Du polygone étoilé au tapis maghrébin : retour sur le motif - article ; n°1 ; vol.83, pg 125-134
11 pages
Français

Du polygone étoilé au tapis maghrébin : retour sur le motif - article ; n°1 ; vol.83, pg 125-134

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
11 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Revue du monde musulman et de la Méditerranée - Année 1997 - Volume 83 - Numéro 1 - Pages 125-134
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 26
Langue Français

Extrait

Jocelyne Dakhlia
Du "polygone étoilé" au "tapis maghrébin" : retour sur le motif
In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°83-84, 1997. pp. 125-134.
Citer ce document / Cite this document :
Dakhlia Jocelyne. Du "polygone étoilé" au "tapis maghrébin" : retour sur le motif. In: Revue du monde musulman et de la
Méditerranée, N°83-84, 1997. pp. 125-134.
doi : 10.3406/remmm.1997.1777
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1997_num_83_1_1777Dakhlia* Jocelyne
étoile" au "tapis maghrébin", Du "polygone
retour sur le motif
Apropos de : "Remarques sur le tapis maghrébin"
(1964b, repris 1978 b);
et de "Musique sur le fleuve": extraits du Kitâb al-Aghânî (1996)
La pensée de Jacques Berque a souvent été définie comme une pensée de la
nuance, du miroitement, du chatoiement. Une telle caractérisation s'enracine év
idemment dans son écriture de "moire", mais on peut aussi, dépassant l'impres
sionnisme de l'image, prendre à la lettre et suivre, dans son œuvre, les résurgences
d'une métaphore, la métaphore du tapis, ou du tissu, maintes fois reformulée,
réitérée, sa vision de la culture comme un tapis, et un tapis chatoyant.
Un article de Jacques Berque est, en premier lieu, explicitement, mais aussi très
classiquement, consacré au tapis maghrébin, défini comme une forme d'expres
sion achevée, « totale », de la culture (1964b). Mais ce texte n'est qu'une pièce parmi
d'autres fragments de l'œuvre de Berque, qui interprètent assez littéralement la
culture islamique comme un tapis. L'enjeu central est en fait celui de l'unité cul
turelle, de la cohérence culturelle et de l'échelle de pertinence de la culture (Dakhli
a, 1995). Ce problème, constant dans la pensée de Berque, est celui de l'articulation
du local et du global, et des fondements d'une culture simultanément ou dis-
EHESS
REMMM 83-84, 1997/1-2 126 1 Jocelyne Dakhlia
tinctivement envisagée comme maghrébine, ou arabe, ou islamique. Les termes
ultimes du problème sont formulés par lui à travers une citation de Pellissier de
Reynaud qui ouvre ses "Cent vingt-cinq ans de sociologie maghrébine" :
« L'humanité est une. Les différences que l'on remarque entre les diverses sociétés
qui la composent sont plus apparentes que réelles » (1956 : 294)1.
Tout à la fois banale et forte, cette citation en exergue est donc en soi, de manière
inaugurale, sous le signe du chatoiement. De la même façon, la question de
l'apparence, ou de la relation entre le réel et l'apparence sous-tend la chaîne des
métaphores que Berque rattache aux motifs - car il convient, à le suivre, d'af
fecter le pluriel au "motif"2.
Sans doute la métaphore du tapis est-elle loin de lui appartenir en propre. Elle
est d'un usage sociologique banal, sans même évoquer sa fortune ethnologique,
ou encore philosophique et, au Maghreb même, d'autres auteurs lui ont conféré
une très fine formulation. Pierre Bourdieu notamment, dans sa Sociologie de
l'Algérie^ décrit l'interpénétration des arabophones et des berbérophones, des
sédentaires et des nomades, des montagnards et des gens de la plaine sous le signe
d'une "koinè culturelle" et il recourt à la métaphore de la tapisserie en insistant
précisément sur l'idée du ' motiP : « Sur cette tapisserie aux lignes emmêlées, des
motifs se détachent, mais toujours ton sur ton » (Bourdieu, 1962 : 82).
L'idée du chatoiement, et le problème de l'articulation du semblable et du dif
férent, sont donc également présents dans cette perception de l'Algérie. Une
autre métaphore les complète, Bourdieu évoquant le « mécanisme kaléidosco-
