1968 : mort et naissance de l'université française - article ; n°1 ; vol.23, pg 59-70

Antoine Prost

Description

Vingtième Siècle. Revue d'histoire - Année 1989 - Volume 23 - Numéro 1 - Pages 59-70
1968 : death and birth of the French University, Antoine Prost.
The events of 1968 undermined the magisterial legitimacy and university authority so radically that they caused decisive transformations in French universities. The organization of studies and examinations, teaching methods and professor-student relations are not the only elements of the university institution that were then greatly changed. The very structure of the university was entirely reorganized : power is now found at different levels, based on more democratie elections, which reinforces it and gives it other dimensions. Paradoxically, the 1968 events marked the birth of real universities in France.
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: VINGTIEME_SIECLE-_REVUE_D-HISTOIRE
• Publié le: 01 janvier 1989
• Nombre de lectures: 73
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Extrait

Antoine Prost
1968 : mort et naissance de l'université française
In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°23, juillet-septembre 1989. pp. 59-70.
Abstract
1968 : death and birth of the French University, Antoine Prost.
The events of 1968 undermined the magisterial legitimacy and university authority so radically that they caused decisive
transformations in French universities. The organization of studies and examinations, teaching methods and professor-student
relations are not the only elements of the university institution that were then greatly changed. The very structure of the university
was entirely reorganized : power is now found at different levels, based on more democratie elections, which reinforces it and
gives it other dimensions. Paradoxically, the 1968 events marked the birth of real universities in France.
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Prost Antoine. 1968 : mort et naissance de l'université française. In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°23, juillet-septembre
1989. pp. 59-70.
doi : 10.3406/xxs.1989.2835
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1989_num_23_1_2835: MORT ET NAISSANCE 1968
DE L'UNIVERSITÉ FRANÇAISE
Antoine Prost
Pendant le « joli mai », les étudiants vise ses conséquences : spasme sans lende
de 1968 ont cru tout bouleverser, pour main, ou facteur de changements profonds ?
en finir avec l'université de papa. Et s'ils La force du mouvement étudiant français
lui avaient donné les moyens de s'adapter s'explique par la superposition de raisons
au 20e siècle ? Du spasme éphémère au qui tiennent les unes à cette génération
vrai changement : l'événement « 68 » particulière de jeunes qui avaient autour de
éclate ici dans toute sa force. 20 ans en 1968 et les autres aux universités
où ils se trouvaient alors. L'explosion résulte
de la convergence d'un conflit de générations Le mouvement étudiant de 1968 est
et d'une crise universitaire sans précédent. bien connu, encore qu'une histoire
attentive de l'événement livrerait sans
O UN CONFLIT DE GÉNÉRATIONS doute plus d'un détail révélateur sur les
comportements et les mentalités des divers L'explication par des conflits de générat
acteurs : étudiants, professeurs et respon ions est généralement peu satisfaisante : dès
qu'on tente de la cerner, la réalité de la sables administratifs. Mais examiner trop
étroitement les mois chauds de mai et juin « génération » s'estompe. Mais dans la s
serait scruter l'événement d'un regard de ituation particulière des années 1960, il est
myope. Pour en comprendre la portée, il difficile de ne pas y recourir. Dans les classes
moyennes et bourgeoises, en tout cas, la faut embrasser un champ plus large, soit
socialement, soit chronologiquement et s'i continuité entre les générations semble me
nterroger, soit sur le lien entre la crise étu nacée. Non que l'évolution soit propre à la
diante et la crise politique et sociale, soit France : dans tous les pays développés, l'édu
sur les causes et les conséquences du mou cation familiale est devenue moins rigide,
vement de Mai pour l'université française. moins autoritaire, plus libérale, plus per
C'est cette dernière perspective qu'on se missive. L'originalité de la France tient à ce
propose d'esquisser ici. Nous négligeons que les formes d'éducation autoritaires s'y
délibérément l'histoire événementielle du sont maintenues plus longtemps et plus
Mai étudiant et nous laissons de côté son fermement, et que l'évolution y a donc été
