Quand les étrangers amènent l’État à redéfinir la nation. Revue critique de Nationalité et Citoyenneté en Europe sous la direction de P. Weil et R. Hansen  ; n°1 ; vol.8, pg 59-62
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Quand les étrangers amènent l’État à redéfinir la nation. Revue critique de Nationalité et Citoyenneté en Europe sous la direction de P. Weil et R. Hansen ; n°1 ; vol.8, pg 59-62

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Critique internationale - Année 2000 - Volume 8 - Numéro 1 - Pages 59-62
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Publié le 01 janvier 2000
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Langue Français

Extrait

a qualité des informations fournies par
quinze auteurs sur l’évolution des pratiques
et des règles d’attribution de la nationalité
dans chacun des quinze pays membres de
l’Union européenne fait le premier – et très
grand mérite – de l’ouvrage collectif dirigé
par Patrick Weil et Randall Hansen. Sans
équivalent dans la littérature française, il
permet, d’abord, de réévaluer certains pon-
cifs ; notamment l’opposition prétendue,
mais trop simple et trop célèbre, des conceptions française (« élective ») et ger-
manique (« organiciste ») de l’appartenance nationale. On apprend ainsi, par la plume
des deux directeurs de l’ouvrage, que le droit du sang (attribution de la nationa-
lité en fonction de la filiation) n’était pas plus « ethnique » dans la loi prussienne
de 1842 – reprise par l’Empire en 1871 – que dans le Code civil français de 1804 ;
que son renforcement, en 1913, s’expliquait par la volonté de maintenir l’autorité
de la mère-patrie sur les très nombreux émigrés ; enfin, que sa conservation en 1949
répondait au souci de ne pas rompre les liens avec les Allemands de l’Est.
Ensuite et surtout, ce livre invite le lecteur à relativiser des particularismes qui
passent généralement pour être coulés dans le bronze de l’identité nationale et sont,
par conséquent, présentés comme irréductibles. Ainsi, dès l’introduction, l’accent
est mis sur les convergences qui se manifestent entre les différentes législations et
les politiques nationales : dans les pays du nord de l’Europe et, aussi, en Espagne
et en France, les conditions d’attribution de la nationalité ont tendance à s’élar-
gir ; l’égalité de traitement des hommes et des femmes s’instaure partout ; le
régime de la double nationalité demeure, du Nord au Sud, profondément ambigu
car, même si cette situation est tolérée de plus en plus souvent quand il s’agit
d’attribuer la qualité de national, en revanche elle est presque toujours ignorée quand
il faudrait en tirer les conséquences en matière d’état des personnes.
D’après les auteurs, l’immigration, qui est déjà fort ancienne dans certains pays mais
toute récente dans d’autres, donne la clé de ces convergences, tandis que les divergences
l
Quand les étrangers
amènent l’État
à redéfinir la nation
par Géraud de La Pradelle
PATRICK WEIL
et RANDALL HANSEN (dir.)
Nationalité et citoyenneté
en Europe
Paris, La Découverte (collection
« Recherches »), 1999, 329 pages.
Le cours de la recherche
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résiduelles prennent leur source dans ce décalage historique et dans les différences
d’échelle. Cet effort d’explication illustre ce qui est, finalement, le mérite essentiel de
l’ouvrage : il s’agit d’une véritable thèse que l’introduction (signée des deux directeurs)
formule et dont les chapitres consacrés successivement à chaque pays
1
permettent de
vérifier la pertinence ; thèse qui renouvelle utilement les réflexions relatives aux
notions fondamentales de nationalité, de citoyenneté et d’extranéité.
Ainsi, la démonstration de l’influence que les migrations exercent partout
confirme un certain nombre de faits déjà bien connus – et, d’abord, celui-ci : en
déterminant une politique d’accès à sa nationalité, chaque État agit sur sa propre
substance
2
; il cherche à la produire et, par là, se fait, en quelque sorte, lui-même.
En effet, si les législateurs modifient les règles de nationalité lorsque se dévelop-
pent ou s’infléchissent les flux de l’immigration étrangère et, même, de l’émigra-
tion des nationaux, c’est parce que ces variations les invitent à redéfinir cette frac-
tion de l’humanité qui, résidant sur le territoire ou momentanément éloignée,
doit cependant former la population « constitutive » de l’État. Or les gouverne-
ments qui procèdent à ce remodelage ne sacrifient nullement à des scrupules aca-
démiques. Ils agissent par nécessité, afin de cimenter la société civile dont la cohé-
sion est essentielle à l’existence même de l’État.
