Aux origines du discours francophoniste : le meurtre des patois et leur rachat par le français - article ; n°1 ; vol.85, pg 22-34
14 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Aux origines du discours francophoniste : le meurtre des patois et leur rachat par le français - article ; n°1 ; vol.85, pg 22-34

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
14 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Langue française - Année 1990 - Volume 85 - Numéro 1 - Pages 22-34
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Philippe Gardy
Aux origines du discours francophoniste : le meurtre des patois
et leur rachat par le français
In: Langue française. N°85, 1990. pp. 22-34.
Citer ce document / Cite this document :
Gardy Philippe. Aux origines du discours francophoniste : le meurtre des patois et leur rachat par le français. In: Langue
française. N°85, 1990. pp. 22-34.
doi : 10.3406/lfr.1990.6175
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1990_num_85_1_6175Philippe Gardy
CNRS URA 1052
Montpellier III
AUX ORIGINES DU DISCOURS FRANCOPHONISTE :
LE MEURTRE DES PATOIS
ET LEUR RACHAT PAR LE FRANÇAIS
Dans un ouvrage récent, l'historien Jean Chesneaux s'interroge, en marge d'une
réflexion géostratégique : « La francophonie ... concept étrange, terme original au point
d'être quasi intraduisible dans d'autres langues, phénomène profondément singulier. Si
l'anglais s'est imposé comme fait universel, les autres langues internationales, arabe,
russe, espagnol, portugais, chinois ne sont implantées que dans des espaces régionaux
restreints, dessinés par l'histoire ancienne et moderne des migrations, des empires et des
hégémonies. Seule la francophonie, elle aussi minoritaire par rapport à l'anglais, est
installée dans les cinq continents comme pour y inscrire les ambitions et les vicissitudes de
l'expansion française dans le monde '. » On saura gré à l'historien de souligner de la
sorte Yétrangeté d'un « concept » dont l'évidence troue régulièrement le discours
quotidien français. Evidence apparemment consensuelle, qui plus est : la création, par
le gouvernement de Michel Rocard, d'un ministère de la Francophonie n'est-elle pas
le signe le plus récent de cette banalisation partagée, à propos d'un terme et d'un
faisceau de sens suggérés dont l'étrangeté, précisément, semble ainsi régulièrement
évacuée sous le feuilletage d'affirmations linguistiques, culturelles et politiques
récurrentes ?
Les sens produits sous le terme francophonie sont nombreux et, probablement,
contradictoires : notons simplement ici, pour sa valeur symptomatique, la confusion
du constat (« le fait de parler une langue historiquement et idéologiquement identifiée
comme du français ») et du projet («gérer la parole francophone, au mieux de ses
intérêts ») . Cette confusion, sans aucun doute, a quelque chose à voir avec l'étrangeté
pointée par Jean Chesneaux. Entre la langue et le discours sur la langue (un discours
qui se veut action, donc, peu ou prou, politique linguistique), une sorte d'équivalence
est quelque part posée, qui suggère, sous francophonie, le travail d'un francophonisme
comme consubstantiel au concept 2. Et plus encore peut-être, comme consubstantiel
1. Jean Chesneaux, Transpacifiques. Observations et Considérations diverses sur les Terres et
Archipels du Grand Océan, Paris, La Découverte, 1987, p. 153.
2. De cette équivalence, souvent niée, mais toujours prête à resurgir, on trouvera un bon
exemple dans ce passage : « ( ...) les Français doivent savoir que, pour nombre de pays qui recourent
à leur langue, celle-ci n'est pas, ou n'est plus, le drapeau d'une conquête ou d'une nostalgie ; c'est,
plus simplement, et peut-être plus efficacement, un outil de connaissance et de développement. Ou bien
22 à l'existence même du français, en tant qu'institution sociolinguistique. Il serait
évidemment présomptueux de vouloir, en quelques pages, éclairer valablement les
origines d'un terme aussi complexe, et, plus encore, de tenter d'en suivre la
construction interne, au fil des recompositions historiques qui l'ont fait émerger, puis,
par accumulations de sens, l'ont promu au rang de vocable quasi officiel, explicit
ement lié, en tout cas, au fonctionnement même de l'État et, plus encore, des ambitions
internationales, voire mondialistes, de cet État. Mais les racines socio-historiques du
concept et, plus encore, de sa fortune actuelle, parce qu'elles nous renvoient à cette
« étrange étrangeté » qui n'en finit décidément pas de nous étonner, méritent pour le
moins d'être approchées en ce qu'elles peuvent receler de singulier : entre, d'un côté,
le ressassement du discours d'accompagnement francophoniste, et, d'un autre côté, le
silence parfois pesant que ce même discours produit, et répète.
