Ne pas désespérer de la politique. Revue critique du dernier livre de Myriam Revault d Allones, Le dépérissement de la politique. Généalogie d’un lieu commun  ; n°1 ; vol.6, pg 67-73
7 pages
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Ne pas désespérer de la politique. Revue critique du dernier livre de Myriam Revault d'Allones, Le dépérissement de la politique. Généalogie d’un lieu commun ; n°1 ; vol.6, pg 67-73

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Critique internationale - Année 2000 - Volume 6 - Numéro 1 - Pages 67-73
7 pages

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Publié le 01 janvier 2000
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Langue Français

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e qu’il y a peut-être de plus stimulant
dans l’oeuvre de Myriam Revault d’Allonnes,
c’est la manière intrépide, combative et
tonique dont elle s’attaque, munie à la fois
d’une impressionnante culture philosophique
et d’un sens aigu des réalités politiques, aux
défis posés par l’expérience historique et les
modes intellectuelles de notre temps. Péguy appelait Descartes « ce cavalier fran-
çais qui partit d’un si bon pas ». Il y a de cela dans la manière dont elle fait face,
successivement, à l’insondable horreur de la Shoah et du Goulag – à ce que
l’homme fait à l’homme
1
– et au constat quasi unanime de dépérissement de la poli-
tique qui accompagne (parfois sur le mode de la satisfaction, plus souvent sur celui
de l’indignation, et plus souvent encore sur celui de la déploration résignée) le déclin
des idéologies révolutionnaires et la protestation d’impuissance des gouverne-
ments devant les contraintes économiques et techniques.
Dans les deux cas, la démarche de l’auteur consiste à chercher ce qui, dans la tra-
dition philosophique, permet de comprendre, ou du moins de mettre en perspec-
tive les phénomènes apparemment inédits, aussi monstrueux soient–ils. Elle suit
ainsi la voie tracée par Hannah Arendt (dont elle est l’une des meilleures interprètes)
et, dans une certaine mesure, par Paul Ricoeur, Claude Lefort ou Cornélius
Castoriadis. Elle s’inscrit également dans un mouvement de renaissance de la
philosophie politique dont témoignent le
Dictionnaire de philosophie politique
de
Philippe Raynaud et Stéphane Rials
2
, l’
Histoire de la philosophie politique
dirigée
par Alain Renault
3
ou les recherches de Pierre Manent et de Marcel Gauchet.
Mais ce qui rend son approche originale et particulièrement précieuse dans les
circonstances actuelles, c’est qu’elle ne désespère ni de la philosophie classique
(comme est tentée de le faire Hannah Arendt dénonçant le refus de la politique chez
les philosophes grecs) ni de la politique moderne (comme Castoriadis s’inquiétant
de « la montée de l’insignifiance »
4
). Grâce à sa volonté obstinée de tenir les deux
bouts de la chaîne, elle contribue à cette tâche de réarticulation de la philosophie
et de la politique, d’autant plus nécessaire que l’une et l’autre sont réduites à la por-
tion congrue par l’affrontement de l’économie globalisée et des cultures identitaires.
c
Ne pas désespérer
de la politique
par Pierre Hassner
MYRIAM REVAULT D’ALLONNES
Le dépérissement de la politique.
Généalogie d’un lieu commun
Paris, Alto Aubier, 1999, 318 pages.
Le cours de la recherche
Lectures
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Critique internationale
n°6 - hiver 2000
Nous sortons d’un âge où philosophie et politique étaient réunies dans une confu-
sion triomphale : l’idéologie totalitaire y donnait une réponse politique au pro-
blème métaphysique et une réponse métaphysique au problème politique. Aujour-
d’hui, le danger est plutôt celui d’une séparation entre une politique purement
pragmatique et gestionnaire, une philosophie désincarnée ou formaliste, et une idéo-
logie nostalgique remplaçant le terrorisme de l’action par celui du discours radical.
Myriam Revault d’Allonnes rompt des lances également vigoureuses dans les trois
directions. Mais la valeur de son livre réside moins dans son caractère polémique
que dans son entreprise de généalogie philosophique, dans la manière dont il
déroule l’histoire des concepts et des démarches intellectuelles du passé pour
éclairer notre conscience historique actuelle.