Car la démonstration tentée dans ce livre confirme également un autre fait. C’est
que la valeur objective et, plus encore, imaginaire, de la nationalité se mesure à la qua-
lité des effets qui lui sont attachés : ils donnent une justification tangible au lien qui
unit l’État à ses sujets. Aussi la nationalité sera-t-elle d’autant plus précieuse pour ceux
qui la détiennent, plus visible et, partant, plus utile aux gouvernements, que la condi-
tion faite aux étrangers s’éloignera plus nettement de celle des nationaux. C’est
pourquoi la notion de nationalité entretient des rapports intimes avec les notions de
citoyenneté politique – mais également civile – et d’extranéité : elle tend naturelle-
ment à se confondre avec la première et engendre la seconde – mais comme son exact
contraire
3
. Toutefois ces rapports sont instables, et l’immigration place les pouvoirs
publics devant un dilemme : la précarité du sort des étrangers qui, normalement, affer-
mit le lien national, risque de déchirer le tissu social quand elle marginalise un trop
grand nombre de ces étrangers durablement, sinon définitivement, établis sur le
territoire. La sûreté de l’État exige alors que l’on sorte de ce dilemme en leur per-
mettant d’accéder à la pleine citoyenneté – donc à la nationalité – qui les intègrera.
L’ouvrage révèle enfin la relativité de toute la matière. Il montre comment les
nationalités figurant dans nos lois sont nées avec les formes particulières d’États
que nos Constitutions organisent depuis la fin du XVIII
e
siècle. L’exemple de la
France, présenté par Patrick Weil, le démontre de façon particulièrement frappante,
puisque les premières dispositions écrites françaises en la matière sont celles de la
Constitution de 1791. En effet, les formes d’État qui nous sont devenues familières
et les nationalités sont consubstantielles. Or – c’est un lieu commun – partout
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dans le monde le rôle de l’État s’amenuise. Chez les Européens, la conjonction de
la « mondialisation » et de la construction de l’Union lamine le modèle de l’État-
nation. Il est, par conséquent, dans l’ordre des choses que ces nationalités perdent
quelque peu de leur importance, notamment, au sein de l’Union européenne,
celles conférées par les États membres.
Une évolution s’amorce en effet. Sans doute le droit international place-t-il tou-
jours la nationalité dans le domaine réservé à la souveraineté des États. Sans doute
ce principe est-il respecté dans l’Union européenne ; d’ailleurs, des crispations natio-
nalistes s’y produisent banalement – phénomène qu’illustrent, par exemple, les lois
françaises de juillet 1993
4
ou, en Allemagne, les récents débats sur la double natio-
nalité : le programme de la coalition arrivée au pouvoir en 1998 prévoyait notam-
ment l’introduction du droit du sol (attribution de la nationalité en fonction du lieu
de naissance et de résidence) et la tolérance pour la double nationalité : ainsi nombre
d’immigrés d’origine turque pourraient devenir allemands sans pour autant cesser
d’être turcs. La levée de boucliers provoquée par ce projet a débouché sur un recul
du nouveau gouvernement. La loi finalement adoptée donne la nationalité alle-
mande aux enfants nés en Allemagne de parents dont l’un au moins y réside depuis
huit ans – mais ils devront choisir, s’il y a lieu, entre leurs deux nationalités, au plus
tard à 23 ans. Partout, la condition de l’étranger implique encore une personnalité
juridique amoindrie et, surtout, l’absence du droit de pénétrer sur le territoire et d’y
séjourner. Néanmoins, de profondes mutations se produisent, qui sont particulièrement
nettes en Europe. En effet, la nationalité souverainement conférée par chaque État
membre donne, avec la citoyenneté de l’Union créée par le traité de Maastricht
5
, le
droit de circuler et de séjourner sur tout son territoire, ainsi qu’un minimum de droits
politiques venus s’adjoindre aux substantiels droits civils d’ores et déjà acquis. Par consé-
quent, dans tous les pays membres, la nationalité ne coïncide plus aussi parfaitement
que naguère avec la citoyenneté. De ce fait, l’image traditionnelle de l’étranger se
brouille – du moins en ce qui concerne les ressortissants des pays membres.
À vrai dire, des changements comparables étaient intervenus, bien avant le traité
de Maastricht, dans la législation de nombreux États aujourd’hui intégrés à l’Union.
Ceux-ci reconnaissent, par exemple, aux étrangers la citoyenneté municipale ou
même régionale, soit sous condition de réciprocité – comme l’Espagne et le Por-
tugal – soit à la condition d’une certaine durée de résidence – comme l’Irlande
(cinq ans), la Suède et le Danemark (trois ans). Ce mouvement gagne du terrain
dans d’autres législations nationales : en France, archétype de l’État-nation, le
Parlement débat de l’extension à tous les résidents étrangers de certains des droits
politiques jusque-là réservés aux nationaux des autres États-membres. Mais des
réformes de ce genre posent toutes sortes de problèmes. D’abord, et sauf en ce qui
concerne les citoyens de l’Union européenne, la garantie du séjour demeure atta-
chée à la seule nationalité du for. La précarité de leur présence fragilise donc la
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« citoyenneté locale » consentie aux résidents étrangers. Ensuite, l’image de la
citoyenneté politique se brise puisque coexistent des citoyens de première (les
nationaux), seconde (les Européens) et troisième catégories (les résidents étrangers
non citoyens d’un pays de l’Union).