pique » de la société algérienne qui combine « diversité et uniformité, unité et
multiplicité » (ibid.).
Une troisième métaphore, voisine de celle du kaléidoscope, est d'ailleurs déve
loppée dans un texte de Berque contemporain de Sociologie de l'Algérie; il s'agit
de la mosaïque, évoquée dans "Qu'est-ce qu'une tribu nord-africaine?", à travers
laquelle se retrouve l'idée que des éléments semblables se combinent dans l'a
pparence du multiple, ainsi que l'image d'un système clos (1954 ; repris in 1974 :
22-34)3. L'image similaire du "miroir éclaté" est enfin présente dans l'un des der
niers textes rédigés par Berque, dans l'introduction à ses "morceaux choisis" du
KitâbalAghânP.
1. La citation est extraite de E. Pellissier de Reynaud, Annales algériennes (1854, t. III : 426 su.).
2. Sur le tissu ou le vêtement qui « révèlent, mettent en valeur ou diminuent la réalité d'une per
sonne ou d'un espace », voir Grabar 1996 : 124.
3. « Ce qui nous frappe, c'est non seulement la ténuité de l'appareil, mais aussi le retour des
mêmes teintes, le nombre somme toute limité des couleurs employées » (1954).
4. Berque établit une comparaison entre des œuvres gréco-latines également composées d'anec
dotes et de fragments, et leur équivalent islamique : « II nous semble que dans les œuvres isl
amiques le rapport des fragments au tout est d'un autre ordre et que, dans les écrits profanes
même, il n'est pas sans rappeler l'ordre synchronique du Coran, sa présentation comme en
"miroir éclaté" » (1996 : 29) - Berque précise que cette image est empruntée au Miroir du
Prophète. Psychanalyse et Islam de J. M. Hirt (1993). "polygone étoile" au "tapis maghrébin" : retour sur le motif/ 127 Du
Cependant, c'est la métaphore du tapis qui va s'imposer dans sa pensée, et qui
le distingue d'autres auteurs par la continuité et la force avec laquelle il va en faire
usage. Tantôt Berque s'y réfère d'une manière purement suggestive, à travers
l'idée de l'"entrelacs", de l'"enchevêtrement", comme dans "Ce texte algérien du
XVIe siècle...", où il évoque « un enchevêtrement de motifs », « une construc
tion de l'ouvrage hagiographique selon un appareil alterné ou embrassé » (1976b :
74 sq.). Tantôt l'image se déploie sous une forme infiniment plus argumentée.
Or la force de la métaphore du tissage, telle que l'exprime Berque, lui vient de
son recours au motif, "point" qui nous retiendra en particulier, parce qu'il touche
à la difficulté de formuler ce qui constitue la cohérence même d'une culture et
ses limites (Dakhlia, 1995).
Le polygone expansé
Un motif entre tous emblématiserait, selon Berque, la culture islamique, du
Maroc à l'Iran. Ce motif qu'il qualifie de « socio-gramme », c'est le « polygone
étoile » (1961b). Une telle figure, « combinaison du cercle et du carré », revient
à profusion, à son sens, « de l'Atlantique à l'Indus » (ibid.), unissant le tapis des
steppes tunisiennes et la mosquée iranienne. Ce motif privilégié du tapis, et
plus spécialement du tapis maghrébin, "s'étoile", selon l'une de ses formules, dans
l'ensemble du monde islamique, et dans l'ensemble de ses manifestations culturelles
{op. cit. : 540). Plus audacieusement encore, à la suite de certains historiens de
l'art, notamment E. Diez, Berque interprète le polygone étoile comme la pro
jection au sol de la qubba, de la coupole, qui combine elle-même une forme cir
culaire et une forme carrée ; le tapis des « coupoles montées sur quatre murs qui
parsèment la campagne maghrébine » lui paraît être ainsi le reflet, l'image, ou
la matrice homothétique du tapis aux polygones étoiles (1978a : 554).
Telle est donc une première signification du tapis et de ses motifs : l'unité, la
continuité culturelle. Cette continuité s'entend tout d'abord au sens le plus phys
ique, dans la récusation de toute réduction au local. Dans l'une de ses critiques
de la théorie segmentaire et, à travers elle, de toute interprétation fondée sur la
réduction au local, Berque écrit, notamment, dans "Logiques d'assemblage au
Maghreb" :
« Comment méconnaî

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents