autres du resserrement des liens entre Vienne
et les pays d’Europe centrale depuis la chute du rideau de fer. Les exportations autri-
chiennes vers l’ancienne Europe de l’Est ont triplé au cours des dix dernières
L’Autriche
est-elle un « pays
du Nord » ?
par Gerhard Weinberger
Contre-jour
a
années, alors qu’elles n’ont augmenté que de 70 % au total ; les grandes banques
autrichiennes réalisent aujourd’hui près de la moitié de leur chiffre d’affaires dans
ces pays. Ces développements ont permis à certains théoriciens qui prônaient une
Autriche conçue comme le centre d’une nouvelle
Mitteleuropa
, d’avoir, pendant
quelques années, le vent en poupe. Dans le même temps, les élites autrichiennes
ont eu comme principal objectif de faire adhérer leur pays à l’Union européenne,
pour l’ancrer définitivement dans l’Europe occidentale, et la population a suivi cette
direction en votant « oui » à l’impressionnante majorité des deux tiers lors du
référendum sur l’adhésion à l’Union en 1995. Ajoutons qu’aujourd’hui cette der-
nière représente plus des deux tiers des échanges commerciaux de l’Autriche. On
peut d’ailleurs considérer ce choix de l’adhésion comme celui d’une « occidenta-
lisation » dans une acception très large, c’est-à-dire d’une intégration beaucoup plus
poussée de son économie, de sa culture et, partant, de sa politique (en particulier
de sa politique étrangère) au sein d’un club clairement ancré à l’Ouest.
Si donc la géographie et l’environnement économique actuels ne permettent pas
de situer clairement l’Autriche ailleurs que dans un « centre » de l’Europe aux confins
nécessairement flous, l’histoire peut-elle nous venir en aide ? La réponse est clai-
rement négative, que l’on remonte à des époques lointaines ou que l’on s’en tienne
à l’après-1918.
L
a double monarchie était, on le sait, peuplée d’une multitude d’ethnies, et l’on
y parlait de nombreuses langues (
voir tableau
). Si, tout au moins dans la partie
proprement autrichienne, l’allemand était la langue véhiculaire, les langues des plus
importantes nationalités jouissaient d’un statut théoriquement équivalent. Cela valait
par exemple pour le slovène, le tchèque, le polonais et l’italien.
Composition ethnique de l’Autriche-Hongrie
en 1910
(en millions d’habitants)
Allemands
12,2
Hongrois
10,1
Tchèques
6,5
Polonais
5,1
Ruthènes (= Ukrainiens)
4,1
Roumains
3,3
Croates
2,9
Slovaques
2,0
Serbes
2,0
Slovènes
1,4
Italiens
0,9
Bosniaques musulmans
0,6
Divers
0,4
Total
51,4
L’Autriche est-elle un « pays du Nord ? » —
23
Source : « L’Autriche et l’idée d’Europe »,
Actes du 29
e
Congrès de l’Association des
germanistes de l’enseignement supérieur
(Dijon, 1996), Éditions universitaires de
Dijon, 1997.
On sait que l’armée est restée, au milieu des turbulences et passions ethniques
du XIX
e
siècle, le ciment de la monarchie et même qu’elle a bien résisté, à la sur-
prise générale, à l’épreuve de la guerre (au moment de l’armistice de 1918, aucun
soldat étranger ne se trouvait sur le territoire de la monarchie). Il n’en est que plus
significatif d’observer sa composition en 1914 : sur 100 soldats, 25 étaient de
langue allemande, 44 slave, 23 magyare (hongroise) et 8 romaine (c’est-à-dire ita-
lienne). Le pourcentage de soldats « italiens » était donc nettement plus impor-
tant que celui des Italiens dans la population de l’Empire. Les territoires italiens
de l’Autriche (qui incluaient la Lombardie jusqu’en 1859) jouissaient d’une atten-
tion particulière à Vienne et la perte, par étapes, des provinces italiennes annon-
çait déjà, en un sens, la fin de l’Empire multinational, dans la mesure où cette
évolution confortait les autres nationalités dans leur séparatisme. Ce n’est pas par
hasard que François-Joseph décida de conduire personnellement la bataille de
Solferino en 1859 – ce qui d’ailleurs ne permit pas de la gagner.