L
’ouvrage comporte trois grandes parties. La première, la plus incontestable, retrace
une trajectoire allant de l’invention de la politique par les Grecs à sa relative déva-
lorisation par les modernes. La deuxième, intitulée « La politique introuvable », des-
sine les figures du dépérissement, c’est-à-dire du détournement de la politique par
l’économie, l’histoire, la religion et la morale. C’est certainement la plus riche et
la plus originale, mais peut-être aussi celle qui suscite le plus d’interrogations. Enfin
la troisième partie, intitulée « Le choix de la politique », oppose la notion de fra-
gilité à celle de dépérissement. C’est sans doute la plus stimulante, mais aussi la plus
frustrante car le lecteur qui adhère au choix de l’auteur n’en reste pas moins quelque
peu sur sa faim quant à la nature, au lieu, aux voies et aux moyens de cette politique,
à la fois revitalisée et fragile, à laquelle il s’agit de travailler.
L’auteur présente donc d’abord une excellente synthèse de la conception grecque
de la politique (même si elle sous-estime peut-être le mythe de la caverne, c’est-
à-dire la tension inhérente entre philosophie et politique fondée sur celle de la nature
et de la loi et, en dernière analyse, sur le rôle de la religion et du mythe) et, sur-
tout, de la politique des modernes. S’inspirant du grand texte de Benjamin Constant
sur « La liberté des Anciens et la liberté des Modernes », dont elle voit bien la
richesse prophétique et dont elle développe une partie des multiples virtualités, elle
souligne combien l’émergence de l’individu et celle du social relativisent le poli-
tique au point que, dans la croyance libérale, « le règne de la liberté commence là
où s’achève celui de la politique.[...] La liberté n’est liberté que pour autant qu’elle
nous assure et nous garantit au moins la possibilité de nous libérer de la poli-
tique » (page 113).
E
n un sens, tout est dit, et la clef des dérives ultrapolitiques ou antipolitiques des
deux derniers siècles est livrée, en même temps que celle de leurs limites. Mais la
deuxième partie du
Dépérissement de la politique
n’en abonde pas moins en analyses
fécondes, encore qu’elles négligent parfois des éléments essentiels.
Ne pas désespérer de la politique —
69
Les chapitres centraux, « La politique engloutie dans l’histoire » et « Comment
la religion vient à la politique », me semblent entièrement convaincants. Le pre-
mier se sert de manière magistrale des catégories d’Hannah Arendt pour, à la suite
de celle-ci, se livrer à une critique radicale de la philosophie de l’histoire comme
substitut de la philosophie politique. Le second, qui donne à Carl Schmitt (comme
déjà
Ce que l’homme fait à l’homme
) l’importance négative centrale qu’il mérite,
montre bien les présupposés théologiques des politiques révolutionnaires de droite
ou de gauche, visant à « réenchanter » le monde et le politique. Mais on est déçu,
en particulier à la lumière de l’excellent chapitre sur la politique des modernes, par
le caractère sommaire du chapitre sur l’économie, l’ambiguïté du chapitre sur la
morale, et surtout l’absence d’un chapitre sur le droit, dont l’hypertrophie est
dénoncée, certes, mais très brièvement, à la fin (page 287). De Benjamin Constant
et Kant au Marché commun, aux nouvelles Cours de justice – européennes ou mon-
diales – et à l’Organisation mondiale du commerce, le couple de l’économie et du
droit structure en effet nos sociétés nationales, européennes et internationales
depuis la chute des totalitarismes.
À propos de l’économie en général comme de l’oeuvre d’Adam Smith en parti-
culier, l’auteur aurait pu s’inspirer du beau livre de Jean–Pierre Dupuy,
Le Sacri-
fice et l’Envie
, et de sa formule selon laquelle « l’économie contient la violence aux
deux sens du terme »
5
ou s’intéresser, quitte à le contester, à l’
Homo aequalis
de Louis
Dumont, pour qui « l’alternative entre la richesse comme fin et des formes for-
cées, pathologiques de subordination est notre lot »
6
. Et, à propos du droit, elle
aurait pu faire une place plus grande et plus explicite, dans son catalogue des
lamentations, à ceux de nos contemporains, comme Philippe Raynaud ou Paul
Thibaud, qui attribuent le dépérissement de la politique au déferlement du droit,
ou à celui de nos ancêtres qui, précisément, a théorisé la subordination de celle-
là à celui-ci : Kant, pour qui il ne peut y avoir de conflit entre la morale et la poli-
tique ni entre la théorie et la pratique puisque « la politique est la pratique du droit
et la morale en est la théorie »
7
.
