Le catholicisme espagnol à l'épreuve de la movida - article ; n°1 ; vol.66, pg 53-66

Benoît Pellistrandi

Description

Vingtième Siècle. Revue d'histoire - Année 2000 - Volume 66 - Numéro 1 - Pages 53-66
Du prêtre d'après guerre, censeur pudibond au service du franquisme triomphant, à la jeune religieuse séropositive de Tout sur ma mère (Pedro Almodovar, 1998), l'Espagne semble avoir connu une évolution d'une rapidité exceptionnelle. Mais il ne faut pas s'en tenir à l'écume médiatique et aux idées reçues. Cette évolution est aussi passée par l'essor des nationalismes périphériques, le succès persistant de l'Opus Dei et la vitalité du débat ecclésiologique. La crise qu'a connue le catholicisme espagnol dans les années 1970, parce qu'elle l'a contraint à chercher en lui-même les formes et les limites de son adaptation au siècle, lui permet aujourd'hui de conserver son influence singulière dans le catholicisme mondial.
Spanish Catholicism Tested by the Movida.
From the post-war priest, a prudish censor in the service of triumphant Francoism, to the young HIV-positive nun in All About My Mother (Pedro Almodovar, 1998), Spain seems to have undergone a particularly rapid change. But one must not believe everything spewed out by the media and preconceived ideas. This change bas also gone through the development of peripheral nationalisms, the persistent success ofthe Opus Dei and the vitality of the ecclesiastic debate. The crisis it went through in the 1970s, because it forced Spanish Catholicism to look in itselffor the forms and limits of its adaptation to the century, enables it to maintain its singular influence today in world Catholicism.
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: VINGTIEME_SIECLE-_REVUE_D-HISTOIRE
• Publié le: 01 janvier 2000
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Extrait

