L aliénation dans le roman maghrébin contemporain - article ; n°1 ; vol.18, pg 149-158
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Description

Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée - Année 1974 - Volume 18 - Numéro 1 - Pages 149-158
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1974
Nombre de lectures 43
Langue Français

Extrait

Isaac Yetiv
L'aliénation dans le roman maghrébin contemporain
In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°18, 1974. pp. 149-158.
Citer ce document / Cite this document :
Yetiv Isaac. L'aliénation dans le roman maghrébin contemporain. In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée,
N°18, 1974. pp. 149-158.
doi : 10.3406/remmm.1974.1290
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1974_num_18_1_1290L'ALIÉNATION
DANS LE ROMAN MAGHRÉBIN CONTEMPORAIN
par Isaac YETIV
Parler d'aliénation c'est pénétrer en même temps un terrain vague et un
sentier battu. On a beaucoup usé, et souvent abusé, de ce terme et même si on
laisse de côté ses deux sens propres, le juridique et le médical, la confusion
continue à régner entre les différentes et nombreuses acceptions de ce terme pris
au figuré. Elles ont toutes cependant un élément commun : devenir ou rendre
étranger.
Rousseau déjà déplorait l'aliénation de l'homme de la nature et exaltait "le
bon sauvage", le naturel primitif. Et le Romantisme dont il fut le précurseur ne
prônait-il pas un retour à la nature oubliée pendant près de deux siècles ? De
même, on peut voir le communisme de Marx comme une tentative de désaliéner
l'homme de la société de production qui venait de le subjuguer, comme un moyen
de le libérer, selon l'auteur du Capital, de-cette "condition humaine où son propre
acte (la production des biens de consommation) devient pour lui une force
étrangère qui le dépasse et qui œuvre contre lui au lieu d'être gouvernée par lui".
Aujourd'hui, plus d'un siècle après Marx, dans notre civilisation du crédit et de
l'ordinateur, cette "condition humaine" dont-il parle est devenue une condition
d'existence pour notre génération. L'homme moderne, par son désir effréné et sa
soif insatiable d'acquisition de biens matériels, est devenu l'esclave de sa création,
de la voiture et de la carte de crédit et, de ce fait, étranger à lui-même tel ce
personnage tragi-comique du théâtre d'Ibsen, ce Peer Gynt qui, à force d'errer à la
poursuite du gain matériel, en arrive à la perte de son être le plus profond, de
l'essence même de son image humaine. L'homme d'aujourd'hui semble aliéné de sa
propre pensée. Pour se prouver qu'il existe, il n'a plus recours au "cogito" de
Descartes. A la formule cartésienne "Je pense, donc je suis", il a substitué une
autre, plus moderne : "Je consomme, donc je suis" et souvent même sa
réciproque : "Je suis, donc je consomme". Notre contemporain Eric Fromm va
plus loin dans son investigation de l'aliénation qu'il trouve même dans la pratique
de l'idolâtrie. Selon lui, ce n'est pas le grand nombre de dieux qui rend jaloux le
Jéhova de l'Ancien Testament, mais plutôt le fait que l'idolâtre adore sa propre
créature et en devient l'esclave soumis, déshumanisé et sans âme. Fromm
considère également comme aliéné tout homme qui abdique sa volonté et son
jugement au profit d'un quelconque leader politique ou même de l'Etat comme le
préconisait Rousseau. I. YETIV 150
A ces "aliénations" d'origine économique et sociale, vient de s'ajouter
l'aliénation "métaphysique", mise en vogue par les philosophies de l'Existentia
lisme et de l'Absurde qui, malgré leur dorure quelque peu artificielle de "liberté"
et de "révolte", n'en sont pas moins angoissantes et pessimistes. La gratuité de
l'existence et la contingence de la vie humaine impuissante devant les terribles
fléaux, la négation d'une Force Suprême de référence et de résignation creusent
encore plus profond ce sentiment d'étrangement de l'homme de son monde, cet