Radotages, ratages
Le discours francophoniste n'est certes pas un discours unifié : nombreuses sont
les contradictions qui le traversent, si nombreuses, parfois, qu'elles finissent par
enlever à ce discours toute cohérence. Concept éminemment polémique, la francophon
ie ne trouve la plupart du temps son principe d'unification que dans l'interaction de
deux motifs obsessionnels : la hantise de la « mort » du français (quel que soit le
contenu que l'on puisse mettre sous cette image) et celle, complémentaire, de
l'expansion vitale de cette même langue. Comme si le moyen terme de ce balancement
— l'existence du français — n'était réalisé, dans ce type de discours, que par la
réunion de ces deux tendances opposées mais indissociables. Francophonie bifrons,
sans relâche nourrie de sa possible disparition et de ses espoirs de conquêtes...
« De même que la richesse du sol, la propreté des rivières, la pureté de l'air et des
pluies ou le patrimoine architectural, la langue française est menacée. Elle a besoin d'être
respectée, protégée, connue, vivifiée et aimée », proclame Gabriel de Broglie au seuil d'un
ouvrage récent 3. « Que notre confrère le président Leopold Senghor, que notre secrétaire
perpétuel Maurice Druon soient complimentés l'un et l'autre de leur opiniâtreté à affirmer
la francophonie, désormais tâche capitale de tout gouvernement comme le prouve dans les
jours que nous vivons le ministère que dirige notre confrère Alain Decaux. Expression de
notre unité, de notre influence, en un mot de notre souveraineté, elle nous appelle à un
grand et nécessaire combat, cette langue que Clemenceau a qualifiée langue de clarté,
langue d'équité, langue d'amitié, de liberté », martelait en écho Michel Debré,
les francophones sauront maintenir cet outil en usage, le mettre à la portée de tous, le rendre nécessaire
à ceux-là même dont il n'est pas le seul moyen de pensée et d'expression, ou bien la France verra
s'évanouir la dernière chance de son vieux rêve d'universalité (...) ». (Philippe de Saint- Robert,
« Une idée neuve : la francophonie », Hérodote, 42, 1976, p. 130.)
3. Gabriel de Broglie, Le français pour qu'il vive, Paris, Gallimard, 1986, p. 10.
23 prononçant son discours de réception à l'Académie française 4. A ces textes, que l'on
peut attribuer à des militants organiques de la francophonie, font écho des apprécia
tions convergentes où sont mises en avant des considérations d'ordre différent,
scientifique, ou parascientifiques, par exemple. Ainsi, dans une « revue des revues »
traitant du droit et des sciences politiques, un universitaire parisien pouvait écrire en
1986 : « Garant de l'indépendance et de l'intégrité de la nation, le chef de l'Etat doit l'être
avant tout de la pérennité de sa langue. Il n'y a pas d'État sans nation et de nation sans
patrimoine culturel et linguistique commun. La défense du français est, de ce fait, une
affaire intérieure fondamentale 5 . » À ce constat s'ajoutait d'ailleurs immédiatement
après un ensemble de remarques qui précisaient la notion de « défense du français » :
« Attaquée de tous côtés, se rétrécissant comme une peau de chagrin sous les coups de
boutoir de Г anglo-américain (où parle-t-on encore vraiment français dans le monde ?),
notre langue est menacée dans son existence même, non point seulement par l'invasion
étrangère, mais par les Français eux-mêmes, qui n'ont plus pour elle le respect de
naguère ». Dans un contexte apparemment fort différent, « dix linguistiques éminents,
professeurs d'université et au Collège de France et chercheurs au CNRS 6 », justifiaient
un appel pour « une modernisation de l'écriture

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents