Le retour des idéologies. Réflexions sur les années soixante en RFA - article ; n°1 ; vol.11, pg 31-37

Gérard Schneilin

Description

Matériaux pour l'histoire de notre temps - Année 1988 - Volume 11 - Numéro 1 - Pages 31-37
7 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: MATERIAUX_POUR_L-HISTOIRE_DE_NOTRE_TEMPS
• Publié le: 01 janvier 1988
• Nombre de lectures: 21
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Monsieur Gérard Schneilin
Le retour des idéologies. Réflexions sur les années soixante en
RFA
In: Matériaux pour l'histoire de notre temps. 1988, N. 11-13. pp. 31-37.
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Schneilin Gérard. Le retour des idéologies. Réflexions sur les années soixante en RFA. In: Matériaux pour l'histoire de notre
temps. 1988, N. 11-13. pp. 31-37.
doi : 10.3406/mat.1988.403822
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mat_0769-3206_1988_num_11_1_40382231
Le retour des idéologies.
Réflexions sur les années soixante en RFA
avec énergie à la reconstruction contenues pourtant et dans les ■ les Pour années les historiens soixante de ont la lonRFA, sous toutes ses formes, économiq options chrétiennes de l'Ecole de
gtemps été considérées comme une ue, financière, politique, voire Fribourg, fondement de l'économie
simple transition entre les deux morale. Elle avait été marquée, con sociale de marché, et dans certains
trairement à la République de Wei- grands blocs constitués en amont engagements syndicaux. La te
par l'ère Adenauer (1949-1963), et en mar, par le ralliement de la quasi ndance à oublier les années du
aval la période de la coalition socia- totalité de la population aux choix nazisme, autant que la guerre froide
lo-libérale de Willy Brandt et Helmut des hommes politiques au pouvoir, contre le système communiste con
Schmidt (1969-1982). En fait, cette notamment l'ancrage de la nouvelle tribuèrent à occulter certaines ver
image d'une décennie transitoire République allemande dans la tus idéologiques. Rien d'étonnant
s'est avérée fausse, plus particuli démocratie et l'économie occidental alors que cette ère restaurative ait
èrement aux yeux de l'observateur es. Cependant, les circonstances vu les citoyens de la RFA se concent
d'aujourd'hui, en raison des effets et difficiles du nouveau départ après la rer avant tout sur les valeurs prat
influences à long terme exercés par défaite du Troisième Reich, ainsi iques et les vertus «secondaires» tr
ces années-là sur celles qui suivi que l'acharnement à reconquérir aditionnelles du peuple germanique.
avant tout biens et valeurs matériels, Cet «univers clos et cernable» (Dah- rent.
paraissaient avoir poussé à l'arrière- L'ère adenauerienne, pragmatique rendorf) est la résultante d'un cer
entre toutes, avait été consacrée plan certaines valeurs spirituelles tain nombre d'options pragmatiques
Berlin-Ouest.
Université technique.
Meeting international contre la guerre du Vietnam. 17 février 1968. Photo Gérard-
Aimé. :
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communes à la majorité des All démocratique, où Etat et société directe avec ces phénomènes idéo
emands de l'Ouest des années ci auraient enfin solidifié leurs bases. logiques et politiques; elle allait
nquante sécurité, bien-être pour tous Or les années soixante allaient donc chercher à comprendre la
jeter le trouble dans ce calme appar nature de ce double totalitarisme au (l'ouvrage majeur de Ludwig Erhard,
l'artisan du rétablissement économi ent. La caractéristique majeure moyen de théories et d'idéologies
était le changement de génération que allemand, s'appelle Wohlstand que l'ère du pragmatisme socio-poli
phénomène général, certes, mais qui tique semblait avoir bannies. Du fur aile), recherche du rendement et
de la performance dans le domaine a pris en RFA une tonalité particul coup, cette mentalité apparemment
économique (Leistung). Ce monde ière, en raison de la nature de cette sans inquiétude ni malaise, fondée
société, telle qu'elle s'était érigée sur le double rejet du nazisme et du fermé a pour centre la cellule famil
iale et moteur le système des sous l'ère Adenauer. Le double refus communisme, allait se fissurer.