Enfin, la nationalité perd de sa valeur dans la mesure où s’améliore la condition
de certains, au moins, des étrangers. Cet affaiblissement suscite, d’ailleurs, de
curieuses réactions passionnelles jusque sous certaines plumes universitaires
6
. Ces
réactions mettent en évidence un effet pervers possible de l’inévitable perte de
contenu des nationalités. Privées de conséquences visiblement utiles, celles-ci ris-
quent de ne plus rien évoquer d’autre qu’une sorte d’essence imprégnant les per-
sonnes en raison de leur appartenance à des nations mythiques. Ainsi réduites à
l’identité des personnes, les nationalités peuvent s’avérer dangereuses et servir
d’alibis aux plus furieuses dérives. On doit noter que le droit français actuel peut
facilement favoriser de telles dérives dans la mesure où il soumet ostensiblement
les questions de nationalité au régime de l’état des personnes
7
.
L’antidote se trouve sans doute dans le dépassement des nationalités « nationales »
par l’enrichissement de la citoyenneté de l’Union européenne. Cela suppose que
les convergences des législations aboutissent à « la mise en place de critères com-
muns pour l’accès à la nationalité de chacun des États membres », comme le pré-
conisent les auteurs.
1. Pour l’Allemagne : Simon Green (« La politique de la nationalité en Allemagne. La prédominance de l’appartenance ethnique
sur la résidence ? ») ; pour la France : Patrick Weil (« L’histoire de la nationalité française : une leçon pour l’Europe ») ;
pour la Grande-Bretagne : Randall Hansen (« Le droit de l’immigration et de la nationalité au Royaume-Uni. Des sujets
aux citoyens ») ; pour l’Italie : Ferrucio Pastore (« Droit de la nationalité et migrations internationales : le cas italien ») ;
pour l’Espagne : Francisco Javier Moreno Fuentes (« La migration et le droit de la nationalité espagnole ») ; pour les Pays-
Bas : Kees Groenendijk et Eric Heijs (« Immigration, immigrés et législation sur la nationalité aux Pays-Bas, 1945-1998 ») ;
pour la Grèce : Christos L. Rozakis (« Le droit de la nationalité en Grèce ») ; pour la Belgique et le Luxembourg : Monique
Liénard-Ligny (« Le droit de la nationalité en Belgique et au Luxembourg ») ; pour le Portugal : Rui Manuel Moura
Ramos (« Mouvements migratoires et droit de la nationalité au Portugal dans le dernier demi-siècle ») ; pour l’Europe du
Nord : Eva Ersbøll (« Le droit de la nationalité en Scandinavie : Danemark, Finlande et Suède ») ; pour l’Autriche : Rainer
Bauböck et Dilek Çinar (« La législation sur la nationalité et la naturalisation en Autriche ») ; pour la Finlande : Maaria Ylänkö
(« Le droit de la nationalité finlandaise ») ; pour l’Irlande : Clive Symmons (« Le droit de la nationalité en Irlande »).
2. L’État se définit traditionnellement par la réunion d’une
population
, d’un territoire et d’un pouvoir souverain. Or la natio-
nalité se définit, tout aussi traditionnellement, comme l’appartenance à la
population constitutive de l’État
.
3. L’article I de l’ordonnance du 2 novembre 1945 sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France dispose :
« Sont considérés comme étrangers au sens de la présente ordonnance tous individus qui n’ont pas la nationalité française,
soit qu’ils aient une nationalité étrangère, soit qu’ils n’aient pas de nationalité ».
4. Paul Lagarde, « La nationalité française rétrécie »,
Revue critique de Droit international privé
, 1993, pp. 535
et sq
.
5. Articles 8 à 8E.
6. Yves Lequette parle ainsi de « génocide mou » et compare l’Union européenne à un « Reich reconstitué » dans « La natio-
nalité française dévaluée »,
L’avenir du droit, Mélanges en hommage à François Terré
, Paris, Dalloz, PUF et Éditions du Juris-
classeur, 1999.
7. Voir au Livre Premier du Code civil (« Des personnes »), le Titre 1
bis
(« De la nationalité française »), qui date de la loi
du 22 juillet 1993 ; spécialement, les articles 29 à 31-3 transposés de l’ancien Code de la nationalité française.
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