Entretien avec Henri Alleg - article ; n°1 ; vol.57, pg 109-129
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Description

Mots - Année 1998 - Volume 57 - Numéro 1 - Pages 109-129
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 31
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Lamria Chetouani
Entretien avec Henri Alleg
In: Mots, décembre 1998, N°57. pp. 109-129.
Citer ce document / Cite this document :
Chetouani Lamria. Entretien avec Henri Alleg. In: Mots, décembre 1998, N°57. pp. 109-129.
doi : 10.3406/mots.1998.2391
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1998_num_57_1_2391Lamria CHETOUANF
Entretien avec Henri Alleg (6 mars 1998)
vos Lamria réflexions Chetouani sur l'Algérie : Nous : aimerions l'Algérie du parler passé, de l'Algérie votre travail d'aujourd- et de
hui, l'Algérie de demain. La première interrogation porte sur votre
livre. La Question a été le pont, l'arche qui a fait communiquer
deux mondes. Bien qu'elle ne représente qu'un témoignage personn
el, elle reflète les méfaits de la machine infernale de la guerre et
fraye la voie vers le chemin de la vérité. Pensez-vous que le succès
qu'elle a eu soit à la mesure de l'humiliation que vous avez subie ?
Henri Alleg : Tout d'abord, puisque nous devons parler des mots,
je trouve que vos mots sont un peu exagérés. J'étais journaliste et
je ne concevais pas seulement mon travail comme celui d'un homme
qui rendait compte. Dans une Algérie coloniale, on se situait
obligatoirement d'un côté ou de l'autre de la barricade. D'un côté,
il y avait ceux qui étaient avec le peuple algérien dans la conquête
(ou la reconquête) de son indépendance et dans la volonté de créer
un pays dont tous les habitants, quelle que soit leur origine, vivent
dans les mêmes conditions d'égalité. D'un autre côté, il y avait
ceux qui, soit par aveuglement soit par intérêt, voulaient maintenir
le système. Moi, pas seul heureusement mais avec beaucoup d'autres
Européens, j'étais du côté de ceux qui pensaient que le système
colonial ne pouvait pas continuer. Par conséquent, La Question1,
° Laboratoire de lexicométrie politique, ENS de Fontenay/Saint-Cloud, et IUFM
de Bretagne.
1. La Question a été publiée à Paris, aux Édition de Minuit, 1958. Henri Alleg
est également l'auteur de plusieurs ouvrages, dont voici les principaux titres :
Prisonniers de Guerre, Paris, Édition de Minuit, 1961. Victorieuse Cuba, Paris,
Édition de Minuit, 1963. Les Chemins de l'Espérance, Paris, Édition de la FNDIRP,
1979. La Guerre d'Algérie (ouvrage collectif, sous la direction d'Henri Alleg), Paris,
Messidor, 1981-1982, 3 volumes. Étoile rouge et Croissant vert, Paris, Messidor,
1983. 505 America !, Paris, Messidor, 1985. L'URSS et les Juifs, Le Temps
des Cerises, 1989. Requiem pour l'Oncle Sam, Paris, Messidor, 1991. La Grande
Aventure a'Alger Républicain (avec la collaboration d'Abdelhamid Benzine et de
Boualem Khalfa), Paris, Messidor, 1987. Le Siècle des Dragons, Paris, Le Temps
des Cerises, 1994. Le Grand Bond en arrière, Paris, Le Temps des Cerises, 1997.