«vertus secondaires» qui caractérise du nazisme et du stalinisme s'était L'esprit contestataire «que le puis
accompli dans un milieu qui en avait sant sédatif du père fondateur de la la bourgeoisie et la petite-bourgeois
ie allemande depuis le XVIIIe siè une connaissance intime et une RFA avait anesthésié» (Klaus Hilde
cle : discipline, propreté, sérieux, expérience directe. La nouvelle brand) pouvait alors se réveiller, et
génération n'était plus en prise plus particulièrement dans les sens de l'effort, application au tra
vail, bref, tout ce qui est contenu
dans le concept intraduisible de Herbert Marcuse. Photo Eue Kagan. Anstand. C'est cette notion appl
iquée dans un inlassable travail quo
tidien qui a conduit au «miracle éco
nomique» de l'Allemagne de l'Ouest
(Wirtschaftswunder). Et cela souvent
au détriment des «vertus primaires»
de ce peuple chrétien, la foi, la char
ité, l'espérance. Les romans de
Heinrich Boll, témoin privilégié,
lucide et sensible de cette époque,
sont là pour attester à la fois de cet
acharnement et de ce manque.
Cet ensemble de tendances con
tribuait à fondre la plupart des
citoyens de la République Fédérale
- et la propension est la même dans
la République Démocratique voisi
ne - dans un moule socio-politique
autoritaire. La «démocratie du chanc
elier» (Kanzlerdemokratie) servait
de cadre à une société où la recher
che conjointe du succès, de la
richesse et du bonheur matériels
allait de pair avec l'acceptation de
l'ordre moral et d'une certaine con
trainte politique : ce nouveau «juste
milieu» (Klaus Hildebrand) acceptait
malgré quelques soubresauts le
régime paternaliste de son chanceli
er. Dans cette démocratie autori
taire, on semblait vivre la «fin des
idéologies» (Daniel Bell, Raymond
Aron). Une bonne conscience fragile
s'était élaborée dans le refoulement
du complexe national-socialiste et le
rejet du communisme. Elle parais
sait s'étendre à la jeunesse, tant et
si bien que les sociologues ont voulu
voir en elle une «génération scepti
que» (Helmut Schelsky), voire une
génération sans complexes, adaptée
à la société du bien-être, orientée
vers la consommation et la stabilité.
Bref, Ludwig Erhard se croyait auto
risé à proclamer «la fin de l'après-
guerre», une période où adultes et
jeunes auraient atteint leur majorité ;
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influence dans les milieux estudiant références culturelles ont été ébranlmilieux des intellectuels, des univer
sitaires et des étudiants. ins. Enfin, la montée relative du ées par un système éducatif moins
Certes, des événements politiques NPD, le parti nationaliste néo-nazi, autoritaire, voire permissif d'où le
durant la seconde moitié des années mélange, chez ces jeunes protestatextérieurs à l'Allemagne jouaient un
rôle déterminant, et surtout la soixante contribuait à accentuer le aires, de tendances émancipatrices
Guerre du Vietnam et ses consé malaise. et régressives1.
C'est donc dans ces circonstan Les sociologues ont, plus récemquences négatives, ainsi que l'éveil
positif de la jeunesse sous les Ken ces qu'à la fin des années soixante ment, analysé, souvent a posteriori,
nedy. Les problèmes du Tiers-Monde se produisait une certaine déstabili une transformation des valeurs plus
profonde (Daniel Bell, Helmut Kla- sation idéologique de la RFA, que aussi, et ceux, plus généralement,
des minorités défavorisées. La rela son historien le plus récent, Klaus ges, Ronald Inglehart). Il s'agit du
tion ambivalente devant les Etats- Hildebrand, décrit en ces termes: contraste entre vrais et faux
Unis allait alors se manifester à «La RFA était tombée dans une crise besoins, la poursuite de la qualité de
la vie ayant été occultée par la cœur ouvert en RFA : le vainqueur idéologique... en ce sens qu'elle
entamait une lutte intellectuelle recherche exclusive du bien-être d'hier était aussi le modèle de la
nouvelle démocratie. Mais la RFA pour la survie. En effet, ses ancrages matériel. Dans ces «sociétés de
l'inquiétude» post-industrielles avait ses propres difficultés polit puissants s'étaient desserrés :
l'anticommunisme sembl