Les Allemands, leur imaginaire politique et le Parlement européen - article ; n°1 ; vol.5, pg 30-37
8 pages
Français

Les Allemands, leur imaginaire politique et le Parlement européen - article ; n°1 ; vol.5, pg 30-37

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
8 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Critique internationale - Année 1999 - Volume 5 - Numéro 1 - Pages 30-37
8 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 8
Langue Français

Extrait

n juin dernier, pour la cinquième fois
en vingt ans, l’Allemagne a élu au suffrage
universel direct ses représentants au Parle-
ment européen. Si l’on en croit les sondages réalisés juste avant l’élection, ce sont
les Allemands qui, au sein de l’Europe des Quinze, comptaient le plus exprimer leur
opinion sur les questions européennes
1
. Étant donné que le taux moyen d’abstention
en Allemagne, pour les quatre premières élections européennes, avait été l’un des
plus faibles d’Europe (38,8 %)
2
, on pouvait penser que les électeurs d’outre-Rhin
manifesteraient de nouveau un intérêt prononcé pour l’élection de leurs repré-
sentants à Strasbourg. Il n’en a rien été, bien au contraire. Seulement 45,2 % des
électeurs inscrits se sont rendus aux urnes, soit un taux de participation inférieur
de quinze points au précédent, et même plus faible que la moyenne européenne
(49,4 %). En outre, des sondages effectués à la sortie des bureaux de vote montrent
que le scrutin fut avant tout dominé par des considérations d’ordre national.
Cette désaffection soudaine mérite explication, d’autant plus que l’attention
portée à cette assemblée, de même que l’engagement de personnalités en vue, ont
longtemps contribué à donner de l’Allemagne – comme de l’Italie – l’image d’un
pays partisan inconditionnel des droits et prérogatives du Parlement européen.
Sous le signe de la continuité
Jusqu’à présent, la relation entre l’Allemagne et le Parlement européen (PE) se carac-
térise avant tout par un soutien appuyé de la première au second. Dès la ratifica-
tion des traités de Rome, l’Allemagne regrettait de ne voir attribuer à cette assem-
blée qu’une place fort modeste au sein des institutions communautaires. Plus tard,
en mai 1977, la ratification de l’acte de Bruxelles du 20 septembre 1976 prévoyant
l’élection du PE au suffrage universel direct y fut des plus aisées, ce qui ne fut pas
le cas en France, en Grande-Bretagne ou au Danemark. Aux yeux du ministre
Les Allemands,
leur imaginaire
politique
et le Parlement
européen
par Fabrice Larat
Contre-jour
e
allemand des Affaires étrangères de l’époque, ce passage à l’élection directe était
justifié par la nécessité d’établir une Europe des citoyens à côté de l’Europe des
gouvernements
3
. Quelques jours avant la chute du mur de Berlin, le même Hans-
Dietrich Genscher rappelait que l’approfondissement de la Communauté impli-
quait aussi le renforcement de son Parlement
4
. De fait, tout au long de cette
période, la RFA maintint sa position favorable à une augmentation des pouvoirs
de ce dernier. Même si le chancelier Kohl avait un point de vue plus nuancé que
son ministre des Affaires étrangères et que le Bundestag et si, à ses yeux, les ques-
tions institutionnelles étaient secondaires
,
à long terme le but du gouvernement
allemand était bien de renforcer à la fois le Conseil et le Parlement, fût-ce aux dépens
de la Commission.
Au moment de la discussion de ce qui deviendra le traité de Maastricht, comme
déjà lors des négociations sur l’Acte unique, l’Allemagne, fermement soutenue
par l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas, se prononça en faveur d’un élargissement
des pouvoirs du Parlement. Deux propositions furent avancées : le PE devrait
obtenir le droit d’initiative ; la procédure de coopération avec le Conseil devrait
être remplacée par la codécision, et à cette occasion un comité de conciliation
comprenant douze députés européens et douze représentants des États membres
se serait prononcé sur les amendements proposés par le PE. De cette époque date
également la revendication d’associer le Parlement à la nomination de la Com-
mission, sous la forme d’une procédure en deux temps : d’abord un vote d’appro-
bation du président de la Commission, puis un vote portant sur le collège des
commissaires.