articulation à la crise sociale et politique plus rapide et plus brutale. Jusqu'à la fin
des années 1950 — est-ce un effet indirect pour nous intéresser fondamentalement à
des guerres coloniales qui auraient en deux questions. La première est celle des
raisons de la force exceptionnelle du mou quelque sorte imposé aux jeunes un horizon
vement étudiant en France : pourquoi a-t-il contraint ? — bien élever ses enfants, c'était,
été aussi puissant, aussi large ? La seconde en France, leur apprendre d'abord l'obéis-
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sance, la politesse et la soumission à toutes d'être sûrs que les normes sociales qui sont
les leurs et qui leur ont permis de réussir les règles de bienséance. Au début des années
dans la vie resteront valables quand leurs 1960, en revanche, on assiste à un brusque
dégel qui concerne simultanément les jeunes enfants auront leur âge. Un doute sur la
enfants et les adolescents. Dans une société validité de leurs propres normes serait ainsi
qui s'ouvre à la prospérité, les pratiques à la racine de leur tolérance de comporte
éducatives changent rapidement. ments adolescents dictés par des normes
Signe de ce changement des normes édu différentes. Quoi qu'il en soit de l'interpré
tation, le constat du sociologue vaut d'être catives, le succès de nouveaux manuels de
puériculture : en 1960, la première traduction noté : il atteste, au début des années 1960,
la perception d'un changement majeur dans du best-seller du Dr Spock ; en 1965, le
classique de Laurence Pernoud1. Ce n'est les pratiques éducatives.
pas seulement l'alimentation des bébés ou Les adolescents, de leur côté, en sont
la façon de les langer qui évolue, c'est le parfaitement conscients. Philippe Robrieux,
regard qu'on porte sur eux. Il ne s'agit plus par exemple, de retour au Quartier latin en
de les dresser : il faut jouer sur tous les 1962, note un changement d'ambiance3. La
registres de l'affection et de la confiance, ne même année voit le prodigieux succès —
pas sévir ou être dur s'ils crient, mais un million d'exemplaires — d'un nouveau
comprendre, ruser, détourner l'attention... magazine, Salut les copains, destiné aux
Ne pas se draper dans une figure d'autorité, « teenagers », mot nouveau qui prend place
mais manifester une affection aussi nécessaire dans le vocabulaire. On ne reprendra pas
au développement de l'enfant que la nourr ici l'étude de l'émergence d'une sub-culture
iture et les soins... adolescente qui appellerait de nombreuses
Les étudiants de 1968 n'ont pas été élevés nuances4. On se bornera à mentionner les
de la sorte : ils ont encore connu des formes signes vestimentaires par lesquels la nouvelle
de première éducation qui, dans leurs milieux génération marque sa différence d'avec les
d'origine, étaient très strictes : horaires r générations antérieures tout en atténuant les
igides pour les tétées puis les repas, langes différences entre garçons et filles : les jeans,
serrés, etc. Mais ils bénéficient, à leur ado les pulls, les chaussures de tennis ou de
lescence, de l'assouplissement général des basket, qui constitueront l'uniforme des man
normes éducatives. Plus de liberté dans leurs ifestants de Mai. C'est l'époque où le chan
sorties et leurs fréquentations, dans leurs teur Antoine, un étudiant de l'Ecole centrale,
lectures et leurs loisirs. Plus de tolérance connaît un succès fulgurant avec une chan
envers leurs goûts et leurs opinions. Dans son qui résume, de façon emblématique, la
un recueil d'essais sociologiques, publié en volonté de sa génération de s'émanciper de
1965 2, Jean-Claude Chamboredon s'inte celle de ses parents : « Ma mère m'a dit :
rroge précisément sur les raisons de ce chan " Antoine va t'faire couper les ch'veux ".
gement des pratiques éducatives. Il l'attribue
à l'incertitude des adultes sur leurs propres
normes : le changement social est si fort et 3. Philippe Robrieux, Notre génération communiste, Paris, R.
si rapide à l'époque que les parents cessent Laffont, 1977.
4. La publication à cette époque de plusieurs études
sociologiques sur la jeunesse constitue un signe supplémentaire
de l'importance nouvelle que prend le phénomène de génération. 1. Cet article reprend, en la remaniant très légèrement,
une communication présentée au colloque organisé par le Centre Citons, entre autres, Jacques Duquesne, Les 16-24 ans, Paris,
d'études européennes de Harvard, les 14-16 octobre 1988, « May Le Centurion, 1963, Claude Dufrasne (dir.), Des millions de
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