Le traitement de Kant amène justement à soulever des objections au très riche
chapitre sur la morale. Myriam Revault d’Allonnes s’efforce de traiter positivement
à la fois Kant et Machiavel, voire de les rapprocher au nom de leur commune
opposition au « despotisme moral », à une politique qui voudrait forcer les hommes
à être vertueux, qui s’occuperait de leurs âmes plutôt que de leurs actions. Et il est
vrai que, pour Kant, le but de l’État n’est pas l’éducation morale des citoyens ; qu’en
bon moderne il insiste, comme Machiavel, davantage sur les institutions que sur
l’éducation ; qu’il pense que l’histoire est faite d’abord par les passions ; et que sa
morale a elle-même une structure politique inspirée de Rousseau. Mais, quand tout
cela est dit, il reste l’essentiel, cent fois explicité par Kant : l’essence juridique de
sa philosophie, la stricte subordination de la politique à la morale – développée dans
70
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l’appendice de
Vers la paix perpétuelle
–, la place nulle accordée, d’une part aux
contraintes et aux dilemmes spécifiques de l’action politique, d’autre part à la
recherche d’une communauté au-delà de la régulation des intérêts et du respect
réciproque des individus (d’où les sarcasmes de Hegel et sa distinction entre
Mora-
lität
et
Sittlichkeit
– ou la formule de Péguy selon laquelle « le kantisme a les mains
propres, mais il n’a pas de mains »). La philosophie de Kant est une philosophie
juridique fondée sur une philosophie de la morale et garantie par une philosophie
de l’histoire. C’est cette dernière qui est censée assumer les paradoxes et les
dilemmes moraux de la politique, que le « politique moral », lui, ignore superbe-
ment dans sa fidélité aux commandements inconditionnels de la Raison pratique.
Quant au but ultime de la morale et de l’histoire, il n’y a, là aussi, nulle ambi-
guïté. Myriam Revault d’Allonnes a peut-être tort de transposer la notion de
« finalité sans fin » de la biologie et de l’esthétique à la politique, alors que Kant
revient sans cesse (par exemple au paragraphe 83 de la
Critique de la faculté de
juger
) à la fin que la nature assigne à la politique et à l’histoire : la paix perpétuelle
par l’unification cosmopolitique. L’espace de la politique est tellement restreint que
l’on peut parler d’une philosophie politique sans politique, et que c’est en tant que
refus de la politique que la philosophie de Kant interpelle la politique.
La façon dont Machiavel nous apostrophe est exactement à l’opposé : c’est celle
d’une philosophie politique qui se veut uniquement politique. C’est en tant que
refus de toute métapolitique (qu’elle soit morale, métaphysique ou religieuse)
qu’elle interpelle la politique. La question est de savoir si une politique qui ne reçoit
son inspiration que d’elle-même ne finit pas par se réduire à la guerre, tout comme
la politique théologique à laquelle elle entend s’opposer.
Myriam Revault d’Allonnes dit se réclamer, en la matière, avant tout d’Aristote.
Ne devrait-elle pas, alors, être plus sensible à la page capitale de
Droit naturel et
Histoire
où Leo Strauss met en cause le couple moderne de l’idéalisme et du réa-
lisme, représenté par Kant (pour qui la loi morale ne souffre aucune exception) et
par Machiavel (pour qui c’est le cas extrême qui fournit la norme), alors que le vrai
politique, au sens aristotélicien, vit dans la tension entre la hiérarchie des fins et
celle de l’urgence, entre le cas normal pris pour règle et le cas extrême qui peut
exceptionnellement imposer des comportements moralement condamnables
8
?
I
l serait intéressant de se demander ce qu’Aristote aurait pensé de la foisonnante
dernière partie du livre, où l’auteur déploie en quelque sorte son drapeau, celui du
refus d’enterrer le politique. Il aurait certainement approuvé le choix de la poli-
tique et celui de la fragilité (notion très familière, et même fondamentale, chez les
Grecs) contre le dépérissement. Même s’il ne pouvait pas connaître la notion de
totalitarisme, il aurait certainement applaudi à l’antinomie de la démocratie et du
totalitarisme, que Myriam Revault d’Allonnes oppose à une critique trop généra-
Ne pas désespérer de la politique —
71
lisée de la technologie ou du « bio–pouvoir », tendant à évacuer la spécificité des
régimes politiques. Mais, précisément sur cette question du statut actuel de la
notion de régime politique, si centrale chez lui, n’aurait-il pas émis quelques
doutes ? Ne se serait-il pas demandé, comme Castoriadis, si nous ne sommes pas
en régime d’oligarchie libérale plutôt que de démocratie ? Et surtout n’aurait-il pas
reconnu que, devant l’émancipation de la technique et de l’économie, devant
l’émergence de l’individu et de l’universel, devant le caractère complexe, mouvant
et interdépendant des sociétés, devant le déclin de la religion et de la science
comme facteurs d’intégration, il est devenu beaucoup plus difficile de définir la com-
munauté politique comme unie moins par les échanges entre groupes et les inté-
rêts des individus que par la recherche collective de la vie bonne, et de considérer
la politique comme la science architectonique ?