Juste après le sommet de Maastricht, Helmut Kohl déplora que son pays n’ait
pu obtenir tout ce qu’il souhaitait en matière d’augmentation des compétences du
PE, malgré quelques progrès
5
. Il n’est donc pas surprenant que, lors de la Confé-
rence intergouvernementale de 1996/1997, l’Allemagne ait pris de nouveau posi-
tion en faveur d’un renforcement des pouvoirs de cet organe, principalement par
la simplification des modes de décision. Dans la droite ligne de l’arrêt rendu le
12 octobre 1993 par le Tribunal constitutionnel fédéral au sujet du traité de
Maastricht, la RFA réclama également l’implication des Parlements nationaux
dans le processus d’intégration européenne. Même après la signature du traité
d’Amsterdam, qui a pourtant vu un accroissement significatif des compétences du
PE, la position officielle de l’Allemagne continue à aller dans le sens d’un renfor-
cement de ces pouvoirs. Selon le nouveau ministre des Affaires étrangères, Joschka
Fischer, la possibilité pour le PE de codécider dans tous les domaines où le Conseil
décide à la majorité permettrait d’accroître de manière significative la légitimité
de l’Union européenne ; et il serait également souhaitable que le PE obtienne des
prérogatives supplémentaires en matière d’élection de la Commission
6
.
Les Allemands et le Parlement européen —
31
Élites et opinion publique
Cette continuité s’accompagne d’un large consensus au sein des élites politique,
économique et intellectuelle au sujet du PE. À l’issue du sommet de Maastricht de
décembre 1991, les réactions des principaux partis ainsi que celle du principal
syndicat de salariés, la DGB, allaient toutes dans le sens d’une dénonciation du
manque de légitimité démocratique du système institué par le projet de traité, et
notamment des trop maigres compétences supplémentaires accordées au Parlement.
La même unité de ton accueillit l’issue du sommet d’Amsterdam en juin 1997. Les
membres de la classe politique, faisant la même analyse que les spécialistes, s’accor-
dèrent à estimer que l’Assemblée de Strasbourg était le grand gagnant de la Confé-
rence intergouvernementale et saluèrent ce résultat : désormais, le PE allait pouvoir
devenir un acteur essentiel de la politique européenne ; il ne serait plus limité à un
rôle d’assemblée consultative dépourvue de véritable droit de décision ; la réduction
et la simplification des procédures, de même que l’extension des cas de codécision,
allaient aussi permettre une transparence accrue, du fait d’une définition plus claire
du rôle exact des trois principaux organes. Enfin, toujours d’après les divers com-
mentaires relevés au lendemain du sommet, la « parlementarisation » de la
Communauté européenne instaurée par le traité n’était pas seulement une avancée
en termes de démocratie, mais préparait aussi une augmentation de son efficacité.
Si l’on en croit les programmes élaborés par les principaux partis à l’occasion
des élections européennes de juin dernier, le consensus des élites politiques per-
dure. Cette unanimité tendrait à montrer que l’engagement de la RFA en faveur
des droits du PE est de nature quasi idéologique et qu’elle repose sur une concep-
tion particulière de la démocratie. Cependant, alors que les cercles académiques
et les milieux économiques partagent le même discours, l’attitude d’une grande par-
tie des citoyens est plus nuancée et révèle un certain clivage entre l’action du gou-
vernement et les préoccupations de la population. L’opinion publique, si elle s’inté-
resse elle aussi au PE, ne semble pas partager les priorités des élites en la matière,
ou du moins pas dans la même mesure.
Ainsi, au printemps 1999, le nombre d’Allemands estimant que le PE joue un
rôle important ou très important dans la vie de l’Union européenne était plus
faible (60 %) que la moyenne européenne (63 %). Il en va de même pour les
attentes que suscite le PE : si 35 % des personnes interrogées souhaitaient qu’il joue
à l’avenir un rôle plus important (contre 16 % un rôle moindre), la moyenne euro-
péenne est de 41 %
7
. Cette tendance est d’autant plus surprenante qu’à l’automne
1992, les avis exprimés en RFA correspondaient dans les deux cas à la moyenne com-
munautaire. Le pourcentage d’opinions favorables à un accroissement des com-
pétences du PE, qui restait constant autour de 60 % depuis 1988
8
, a commencé à
diminuer après Maastricht.
32
Critique internationale
n°5 - automne 1999
Contrairement à son gouvernement, l’opinion publique d’outre-Rhin n’est donc
pas à la pointe du combat pour les droits du Parlement. Ce décalage pour le moins
paradoxal contribue à la spécificité de la relation entre l’Allemagne et le PE. On
peut bien sûr y voir la marque du fossé qui, d’une manière plus générale, sépare
la majeure partie de la population des élites en matière européenne. Mais il semble
également que, si les Allemands se montrent en moyenne plus critiques vis-à-vis
du PE, c’est parce qu’ils attendent plus de lui, ou du moins que son fonctionne-
ment actuel ne correspond pas à leur conception de la démocratie et du rôle d’un
Parlement.