Autre signe du poids des provinces italiennes, la pensée des Lumières (
Aufklärung
)
fut activement encouragée, en Lombardie, par nombre de hauts fonctionnaires de
l’administration autrichienne, qui étaient souvent d’origine locale et qui voyaient
dans l’administration de la monarchie la garante d’une liberté nécessaire à l’épa-
nouissement intellectuel.
La langue fournit un dernier indice de la dimension méditerranéenne de la
politique autrichienne de l’époque. Si l’allemand était la langue commune de la
monarchie et si la majorité de la population parlait les langues slaves et hongroise,
la langue et la culture italiennes furent très respectées et relativement influentes
à Vienne. Les contacts entre Autrichiens de langue allemande et italienne furent
intenses parmi les intellectuels et les hauts fonctionnaires, voire au-delà. Tout
compte fait, l’Empire présentait une identité contradictoire, en partie du fait de
son flanc Sud, dont on a à tort négligé l’importance.
La Première République (1918-1938), si elle est dominée par l’idée de l’
Anschluss
(qui n’était nullement, à l’époque, une idée exclusivement nazie), est néanmoins
marquée par une tension : l’attrait du Nord (l’Allemagne) était en effet contredit par
des efforts de rapprochement avec le Sud, l’Italie de Mussolini apparaissant, aux
yeux d’une partie des chrétiens-sociaux, comme un utile contrepoids à l’Allemagne.
Après 1945, l’Autriche choisit un statut de « neutralité permanente », ce qui la pla-
çait définitivement (tout au moins sur le plan de sa politique étrangère) en dehors
de tout groupe géopolitique déterminé. Cette neutralité lui permit d’être l’un des rares
États européens à entretenir des contacts significatifs avec les pays du bloc soviétique,
notamment les voisins comme la Hongrie. En même temps, elle était
de facto
éco-
nomiquement intégrée à l’espace de la Communauté européenne (ce qui allait être
« officialisé » pendant la brève période de son appartenance à l’Espace économique
européen), comme en témoigne l’ampleur des échanges évoqués plus haut.
24
Critique internationale
n°3 - printemps 1999
Depuis la chute du rideau de fer, l’Autriche est redevenue un pays ouvert de tous
les côtés : de langue allemande, elle entretient des relations intenses avec l’Europe
centrale, et elle est en position de développer sa dimension méditerranéenne.
À
partir de 1989, l’Autriche s’est tout naturellement faite l’interprète des pays can-
didats à l’entrée dans l’Union européenne. Toute politique qui aurait alors privi-
légié la Méditerranée aux dépens de l’élargissement de l’Union vers l’Est aurait été
à l’encontre de ses intérêts économiques et de ses affinités culturelles. En revanche,
elle s’est efforcée de ne pas laisser la question de l’élargissement dominer sa poli-
tique étrangère, tout comme elle n’avait aucun intérêt à être plus ou moins confon-
due avec l’Allemagne.
C’est précisément pour mieux asseoir sa position centrale en
Europe que le développement de sa dimension méditerranéenne est important
: la perception
de l’Autriche comme un pays faisant partie d’un « bloc germanophone » ou comme
un pays étroitement lié à l’ancien bloc communiste la prive d’une bonne partie de
sa surface potentielle et par conséquent de la possibilité d’exercer une influence
conforme à sa position centrale en Europe sur au moins deux pays très importants
(et fondateurs) de l’Union européenne, la France et l’Italie.
Au niveau régional et au niveau de ce qu’il est convenu d’appeler « société
civile », les conditions préalables à un rééquilibrage de la politique européenne de
l’Autriche sont d’ores et déjà réunies : ses provinces « méditerranéennes », en
particulier la Carinthie, ont mis en oeuvre depuis 1965, avec les provinces de
l’Italie du Nord et la Slovénie, une coopération intense, connue sous le nom
d’« Alpe Adria ».
Cette coopération régionale comprend la gestion en commun d’une partie des
infrastructures, ainsi qu’un renforcement des échanges commerciaux et culturels.
