La pratique de la mu âwada (échange de biens habûs contre propriété privée) à Alger au XVIIIe siècle - article ; n°1 ; vol.79, pg 55-72
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La pratique de la mu âwada (échange de biens habûs contre propriété privée) à Alger au XVIIIe siècle - article ; n°1 ; vol.79, pg 55-72

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Revue du monde musulman et de la Méditerranée - Année 1996 - Volume 79 - Numéro 1 - Pages 55-72
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 22
Langue Français
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Extrait

Tal Shuval
La pratique de la mu âwada (échange de biens habûs contre
propriété privée) à Alger au XVIIIe siècle
In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°79-80, 1996. pp. 55-72.
Citer ce document / Cite this document :
Shuval Tal. La pratique de la mu âwada (échange de biens habûs contre propriété privée) à Alger au XVIIIe siècle. In: Revue du
monde musulman et de la Méditerranée, N°79-80, 1996. pp. 55-72.
doi : 10.3406/remmm.1996.1735
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1996_num_79_1_1735Shuval* Tal
La pratique de la muawada
(échange de biens habûs contre propriété
privée) à Alger au XVIIIe siècle**
Lors de la conquête d'Alger, en 1830, l'administration française fut très impres
sionnée par le grand nombre de biens immobiliers constitués en waqf qu'elle
avait trouvé dans cette ville. « L'administration est convaincue que les habous, soit
originaires, soit convertis en ana [...] ont envahi à peu près la totalité de la pro
priété immobilière dans l'intérieur, et assez loin autour des villes », écrivait
M. Worms (1884, 30), quelques années plus tard. Les chiffres avancés par les dif
férentes recherches concernant le waqfk Alger, même s'ils sont peu fiables, peu
vent nous aider à comprendre l'importance du phénomène waqf dans cette ville1.
Ainsi, on trouve chez M. Pouyanne, qu'il y avait à Alger « 8000 immeubles
dont 5 000 appartenaient au beylik, 2000 environ aux corporations pieuses (c'est-
à-dire waqf) [. . .] et 1 000 seulement aux particuliers. Ces chiffres, constate l'au
teur, résultent d'un recensement opéré en octobre 1830 par ordre du Général Clau-
* Université Ben-Gurion, Negev.
** Je suis très reconnaissant à M. Hoexter, dont l'article (1984) a inspiré cette étude ; ses avis m'ont beau
coup aidé.
1. Tous les chiffres concernant les biens immobiliers dans la ville d'Alger doivent être traités avec précaution,
comme d'ailleurs doivent l'être toutes les statistiques concernant cette ville à l'époque turque (et en par
ticulier la population) (Cresti, 1987, 125-133 ; Raymond, 1985, 63) ; Venture de Paradis, 1983, 48).
REMMM 79-80, 1996/1-2 56/TalShuval
zel » (Pouyanne, 1900, 333 n° 2). Dans une autre recherche, effectuée quelques
années seulement après la prise d'Alger, il est dit que « dans leur ensemble les mos
quées, les principaux marabouts et les autres établissements [...] possédaient,
d'après le travail minutieux qui a été fait en 1836 : Propriété : 1 717, Anas :
1 039, Total : 2756 » (Ministère de la Guerre, 1838, 224). D'après la même
source (tableau p. 222), à lui seul le waqf al-Haramayn comptait 1419 biens
habûs « de toute nature, tant dans la ville que dans la campagne2 ». A. Devoulx,
qui étudia les waqfiyyâtàe cet établissement avait compté 1 558 biens (1862,
1 5). A titre de comparaison, le registre de biens habûs àe la Grande Mosquée, al-
Jâmï cd-A'iam énumère 558 titres de biens waqf as. toute nature pour la seule ville
d'Alger3. Même si l'on admet que nombre des biens habûs n'étaient que des bou
tiques (hânût) ou des parties de maisons, il n'en demeure pas moins qu'une
grande partie des immeubles dans cette ville était constituée en waqf "(entre 25 et
30 % d'après les sources mentionnées).
Le problème que posaient aux Français tous ces biens waqf est ainsi décrit par
E. Zeys (1886, II, 181) :
« Quand la France s'est emparée de la Régence, elle a trouvé les cinq dixièmes du
sol immobilisé, soustrait à toute transaction. Elle ne pouvait pas admettre une
pareille situation. Nous n'avions pas conquis un vaste et riche territoire pour y vivre
au jour le jour, sans y prendre pied d'une façon durable ; c'eût été nous désintéres