abîme insondable entre ce qu'on est et ce qu'on voudrait être qui est le propre de
la "condition humaine". L'homme atomisé de Kafka, n'ayant de nom qu'une
initiale, est écrasé entre les roues inhumaines et implacables de la technobureauc
ratie et du totalitarisme et le tyran romain tout-puissant de la pièce de Camus
découvre, après la mort de sa sœur-amante, la grande cause de l'absurde de
l'existence, que "les hommes meurent et qu'ils ne sont pas heureux". Monsieur K.
et Caligula ne sont pas de leur monde : le premier s'en est trouvé aliéné malgré
lui, le second s'en est délibérément aliéné.
J'ai brièvement brossé un tableau des différents "cas" d'aliénation pour
mieux définir l'objet de ma communication qui a trait à l'aliénation de l'intellec
tuel maghrébin telle qu'elle nous apparaît dans la littérature écrite et surtout dans
le roman. Disons tout de suite que la plupart des œuvres étudiées étant à
caractère autobiographique, on peut aisément confondre l'auteur et le protagon
iste.
L'aliénation de l'écrivain maghrébin, tout en puisant ses sources lointaines
dans l'économie et la politique, fut causée directement par une rencontre-choc de
deux civilisations différentes, voire même opposées, l'une, native, archaïque,
politiquement perdante, celle du colonisé, l'autre, adoptive, prestigieuse, conquér
ante, celle du colonisateur français. Soumis à cette double tension, "l'évolué"
maghrébin a dû faire un choix : les deux cultures ne pouvaient vivre en symbiose,
le brassage était impossible, il fallait raser l'ancien et lui substituer le nouveau. Il
n'y a donc pas eu juxtaposition mais plutôt une superposition imposée de la
culture étrangère à la culture autochtone qui devait être bannie de toutes les
mémoires et dont l'existence même était contestée par le colonisateur. L'intellec
tuel maghrébin était condamné à observer sa douloureuse métamorphose, à
constater amèrement comment son "je" devenait de plus en plus "autre",
comment l'abîme entre lui et les siens, non affectés par l'acculturation intense
qu'il subissait, se creusait un peu plus chaque jour et devenait de plus en plus
difficile à franchir, comment il devenait étranger à son clan, à sa religion, à ses
traditions et aussi étranger à lui-même. L'aliénation de l'écrivain maghrébin n'a
donc rien de métaphysique. L'angoisse dont il souffrait était due à son écartèle-
ment entre les deux parties de son être, à sa schizophrénie culturelle et n'avait
rien de commun avec celle qu'exprimaient les écrivains contemporains de
l'Absurde et de la "condition humaine". Ce n'était pas l'Homme transcendant
l'espace et le temps qui était l'objet de leur réflexion mais un certain homme bien
défini dans le hic et nunc et bien "situé" dans le contexte politico-social : c'était
le Nord-Africain indigène colonisé acculturé du lendemain de la seconde guerre
mondiale. • L'ALIENATION DANS LE ROMAN MAGHREBIN 1 5 1
J'ai longtemps hésité à intituler mon ouvrage "Le Thème de l'Aliénation
préférant à ce terme à connotations multiples celui, non moins usé de "Crise
d'Idendité" ; je l'ai cependant retenu car il m'a semblé le mieux représenter ce
phénomène sui generis de la littérature maghrébine d'expression française. En fait,
l'Aliénation présuppose l'Identité dont elle est le négatif et qu'elle dépasse,
comme la Mort la Vie. C'est en somme la perte de l'identité, qu'elle
soit individuelle ou ethnique, et les efforts pour recouvrer cette identité perdue
qui constituent ce que l'on est convenu d'appeler la "Crise d'identité". Comme la
vie, l'identité est un phénomène dynamique, souvent menacé par certains virus de
nature psychologique, socio-politique ou culturelle ou encore par certaines "mal
formations congénitales" dues à des "accidents de naissance". Comme le malade,
l'homme en proie à la crise d'identité lutte farouchement, guidé et soutenu par le
même "instinct de conservation". S'il triomphe, il recouvre sa santé et s

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