Benoît Pellistrandi
Le catholicisme espagnol à l'épreuve de la movida
In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°66, avril-juin 2000. pp. 53-66.
Résumé
Du prêtre d'après guerre, censeur pudibond au service du franquisme triomphant, à la jeune religieuse séropositive de Tout sur
ma mère (Pedro Almodovar, 1998), l'Espagne semble avoir connu une évolution d'une rapidité exceptionnelle. Mais il ne faut pas
s'en tenir à l'écume médiatique et aux idées reçues. Cette est aussi passée par l'essor des nationalismes
périphériques, le succès persistant de l'Opus Dei et la vitalité du débat ecclésiologique. La crise qu'a connue le catholicisme
espagnol dans les années 1970, parce qu'elle l'a contraint à chercher en lui-même les formes et les limites de son adaptation au
siècle, lui permet aujourd'hui de conserver son influence singulière dans le catholicisme mondial.
Abstract
Spanish Catholicism Tested by the Movida.
From the post-war priest, a prudish censor in the service of triumphant Francoism, to the young HIV-positive nun in All About My
Mother (Pedro Almodovar, 1998), Spain seems to have undergone a particularly rapid change. But one must not believe
everything spewed out by the media and preconceived ideas. This change bas also gone through the development of peripheral
nationalisms, the persistent success ofthe Opus Dei and the vitality of the ecclesiastic debate. The crisis it went through in the
1970s, because it forced Spanish Catholicism to look in itselffor the forms and limits of its adaptation to the century, enables it to
maintain its singular influence today in world Catholicism.
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Pellistrandi Benoît. Le catholicisme espagnol à l'épreuve de la movida. In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°66, avril-juin
2000. pp. 53-66.
doi : 10.3406/xxs.2000.4562
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_2000_num_66_1_4562CATHOLICISME ESPAGNOL LE
À L'ÉPREUVE DE LA MOVIDA
Benoît Pellistrandi
En 1989, interrogé sur le rôle attendu de ils n'en rendent pas moins compte du sen
l'Église polonaise dans le passage à la dé timent né d'une connaissance superficielle
mocratie, Adam Michnik souhaitait pour de l'Espagne.
son pays une évolution « à l'espagnole ». L'Espagne reste, encore aujourd'hui, une
On trouvera ici des clés pour en comsociété marquée par le catholicisme. Le pro
prendre les spécificités. Le national-catho testantisme représente à peine 200 000 per
licisme de Franco n'a pas réduit au silence sonnes, soit 0,5 % de la population, le
les nationalismes catholiques du Pays judaïsme est purement testimonial - 0,1 %
basque et de la Catalogne. Leur vigueur, à de la population - et l'islam ne se déve
la fin de la dictature, n'était qu'un des loppe que très lentement en raison de l'ap
signes de la mutation en cours dans parition récente des flux d'immigration en
l'Église espagnole. Mais la place de celle-ci provenance du Maghreb '. Étudier cha
dans la transition ne peut être symbolisée cune de ces minorités religieuses relève
seulement par la figure du père Constantin d'une tout autre logique que celle qui
dans La ley del äeseo de Pedro Almodovar. consiste à décrire et tenter d'expliquer
C'est à une interprétation nuancée du re l'évolution contemporaine du catholicisme
vival religieux contemporain que nous espagnol. Celle-ci permet, d'une part, de
convie Benoît Pellistrandi. réfléchir sur les liens entre Église et poli
tique et, d'autre part, de s'interroger sur la
Pour les observateurs du phénomène signification de l'exceptionnelle rapidité de
religieux en Europe, l'Espagne pré la sécularisation de la société.
sente des caractéristiques parti Il faudra, dans un premier temps, rap
culières qui, au-delà des idiosyncrasies peler les grands axes de l'histoire rel
nationales, posent plusieurs questions fon igieuse des cinquante dernières années
damentales quant à la place de la religion pour aider à comprendre la transition
dans les sociétés occidentales. Des images entre un temps où État et Église semb
de l'association Église-État au temps du laient liés par le partage d'une même
franquisme à celles des films d'Almodovar vision sociale et politique et celui
qui mettent en scène des homosexuels, des d'aujourd'hui où le fait religieux a perdu, marginaux de toutes sortes et s'offrent le sinon de sa visibilité à travers le maintien
plaisir de provocations en tous genres, on des rites populaires, du moins de sa force se demande naturellement comment l'évo sociale. L'analyse de cette « transition lution a pu être aussi brutale et rapide.
religieuse », pour caractériser le passage Comme il paraît loin le temps de la censure d'une société dominée et contrôlée par les pudibonde, fondée sur le moralisme rigide
des ecclésiastiques de l'immédiat après- 1. Cf. Danielle Rozenberg, « Minorïas religiosas y cons-
truccion democrâtica en Espana (Del monopolio de la guerre civile ! Et pourtant, elle était encore
Iglesia a la gestion del pluralismo) », Revista Espanola de In- en vigueur, il y a seulement vingt-cinq ans. vestigaciones Sociolôgicas (REIS), 1A, avril-juin 1996, p. 245-
Pour caricaturaux que soient ces exemples, 265.
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Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 66,
avril-juin 2000, p. 53 à 66. :
Benoît Pellistrandi
hiérarchies religieuse et politique, asso massacres de prêtres, religieux et rel
ciées dans le projet politique du fran igieuses, a marqué le point culminant de
quisme, à une société démocratique dans cette violence. 6 833 religieux ont été assas
laquelle la place de la religion est en recul, sinés, (4 185 prêtres séculiers parmi les
commande de s'interroger ensuite sur les quels 13 évêques, 2 365 moines et 283 rel
stratégies religieuses, les politiques du igieuses) l. En dépit des répercussions
clergé et les attitudes des Espagnols face à internationales de la question basque, la
mémoire ecclésiale de la guerre civile rela religion depuis 1970.
tient à peine, pour ne pas dire jamais, le
cas des prêtres basques fusillés par les o EN PROIE AU FRANQUISME
franquistes lors de la conquête du Pays
basque. Aux temps triomphants du national-ca
Le régime de Franco fait la part belle à tholicisme de Franco, l'Église espagnole
l'Église : les jésuites expulsés en 1932 peus'est engagée dans une entreprise de re-ca-
vent revenir en Espagne dès 1938, les autortholicisation de la société avec le soutien
ités religieuses ont un droit de contrôle de l'appareil d'État. Dès le début de la
sur l'enseignement public. Dans le fuero guerre civile, elle a pris parti pour les mili
des Espagnols, une sorte de charte fondataires soulevés. La violence de l'affront
mentale du régime promulguée en 1945, le ement entre la République et l'Église ex
catholicisme est religion d'État et l'État est plique en grande partie ce choix politique.
qualifié de « catholique, social et repréIl relève aussi d'une compréhension très
sentatif » 2. Dans ces conditions, la négociatcléricale de la place de l'Église dans la so
ion d'un nouveau concordat avec le Saint- ciété. La tentative de laïcisation à marche
Siège est facilitée. Elle aboutit en 1953. forcée conduite par les républicains, tant
Tout en gardant des positions de force, dans la Constitution de 1931 que dans la
l'Église doit accepter que Franco dispose législation qui en a découlé, a heurté les
du droit de présentation des évêques, traintérêts financiers, socio-culturels et idéo
dition remontant aux Rois catholiques. logiques de l'Église. La perte d'un finance
Techniquement cependant, Rome propose ment d'origine étatique (la dotation au
trois noms au gouvernement qui fait alors culte chute de 92 % entre 1931 et 1933), la
connaître sa préférence et son choix. Sont lutte contre les congrégations enseignantes
toutefois exclus de ce mécanisme les inspirée des modèles et des méthodes de
évêques auxiliaires, choisis exclusivement la Troisième République française, les me
par le Vatican. sures en faveur du mariage civil, du di
Mais ce schéma qui semble définir un vorce et la fin de la participation ecclésial