109 puisque c'est de cela qu'il s'agit, La Question était un témoignage
personnel mais qui aurait pu être celui de dizaines et de dizaines
de milliers d'Algériens. En fin de compte, je continuais mon travail
de journaliste. J'étais directeur du journal Alger Républicain, et il
y eut de multiples saisies du journal tout simplement parce qu'on
interviewait des Algériens qui venaient nous raconter comment ils
avaient été traités et parce qu'on disait des choses qu'il ne fallait
pas dire, par exemple sur la torture. Il était interdit de dire ces
choses-là et quand on en parlait, on était immédiatement accusé de
falsifier la réalité, de salir la police, l'armée française, les autorités,
etc. Par conséquent, quand j'ai écrit ce livre dans des conditions
tout à fait différentes, je n'ai fait que continuer mon travail. Un
mot simplement pour les circonstances historiques. J'ai été enfermé
dans la prison Barberousse à Alger, et il n'était pas question d'écrire
parce que c'était très compliqué, très risqué, y compris pour ceux
qui étaient enfermés avec moi. Il fallait donc un certain consensus
parmi les autres prisonniers pour se risquer à le faire. Au moment
où j'y étais, je n'y pensais pas. Je sortais des chambres de torture
et des camps d'internement. Comme tous les autres prisonniers,
*r-f*' '■ j'attendais la suite... C'est maitre Matarasso — Léo Matarasso,
décédé il y a quelques jours et qui a été un des organisateurs du
tribunal Bertrand Russel sur les crimes de guerre commis au
Vietnam — qui a fait pression sur moi, me disant : « II faut que
tu décrives ce que tu as subi, tu es un journaliste, personne d'autre
que toi ne peut le faire, ce serait extrêmement utile ! ». Alors, c'est
poussé par lui et c'est en accord avec ceux qui étaient autour de
moi, que j'ai écrit ce livre. On m'avait isolé, ainsi que d'autres :
responsables du FLN et communistes. La plupart des prisonniers
étaient répartis dans de grandes salles : ils étaient cent, cent vingt,
cent trente par salle. J'étais d'abord seul, ensuite dans une cellule
de trois parce qu'on considérait que certains « rouges » pouvaient
être dangereux et qu'il valait mieux qu'ils n'aient pas de contacts
avec d'autres prisonniers. J'ai donc commencé à écrire, mais le
problème était de sortir ces pages ; page par page, cela a duré
assez longtemps. Ces pages, grâce à la complicité des avocats, sont
sorties de prison avec beaucoup de risques pour eux aussi. Les
* avocats qui nous défendaient étaient bien souvent menacés de mort
par les groupes ultras de l'« Algérie française ». Certains ont été
arrêtés au moment de la prise de pouvoir par les généraux factieux.
Ce n'était pas une chose facile pour eux, ça ne l'était pas pour
les prisonniers, ça ne l'était pas non plus pour moi. Finalement,
ces papiers ont été transmis à Paris. Gilberte, ma femme, a été
expulsée d'Algérie : je n'avais personne avec qui parler, au parloir,
110 les avocats qui venaient une fois tous les mois ou tous les sauf
deux mois. Ces textes sont enfin sortis et ont été tapés. L'idée tout
d'abord de ceux qui m'ont aidé était d'en faire une brochure —
brochure du Secours populaire — et c'est Matarasso qui a dit
« non, il faut en faire un livre ! ». Mais trouver un éditeur à cette
époque pour un tel livre n'était pas facile. Il fallait beaucoup de
courage en prendre le risque. Les divers éditeurs sollicités
disaient tous qu'il fallait imprimer ce livre mais se renvoyaient la
balle. C'est finalement Jérôme Lindon, directeur des éditions de
111 Minuit — ces éditions, nées pendant l'Occupation, avaient une sorte
de tradition, puisque c'est elles qui avaient édité des livres ant
iallemands, anti-collabos, des poèmes de la Résistance — qui a
décidé de faire paraitre ce livre en prenant très intelligemment les
dispositions nécessaires pour que quelques dizaines de milliers
d'exemplaires soient sortis avant sa saisie. C'est ce qui a été fait.
L. С : Dans la première édition de La Question, les noms propres
étaient remplacés par des blancs ; dans la seconde, par des initiales.
Cette courageuse dénonciation s'accompagnait d'une grande pru
dence (
H. A : C'est Jérôme Lindon qui a décidé de ne mettre que les
initiales pour éviter les poursuites. , t
L. С : Quels sentiments avez-vous éprouvés à la suite de cette
publication ? ^ , ,
H. A : J'ai été extrêmement surpris de ce bruit énorme qu'a fait
La Question. Pourquoi étonné ? C'est peut-être mon état d'esprit de
l'époque et celui de tous les Algériens. En Algérie, pendant la
guerre, l'attitude des autorités à l'égard de la torture était tout à
fait différente de l'attitude des autorités françaises en France. Dire
que l'armée torturait était une insulte dans l'esprit des Français, au
point que, quand on commençait à reconnaître qu'il y avait des
gens qui avaient pu torturer, on disait que c'était des Allemands,
des anciens SS qui s'étaient engagés dans la Légion, parce qu'un
Français ne pouvait pas faire cela. Et d'autre part, c'

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