En direct de la presse italienne, saisir les enjeux de la mutation politique en cours. Angela Merkel s’est dite impressionnée et a affirmé que le changement amorcé en Italie était « structurel ». Les mots de la chancelière en disent long, moins sur son admiration réelle pour le nouveau gouvernement, que sur l’effet général provoqué par M. Renzi dans l’opinion. À n’en pas douter, cet effet de stupéfaction fait bel et bien partie de la stratégie politique de Renzi, à tel point que les journaux ont mis plusieurs jours à assimiler le mare magnum d’annonces proclamées mercredi 12 mars.
TADDEOSCOPE ITALIE #2En direct de la presse italienne, saisir les enjeux de la mutation politique en cours. 18 mars 2014: la stupéfaction comme arme politique Angelâ Merkel sest dite impressionnée et â âffirmé que le chângement âmorcé en Itâlie étâit structurel ».Les mots de lâ châncelière en disent long, moins sur son âdmirâtion réelle pour le nouveâu gouvernement, que sur leffet générâl provoqué pâr M. Renzi dâns lopinion. À nen pâs douter, cet effet de stupéfâction fâit bel et bien pârtie de lâ strâtégie politique de Renzi, à tel point que les journâux ont mis plusieurs jours à âssimiler le mâre mâgnum dânnonces proclâmées mercredi 12 mârs. Cette strâtégie possède dindéniâbles effets bénéfiques: elle pârâlyse lopposition, à lintérieur du PD (Pârti Démocrâte) et à lextérieur, elle âlimente, pâr le mythe des Cent jours, lidée dune mârche inexorâble vers lâ réforme, et nourrit le récit héroïque de lâ reprise. Néânmoins, elle sexpose à un dângereux effet rebond, non seulement pârce que lâ croissânce est frâgile, mâis âussi pârce le sentiment durgence pârtâgé pâr une mâjorité dItâliens ne peut sâccommoder longtemps de cet optimisme triomphânt.
DES REFORMES EN ARSENAL
Le 12 mars, le choix du Président du Conseil a été de présenter les réformes non pas de façon sériée et progressive mais de façon globale : un profluvio di atti e di promesse » (Gigi Riva, Râdio 3, 13 mars). Du point de vue de la réception, cette méthode ne conduit pas à une analyse de linterdépendance des mesures, mais induit plutôt une lecture point par point (lire lévaluation différenciée proposée par leSole 24 oredu 13 mars). Leffet qui en résulte estun effet dâccumulâtion qui nest pâs exempt dune certâine efficâcité communicâtionnelle. Le gouvernement a ainsi choisi en effet de mettre en évidence
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1 une mesure dappel», la réduction de lIrpefsous la forme dun gain net dans le portefeuille des travailleurs. Les autres mesures (extension à trois ans du contrat à durée déterminée sans justification, simplification de lapprentissage, réduction du coût de lénergie 2 pour les PMI, diminution de lIrap, réforme de la gestion de limmobilier scolaire, régularisation des finances publiques) constituent autant dedéclinâisons sectorielles de lâ mesure phâre.
LE TIR DU BAZOOKA
Face à ces annonces, il faut convenir que les critiques sur le style sont de moins en moins pertinentes, quoiquelles se fassent plus véhémentes et plus détaillées, lo shock et lo spot » (M. Giannini,Repubblicâ, 13 mars), la sinistra pop » duCorriere(M. Gramellini, 13 mars) qui raille la giovane marmotta » ou le style télé-achat » de la conférence de presse. Il nest pas impossible que ces critiques aient un effet dérosion sur lopinion, mais elles proviennent dune posture qui peut être perçue comme élitiste, elle-même sans rapport avec les difficultés économiques des Italiens. Au-delà des aspects stylistiques, la critique la plus fondée se rapporte précisément à cet effet daccumulation et de stupéfaction. La question qui surgit inévitablement (et qui est abondamment évoquée par les observateurs) est celle du financement des réformes et de leur faisabilité dans untimingaussi limité. Ainsi, Guido Gentili souligne ironiquement la décalage entre les aspirations guerrières et les incertitudes financières: senza coperture il bazooka non spara » (Il sole 24 ore, 13 mars). Les doutes saccumulent : les retraites seront-elles mises à contribution ? Un impôt sur le patrimoine devra-t-il être mis en place ? Ladministration et le Parlement suivront-ils ?