L’influence d’une culture parlementaire et fédérale
L’attitude de la classe politique et du gouvernement allemands ne peut être com-
prise sans référence à la culture parlementaire et fédérale du pays ainsi qu’à la
structure des réseaux et institutions liés au PE.
La Loi fondamentale de 1949 confère un rôle majeur au Bundestag. Celui-ci est
le seul organe au niveau fédéral à disposer de la légitimité populaire de manière
directe, et c’est lui qui élit – et éventuellement remplace – le Chancelier, déposi-
taire du pouvoir exécutif. Ce principe a placé au centre de la vie politique l’institu-
tion qui, seule, a compétence pour légiférer : le Parlement, élu au suffrage univer-
sel direct, incarnation du principe de la souveraineté populaire. Celle-ci ne dispose
pas d’autres modes directs d’expression, puisque la Loi fondamentale a quasiment
exclu le recours au référendum. La classe politique allemande est ainsi habituée à
travailler avec un Parlement fort. À cela s’ajoute que, plus que toute autre démo-
cratie occidentale, l’Allemagne peut être définie comme un État des partis. En liai-
son avec le caractère parlementaire du système, cela se traduit par une forte insti-
tutionnalisation des groupes parlementaires, qui disposent d’importants moyens.
Il existe par ailleurs des liens étroits entre le Bundestag et le PE. Avant 1979,
une certaine européanisation du Parlement fédéral s’opère par le biais des dépu-
tés porteurs d’un double mandat. Celui-ci n’existe plus, mais de nombreux autres
points de contact demeurent. Par exemple, les députés européens représentant
l’Allemagne peuvent assister aux réunions de la sous-commission des Affaires
européennes et y intervenir. D’autres relations, plus informelles mais tout aussi
importantes, existent entre les groupes parlementaires du PE et du Bundestag, par
le biais du cercle regroupant les députés allemands à Strasbourg, mais aussi
via
les
fondations proches des partis politiques ou des associations telles que l’Europa Union
ou le mouvement Pan Europa. L’existence de ces nombreux relais et canaux, l’atti-
tude du personnel politique allemand en général et la grande familiarité avec la
logique parlementaire des eurodéputés allemands expliquent la forte implication
de ces derniers dans le fonctionnement de leur assemblée.
Les Allemands et le Parlement européen —
33
Conception allemande de la démocratie et de la légitimité
Le fossé existant entre l’attitude des élites et celle d’une grande partie de la popu-
lation pourrait s’expliquer en partie par une certaine insatisfaction : au prin-
temps 1999, le pourcentage de personnes interrogées se déclarant « tout à fait »
ou « plutôt » insatisfaites du fonctionnement de la démocratie en Europe était supé-
rieur à la moyenne communautaire (42 % contre 38 %), et ce malgré une certaine
amélioration par rapport aux sondages réalisés peu après Amsterdam
9
. Si l’on
considère le taux élevé de personnes sans opinion (17 %), ainsi que la faible cou-
verture des activités du PE dans les médias, l’attitude des Allemands face à
l’Assemblée de Strasbourg serait due à une mauvaise information sur la fonction
et l’importance des institutions européennes, combinée à des exigences élevées à
l’égard du fonctionnement d’un Parlement.
L’existence d’un écart similaire au niveau national est révélatrice. Une grande
majorité d’Allemands (68 %) estiment que l’influence du Bundestag dans la vie poli-
tique de leur pays est forte, mais le nombre d’individus se déclarant satisfaits de son
travail n’a cessé de baisser entre 1974 (49 %) et 1995 (24 %)
10
. Il est vrai que ce
phénomène touche toutes les institutions du pays. Mais, comme le montre une étude
récente, les Allemands ont une vision des fonctions du Parlement et du travail de
leurs représentants fort éloignée de la réalité et de la nature de leur système de gou-
vernement
11
. Leurs attentes en ce qui concerne le PE seraient alors fondées sur
une vision idéalisée de leur système parlementaire.