Cessons de faire parler Aristote puisque nous ne savons ce qu’il aurait pensé ni
du christianisme ni de la révolution industrielle et que, de toute façon, ni Myriam
Revault d’Allonnes ni la plupart de ses lecteurs (en tout cas l’auteur de ces lignes)
ne seraient disposés à sacrifier les acquis de la modernité pour les mirages d’un retour
à la
polis
antique. Mais émettons en notre propre nom cette réserve : Myriam
Revault d’Allonnes semble, malgré certaines concessions verbales, trop soucieuse
de réagir contre le découragement contemporain pour reconnaître pleinement la
réalité du problème auquel il renvoie. Elle est tentée d’imputer le diagnostic de dépé-
rissement de la politique à la nostalgie d’une politique prophétique, totalitaire ou
idéologique. Or il ne suffit pas de renoncer à celle-ci et de se rallier à une politique
plus modeste, consciente de ses limites et de sa fragilité, pour évacuer le diagnostic
du dépérissement.
Au moins autant que sa capacité prophétique de mettre fin à l’histoire, ce qui
est remis en cause aujourd’hui c’est la capacité architectonique de la politique,
celle qui consisterait à unir les citoyens et leurs activités diverses dans une com-
munauté orientée vers un même but. Nous sommes, qu’on le veuille ou non, dans
une société dominée par l’individu et la sphère privée, par l’économie et la tech-
nique, et ouverte aux vents du large, une société où se sont écroulés les murs de
ce que Bertrand de Jouvenel appelait « la prison des corollaires »
9
, c’est-à-dire les
postulats de petitesse, d’isolement et de stabilité technologique et démographique
que présupposaient les conceptions classiques du bien commun. Dans cette société,
l’observation empirique et la réflexion théorique se rejoignent pour constater un
dépérissement de la politique telle qu’elle est comprise classiquement : d’où la
nécessité, si l’on veut oeuvrer à sa renaissance, de repenser son rôle et son statut.
Sur le premier plan, les sondages et l’observation quotidienne montrent le
déclin de la confiance des citoyens dans la classe politique, et le déclin du person-
nel politique lui-même, aussi bien dans sa compétence que dans son aptitude à
communiquer. Les deux explications courantes – la montée de la complexité, des
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problèmes et des contraintes techniques, et le rôle croissant de l’argent (à la fois
par l’attrait supérieur des carrières économiques par rapport aux carrières politiques
et par le coût croissant des campagnes électorales) – sont complémentaires plus que
contradictoires. De nouveaux centres de pouvoir – les juges, les médias – tendent
à prendre la place des politiques. Avec le déclin des idéologies, l’incapacité de la
classe politique à articuler un langage compréhensible et mobilisateur mène à la
déliquescence des médiations et à un affrontement entre thèses ou camps simplistes :
technocrates contre populistes, particularistes (ethniques ou nationalistes) contre
universalistes (capitalistes transnationaux chevauchant la vague de la globalisa-
tion, ou humanitaires obéissant à une solidarité sans frontières).
Les sources de cette situation et ses remèdes partiels sont implicites dans l’ana-
lyse de Myriam Revault d’Allonnes, mais elle ne les dégage et ne les développe pas
vraiment. Elles ont été admirablement formulées par Hegel qui insistait, dans les
Principes de la philosophie du droit
, sur le principe moderne de la subjectivité à la fois
sur le plan de l’intériorité spirituelle et sur celui des satisfactions matérielles, sur
la nécessité de l’État pour contenir les contradictions de la société civile mais sur
son impuissance à les surmonter vraiment, la guerre étant le seul moment où se
recrée, sous son égide et dans l’opposition aux autres États, l’unité de la commu-
nauté et l’acceptation du risque commun. Or – fort heureusement à mes yeux – cette
perspective d’unification par le conflit est elle-même remise en cause, comme
Hegel l’avait également vu.
Il en résulte que, dans une « société des individus » où, justement, la société civile
prime sur l’État et l’éclatement de celle-là sur l’unité de celui-ci, la politique nor-
male est également éclatée. Le citoyen ne peut être un citoyen à part entière. De
nouvelles formes de citoyenneté et de représentation doivent se greffer sur les
activités primaires de nos sociétés où « le bourgeois », au sens de Rousseau, l’em-
porte au départ sur « le citoyen ».