LE SYNDROME DE LA LETTRE MORTE
Lincohérence majeure qui menace le gouvernement est le décalage entre le dire et le faire. A. Panebianco, dans leCorriere dellâ serâdu 17 mars, démontre à quel point le mécanisme de la communication de M. Renzi est dépendant dun syndrome persistant dans lhistoire de lItalie républicaine :lécart entre les mesures annoncées dune part, leur traduction juridique dans les actes de lexécutif ou du Parlement dautre part, et leur déformation par ladministration. Les promesses restent ainsi lettre morte. Plus que tout autre gouvernement, celui de M. Renzi est exposé à cette critique qui va bien au-delà du simple cliché. Pour certains éditorialistes, cet hypertrophie du dire »et du promettre »fait partie de la stratégie même de Renzi, qui na pas dautre choix que de sattacher le soutien du Parlement en alimentant, par des effets dannonce, le consensus dont il dispose dans lopinion (lire Correre o morire », E. Mauro,Lâ Repubblicâ, 14 mars). Selon les analystes, M. Renzi a compris ces difficultés et a dailleurs pris à témoin lopinion en dénonçant les résistances bureaucratiques qui menacent son action. Paradoxalement, la réussite de son projet a été contractualisée »par M. Renzi sur un plan non pas socio-économique mais institutionnel. Le Président du Conseil lie son destin politique à la fin du 1 Impôt sur le revenu 2 Imposte Regionale sulle Attività Produttive (Impôt Régional)
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bicaméralisme parfait. Or cette garantie ne semble pas à la hauteur des réformes socio-économiques à accomplir.
LA RECOMPOSITION DE LA GRILLE POLITIQUE
La stupéfaction a donc sa raison dêtre, y compris pour tenter de dépasser lopposition droite/gauche. Sur ce point, la célèbre phrase de Nanni Moretti DAlema di qualcosa di sinistra ! » a été souvent reprise par les observateurs ces derniers jours, plutôt pour souligner un certain ancrage à gauche du Président du Conseil. Le choix de jouer sur lIrpef et limportance du thème de lécole ont donné en effet limage dune gauche renouvelée, attentive aux besoins des travailleurs et des familles plus quaux syndicats. Néanmoins, la volonté de dépasser lopposition droite/gauche (dont dépend la survie du gouvernement) ne semble pas couronnée de succès, et lon observe un effet de recomposition. −une partie de la gauche a attaqué frontalement les mesures de flexibilisation du marché du travail et a dénoncé une nouvelle précarité (L. Mariucci,LUnità: une, 15 mars) partie du PD y voit une libéralisation et non une simplification. −laugmentation de la taxation des revenus financiers, lallègement modéré de lIrap laissent à la droite une certaine marge critique, dont la presse libérale se fait le relais (oreIl sole 24;Liberopropose même des solutions pour échapper aux nouvelles taxes) mais que le NCD (Nouveau Centre-Droit), allié au gouvernement, ne peut exploiter à fond : Angelino Alfano, dans une interview auQuotidiâno Nâzionâlele 16 mars, se concentre sur le travail autonome et sur lopposition au mariage gay. −le M5S (Mouvement 5 étoiles) nest en aucune façon neutralisé. La demande de moralisation de la vie publique, lexigence de lutte contre la corruption politique nest pas relayée par le gouvernement. Au contraire, lannonce de mesures économiques renforce la crispation autour de thèmes antipolitiques. B. Grillo, sur son blog, souffle même sur les braises de laffaire de lappartement florentin de Renzi révélée par la rédaction deLibero.
A SUIVRE −Laccumulation des mesures annoncées, malgré leffet de stupéfaction recherché, peut, dans une certaine mesure, fragiliser le gouvernement, pour deux raisons : 1. La faisabilité et lefficacité réelles de ces mesures sont lobjet de sérieux doutes. 2. La recherche de transversalité nempêche pas lapparition de critiques politiques profondes (dénonciation dune libéralisation du marché du travail à gauche, dénonciation dun allègement fiscal insuffisant pour les entreprises à droite). −Lexigence de rapidité force le gouvernement à sexonérer dun dispositif de vérification de lefficacité de son programme. Le pacte conclu avec les Italiens apparaît comme un pacte sans garantie.
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−La séquence étrangère de M. Renzi, qui souvre, tend à souligner à quel point la régularisation des finances publiques est un objectif plus européen que national. En dautres termes, lopinion peut avoir limpression que la politique dassainissement des comptes de lÉtat nest pas menée avec la même vigueur que celle quexigerait lintérêt des citoyens eux-mêmes.