ser de tout projet d'avenir, permettre au peuple vaincu de se soustraire à la grande
loi du progrès, laisser improductifs d'immenses espaces et ôter à notre conquête toute
valeur, toute signification. Notre mission économique était donc de lutter avec
énergie contre les conséquences désastreuses d'un système aussi préjudiciable aux indi
gènes eux-mêmes qu'aux immigrants français.4 » (E. Zeys, 1886, 181)
Le fait que tant de biens immobiliers constitués en habûs aient été hors de por
tée des conquérants est une des raisons qui ont imposé l'image traditionnelle du
waqf 'comme un fardeau, pesant lourdement sur la vie économique en général,
et sur le commerce de biens fonciers en particulier. Les pouvoirs européens, et
notamment la France, y voyaient un obstacle au développement économique de
leurs colonies musulmanes (Heffening, 1 159). « Le principal effet du habous est
de faire sortir du commerce le bien qui en est grevé » (Pouyanne, 1900, 92), ou
encore : « dans tout l'Islam, les habous privés ont souvent été dilapidés et, de plus,
cette masse de biens, inaliénables, insaisissables, incessibles, gêne considérablement
les transactions » (Bousquet, 1954, 190). Telles sont les remarques qui dessinent
clairement cette représentation du waqf.
D'après cette image, le commerce des biens immobiliers dans une ville telle qu'Al-
2. Cf. tableau p. 222.
3. Centre d'Archives d'Outre-Mer (CAOM) à Aix-en-Provence, IMi 64 n. 8. Ce registre a été publié par
A. Temimi (octobre 1980, 1526-216 de la partie arabe).
4. Sur la manière dont ce problème a été résolu, voir Powers, 1989, 535-571. pratique de la muâwada à Alger au XVIIIe siècle 1 57 La
ger à l'époque ottomane aurait donc dû être très difficile, pour ne pas dire imposs
ible. Il est vrai que dans le mot même waqf bu habûs on trouve la notion d'im
mobilisation, et que cette notion est un trait fondamental du MW^Heffening,
1096; Pesle, 1941 (?), 134; Dulout, 1983, 214; Mercier, 1895, 11). Toutefois,
nous savons que malgré leur apparente immobilisation, les biens gérés par les dif
férents awqâfne restaient pas figés, et que ni le commerce de biens fonciers ni les
nouvelles constructions, même sur les terrains appartenant aux divers awqâf, ne
cessèrent à Alger pendant l'époque turque.
La réintégration des biens habûs dans le cercle du commerce et de la construc
tion dans une ville où la densité était très grande, et dans laquelle on ne trouvait
guère d'espaces ouverts disponibles, était une question d'une importance pri
mordiale5. Différents moyens furent donc employés à Alger pour arriver à cette
fin, le plus répandu étant le contrat de 'anâ', qui selon la définition de M. Hoex-
ter, consiste « en un bail perpétuel de l'emplacement et une aliénation de la pro
priété primitive (c'est-à-dire waqf), auxquels est joint un droit, qui est à la fois une
obligation de remettre l'emplacement en valeur et une assurance au preneur du
droit de propriété sur ce qu'il élèvera sur l'emplacement; droit qui est condi
tionnel du paiement de la rente » (M. Hoexter, 1984, 257). Un autre moyen, moins
répandu que le 'anâ', mais assez fréquent, était l'échange des biens habûs contre
des biens milk, suivant la formule de Y istibdâl ou de la muâwada^. Sur un total
de 917 entrées que comptent les trois registres des biens habûs et des biens du bey-
lik consultés pour cette étude, 81 entrées (environ 9 %) concernent des biens acquis
par voie d'échange7. Ce moyen, qui est considéré comme « a semi-legal device »,
consiste en l'échange d'un waqf contre un autre bien de la même valeur qui
devient waqf à son tour. Quant à l'ancien bien waqf, A devient alors la propriété
de l'ancien propriétaire du dit bien (Gibb et Bowen, 1950-1957, 178).
A l'aide de cinq documents8, soit deux actes originaux de muâwada, deux copies
attestées par le cadi d'actes semblables, et un document comprenant le résumé de
deux actes d'échange, nous nous proposons d'analyser le déroulement de l'échange
de biens habûs contre des biens milk, tout en vérifiant la conformité de la pro
cédure avec les règles obligatoires9.
Le document A, de mi dhûl-qa'da 1114 H./ début a

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