De fait, la critique de l’absence – ou de l’insuffisance – de représentation popu-
laire est un élément central du discours sur le PE, aussi bien dans la population que
chez les élites d’outre-Rhin
12
. Les considérations émises par le Tribunal consti-
tutionnel fédéral dans son arrêt « Maastricht » fournissent à cet égard d’utiles
précisions sur la conception allemande de la légitimité démocratique telle qu’elle
devrait fonctionner au sein de l’Union européenne. La cour de Karlsruhe, partant
du principe que le traité de Maastricht prévoit l’établissement d’une fédération
d’États-nations (
Staatenverbund
) et non pas la création d’un État fédéral euro-
péen, considère que la participation démocratique au fonctionnement de l’Union
doit être assurée en premier lieu par les Parlements nationaux. Mais, en même temps,
elle souligne le rôle spécifique du Parlement européen – seul organe à être élu direc-
tement par les citoyens des États membres – au sein des institutions communau-
taires pour ce qui est de la transmission (
Vermittlung
) de la légitimité démocratique.
Elle observe en outre que, compte tenu du niveau d’intégration déjà atteint par la
Communauté, le PE, du fait de ses compétences insuffisantes, n’est pas en mesure
d’assumer ce rôle.
Dans la conception allemande du fédéralisme, chaque partie, aussi bien l’État
fédéral que les États fédérés, dispose de sa propre source de légitimité, à savoir un
34
Critique internationale
n°5 - automne 1999
rapport direct aux citoyens par l’intermédiaire d’un Parlement. Une fédération n’est
pas créée par un accord contractuel entre les États qui décident de se fédérer,
mais par ce que le constitutionnaliste Carl Schmitt appelait le pouvoir constituant
(
verfassungsgebende Gewalt
) de l’ensemble du peuple
13
. D’où l’insistance d’une par-
tie des élites politiques allemandes à réclamer l’adoption d’une Constitution de
l’Union et le rôle qu’elles aimeraient voir jouer par le PE en tant qu’assemblée consti-
tuante.
L’organe de conciliation proposé par l’Allemagne en 1991 fournit un bon exemple
de l’importance de ces référentiels nationaux dans la conception de ce qu’est, et doit
être, un régime démocratique au niveau européen. Cette instance rappelle en effet
fortement la commission de conciliation prévue par l’article 77 de la Loi fonda-
mentale, qui regroupe seize représentants du Bundestag et seize du Bundesrat, à rai-
son d’un par Land. Il s’agit là d’une tentative intéressante de transposition au niveau
européen du modèle parlementaire allemand, les représentants des Länder étant rem-
placés par ceux des États membres dans une logique on ne peut plus fédérale. Cela
concerne notamment la question de la représentation, l’Allemagne partant du prin-
cipe que, dans les États fédéraux modernes, outre le partage des compétences prévu
par la Constitution, il doit y avoir un arrangement institutionnel fondé sur une
double représentation, de nature à la fois démocratique et fédérative.
Un projet allemand pour l’Europe ?
Tout bien considéré, cette relation particulière entre les Allemands et le Parlement
de Strasbourg est bien plus que l’expression d’un éventuel conflit entre la logique
fonctionnaliste défendue par les auteurs des traités de Rome et l’approche fédé-
raliste que représenteraient les Allemands. Elle témoigne de la vivacité d’un modèle
dont l’Allemagne rêverait pour l’Europe, tout comme du rôle joué par les idées et
les représentations collectives dans la définition de la politique étrangère d’un
pays, et plus particulièrement lors des négociations intergouvernementales portant
sur l’architecture institutionnelle de l’Union. Son attitude vis-à-vis du PE témoi-
gnerait de l’existence, mise en évidence par certains chercheurs
14
, de plusieurs
modèles d’ordre politique concurrents pour la définition de la forme que devrait
prendre la construction européenne.
Aussi cohérente qu’elle apparaisse, cette attitude présente toutefois quelques
contradictions. Alors que l’Allemagne réclamait plus de contrôle démocratique et
l’élargissement des prérogatives du PE, elle s’opposait à ce qu’on lui attribue des
compétences dans un domaine aussi important que la politique monétaire, car
cela aurait pu menacer la politique anti-inflationniste de la Banque centrale euro-
péenne. Comme le remarque Andrew Moravcsik, l’idéologie semble jouer un rôle
déterminant dans les positions adoptées vis-à-vis de la codécision parlementaire et
Les Allemands et le Parlement européen —
35
vis-à-vis de l’équilibre des pouvoirs entre les différents organes communautaires.
On le voit pour des sujets éminemment symboliques en rapport avec la concep-
tion que l’on se fait de la démocratie, et où les conséquences de la délégation de
compétences demeurent incertaines
15
.