Elle a su résister à la tentation de recourir à une langue complètement étrangère
à chacun des pays participants, en l’occurrence l’anglais, lors des différentes ren-
contres, dans un souci de maintenir ce qui fait, entre autres, la force de l’Europe,
c’est-à-dire le plurilinguisme ; attitude à comparer avec celle qui a prévalu dans une
autre opération, au niveau intergouvernemental celle-là, l’« Initiative centre-euro-
péenne », réunissant depuis le début des années quatre-vingt l’Autriche, l’Italie et
plusieurs pays d’Europe centrale et orientale, et où l’anglais a été choisi comme
unique langue de travail lors des rencontres...
La politique des régions a donc déjà permis de manifester la présence de
l’Autriche dans le monde méditerranéen. L’enseignement des langues étrangères
devrait aussi contribuer au rééquilibrage de la politique européenne du pays : le
français et l’italien, après une période de déclin, remontent dans les lycées. À Vienne,
60 % des établissements enseignent aujourd’hui le français à partir de douze ans ;
en Carinthie, l’italien est obligatoire dans l’enseignement secondaire commer-
cial, et un tiers des lycéens l’apprennent.
L’Autriche est-elle un « pays du Nord ? » —
25
Le règlement en 1992 de la question du Tyrol du Sud (ou Haut-Adige, province
italienne germanophone qui jouit désormais d’une large autonomie culturelle et
linguistique), qui a longtemps pesé sur les relations austro-italiennes, a de surcroît
levé une hypothèque grevant la politique méditerranéenne de l’Autriche.
Il y a plus : un des principaux problèmes auxquels vont se trouver confrontées
l’Autriche et l’Europe dans son ensemble dans les années à venir est certainement
celui de l’immigration (clandestine ou non), ainsi que la politique vis-à-vis des
réfugiés. Dans ce contexte, une coopération étroite avec l’Italie est essentielle
pour l’Autriche, en tant que voisine fortement touchée par l’afflux des réfugiés, alba-
nais par exemple,
via
l’Italie.
D’une manière plus générale, l’Autriche se trouve aujourd’hui devant un choix
vital pour sa politique de sécurité : quoi qu’il advienne de sa « neutralité perma-
nente », elle ne saurait éviter de s’insérer d’une manière ou d’une autre dans les
efforts européens de construction d’une « identité européenne de sécurité et de
défense », parce qu’elle a un intérêt tout particulier à la stabilité dans les zones voi-
sines, et notamment en Méditerranée. Quel que soit le nom que portera un jour
cette IESD, et qu’elle se place en dehors ou à l’intérieur de l’OTAN, le « regard
sécuritaire » de l’Autriche sera nécessairement plus tourné vers le Sud-Est et le Sud
que vers le Nord. Il est intéressant de noter, dans ce contexte, que, lors des discussions
(tout à fait informelles et provisoires) au sein de l’OTAN sur la question du com-
mandement sous lequel il conviendrait de placer l’Autriche au cas où elle décide-
rait d’adhérer à l’Organisation, la tendance de l’Alliance atlantique est plutôt de
l’insérer dans le commandement Sud, alors que les responsables autrichiens se
verraient plus volontiers intégrés au commandement Nord. Ce débat – pour le
moment purement académique – souligne le décalage qui existe entre l’auto-
perception des élites autrichiennes, qui spontanément regardent d’abord vers le Nord
et l’Est, et la perception des intérêts autrichiens par une partie des acteurs étran-
gers, qui voient ce pays comme une sorte de moyeu au centre de l’Europe, dont
les intérêts stratégiques se situent aux quatre points cardinaux.
L
a dimension méditerranéenne de la politique autrichienne a donc de solides
bases historiques et géographiques, se trouve confortée par le développement des
échanges touristiques et commerciaux et rencontre beaucoup de bonne volonté de
la part de certaines régions. Elle se heurte toutefois à la façon dont les élites autri-
chiennes considèrent leur pays, sous l’effet du poids de l’histoire, des liens éco-
nomiques avec l’Allemagne et de la polarisation sur les problèmes des pays de
l’Europe centrale après la chute du rideau de fer. L’Autriche a aujourd’hui besoin
d’entamer un débat qui permettrait de lever ces hypothèques pour équilibrer son
insertion dans l’Union européenne et, ce faisant, mieux servir ses intérêts.
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Critique internationale
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