La grande politique dont les « souverainistes » et les « communautaristes »
pleurent le dépérissement ne retrouve ses droits que dans les situations excep-
tionnelles, de fondation ou de refondation, de guerre ou de révolution, où les ins-
titutions vacillent et les citoyens se retrouvent soit face à face dans un dialogue démo-
cratique, soit derrière un sauveur. Mais justement la situation exceptionnelle
elle-même, où Carl Schmitt voyait l’avènement du politique dans sa vérité parce
qu’elle constitue par excellence le moment de la Décision, voit se réduire la marge
et la portée de cette décision comme une peau de chagrin. L’après-communisme
est un exemple parlant. Ceux, comme le Soljénytsine de
Comment réaménager notre
Russie
10
ou le Havel des
Méditations d’été
11
, qui aspiraient, dans la pensée ou dans
l’action, à faire oeuvre de refondateurs dans la tradition des grands législateurs, ont
vite vu leurs projets emportés par ce que Soljénytsine appelle « l’avalanche » et que
Schumpeter désignait comme « la destruction créatrice du capitalisme ».
Ne pas désespérer de la politique —
73
Devant cette situation, la réflexion de Myriam Revault d’Allonnes doit abso-
lument être prolongée par celles d’auteurs plus proches de l’analyse des sociétés
contemporaines qui s’interrogent, comme Jean-Marie Guéhenno, sur « les nou-
veaux territoires de la politique » ou sur « le citoyen dans la mondialisation »
12
,
comme Otfried Höffe
13
, qui spécule, à la suite de Kant, sur les chances que la glo-
balisation offre à une démocratie transnationale et cosmopolitique, ou surtout
comme Ulrich Beck
14
qui, dès 1993, parlait de « l’invention de la politique » à par-
tir de la « sous-politique » ; celle-ci, en partant des mouvements sociaux, influen-
cerait et modifierait les institutions et les pratiques d’une société industrielle ten-
dant spontanément à l’apolitisme. C’est dans la politique de l’environnement,
dans celle des choix économiques et culturels, au niveau des États mais aussi aux
niveaux sub- et trans-étatiques, qu’il voit les chances d’une deuxième modernité,
réflexive et re-politisée. De même, Joël Roman, dans
La démocratie des individus
,
cherche à différents niveaux, comme ceux de la ville ou de l’action syndicale, les
possibilités de création d’un espace public
15
.
Certes, comme Myriam Revault d’Allonnes, les quatre auteurs que l’on vient
de citer procèdent à des actes de foi dans le politique dont rien ne garantit qu’ils
ne se heurteront pas à la combinaison de dynamique économique et d’inertie ins-
titutionnelle qui rend si difficile la tâche du politique dans nos sociétés. Mais, en
indiquant des pistes (au niveau de l’économie pour Guéhenno, des institutions fédé-
rales pour Höffe, de l’écologie pour Beck, des problèmes sociaux pour Roman),
ils prolongent utilement une recherche dont Myriam Revault d’Allonnes aura
établi avec brio la légitimité et l’urgence.
1. M. Revault d’Allonnes,
Ce que l’homme fait à l’homme
, Paris, Le Seuil, 1995. Champs–Flammarion, 1999.
2. Philippe Raynaud et Stéphane Rials,
Dictionnaire de philosophie politique
, Paris, PUF, 1995.
3. Alain Renault (dir.),
Histoire de la philosophie politique
, Paris, Calmann-Lévy, 1999.
4. Cornélius Castoriadis,
La montée de l’insignifiance
, Paris, Le Seuil, 1996.
5. Jean-Pierre Dupuy,
Le Sacrifice et l’Envie
, Paris, Le Seuil, 1991, p. 329.
6. Louis Dumont,
Homo aequalis
, Paris, Le Seuil, 1977, p. 134.
7. Emmanuel Kant,
Vers la paix perpétuelle
, appendice.
8. Leo Strauss,
Droit naturel et Histoire
, Paris, Plon, 1954, pp. 174-176.
9. Bertrand de Jouvenel,
De la souveraineté
, Genève, Éditions du Cheval ailé, 1952.
10. Alexandre Soljénitsyne,
Comment réaménager notre Russie
, Paris, Fayard, 1990.
11. Vaclav Havel,
Méditations d’été
, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 1992.
12. Jean-Marie Guéhenno,
L’avenir de la liberté
, Paris, Flammarion, 1999.
13. Otfried Höffe,
Demokratie im Zeitalter der Globalisierung
, Munich, Besch Verlag, 1999.
14. Ulrich Beck,
Die Erfindung des Politischen. Zu einer Theorie reflexiver Modernisierung
, Francfort, Suhrkamp, 1993.
15. Joël Roman,
La démocratie des individus
, Paris, Calmann-Lévy, 1998.
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