Cela étant, malgré les remarques formulées à l’issue du sommet d’Amsterdam
et le maintien du discours traditionnel d’une partie des élites politiques, il y a fort
à parier que les revendications allemandes concernant les pouvoirs du PE vont à
l’avenir perdre en intensité. Le Parlement a en effet atteint un niveau de compé-
tences non négligeable, et un élargissement plus poussé de son champ d’action ne
pourrait se faire qu’aux dépens du Bundestag et des Parlements régionaux. Alors
que le niveau du sentiment pro-européen en Allemagne a beaucoup baissé depuis
une dizaine d’années, les références appuyées au principe de subsidiarité qui se multi-
plient dernièrement dans la classe politique indiquent que l’État fédéral, et plus
encore les Länder, ne sont pas disposés à perdre davantage de pouvoirs. Cette
situation inédite soulève la question du degré de transfert de compétences à par-
tir duquel un État fédéral et parlementaire comme l’Allemagne peut se trouver
confronté à des décisions mettant en cause le fonctionnement même de son
système.
Enfin, le lien de causalité souvent établi en Allemagne entre la faiblesse du PE
et le déficit démocratique dont souffre l’Union européenne méconnaît la nature struc-
turelle du problème et l’absence – ou du moins le caractère incomplet – d’un certain
nombre d’éléments nécessaires au bon fonctionnement d’un Parlement, comme l’exis-
tence d’un espace public commun ou de véritables partis politiques européens.
Seuls quelques spécialistes se font l’écho de cette difficulté, alors que la grande
majorité de l’opinion publique, comme la plupart des élites, continuent à se foca-
liser sur le statut et les compétences du PE. Sur la base de la méconnaissance du carac-
tère spécifique du système européen à plusieurs niveaux et de l’image idéalisée de
leur propre assemblée, les Allemands attendent de lui qu’il fonctionne comme une
arène, à l’instar des Parlements nationaux, alors qu’en réalité il exerce plutôt une
fonction de contrôle et de correctif. Du coup, des tensions risquent d’apparaître.
On le voit, l’analyse de la relation particulière de l’Allemagne avec l’assemblée
de Strasbourg met en lumière un double problème : d’une part, l’écart existant entre
la conception de la démocratie parlementaire partagée par une majorité de citoyens
et la façon dont elle fonctionne réellement en RFA ; d’autre part, la croyance dans
le caractère transposable du modèle parlementaire allemand (réel ou imaginé),
alors qu’il ne correspond pas à la situation particulière de l’Union européenne.
36
Critique internationale
n°5 - automne 1999
Les Allemands et le Parlement européen —
37
1. Sondage Ipsos, juin 1999. À la question « Votre vote lors des prochaines élections européennes sera pour vous l’occasion
d’exprimer d’abord... », 54 % des personnes interrogées en Allemagne avaient répondu « Votre opinion sur les questions
européennes ».
2. Compte non tenu des trois pays (Belgique, Grèce et Luxembourg) où la participation est obligatoire.
3. Discours de H.-D. Genscher devant le Bundestag, 26 mai 1977.
4. Discours de H.-D. Genscher du 19 octobre 1989.
5. Discours de H. Kohl devant le Bundestag, 13 décembre 1991.
6. Discours de J. Fischer devant le Parlement européen, 12 janvier 1999.
7.
Eurobaromètre
n° 51, questions 5.5 et 5.6.
8. Pourcentage des réponses valides.
9.
Eurobaromètre
n° 51, question 1.4a.
10. Sondage Demoskopie, septembre 1995.
11. W. Patzelt, « Ein latenter Verfassungskonflikt ? »,
Politische Vierteljahresschrift
, 4, 1998, pp. 725-757. Selon Patzelt, ce
conflit s’explique par des tensions existant entre la modernité des institutions parlementaires de la RFA et la perspective désuète
à partir de laquelle une grande partie des Allemands essayent de les comprendre.
12. Seulement 34 % des personnes interrogées au printemps 1999 trouvaient que leurs intérêts étaient bien, ou plutôt bien,
protégés par le PE.
Eurobaromètre
n° 51.
13. K. Stüwe, « Der Staatenbund als europäische Option. Föderative Entwicklungsperspektiven der Europäischen Union »,
Aus Politik und Zeitgeschichte
1-2, janvier 1999, pp. 22-31.
14. M. Jachtenfuchs, T. Dietz, S. Jung, « Which Europe ? Conflicting models of a legitimate political order »,
European Journal
of International Relations
, 4, 1998, pp. 409-445.
15. A. Moravcsik,
The Choice for Europe. Social Purpose and State Power from Messina to Maastricht
, Londres, UCL Press, 1998,
p. 468.
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents