Les larmes à l époque baroque, un paradoxe éloquent - article ; n°2 ; vol.105, pg 539-566
45 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Les larmes à l'époque baroque, un paradoxe éloquent - article ; n°2 ; vol.105, pg 539-566

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
45 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Mélanges de l'Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée - Année 1993 - Volume 105 - Numéro 2 - Pages 539-566
Jean-Loup Charvet, Les larmes à l'époque baroque, un paradoxe éloquent, p. 539-566. À l'époque baroque, les larmes (pleurs, soupirs, gémissements) définissent une véritable éloquence des yeux. Pour les dire, le rhéteur, le mystique, l'artiste peintre ou musicien ont recours à des figures paradoxales. Ainsi les deux sages antithétiques, Démocrate et Heraclite, le premier se riant de tout, le second pleurant de tout. Autre paradoxe dans son mouvement à double direction, les larmes soumises à l'inéluctable pesanteur et s'initiant dans des yeux révulsés par l'attraction de la grâce. Cette éloquence silencieuse des larmes occupe une place centrale dans la mystique et la théologie post-tridentine (Pierre de Besse, Saint-Cyran). Insistant sur la notion de gémissement intérieur, l'œuvre d'un Bellarmin peut expliquer nombre de ces bouches ouvertes, larmes sèches des yeux tendus vers le ciel (v. au verso) dans la peinture du XVIIe siècle. L'ultime degré de son paradoxe, l'écoulement de la larme nous le révèle face à celui du sang, jouant de sa transparence et de son opacité.
28 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 52
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean-Loup Charvet
Les larmes à l'époque baroque, un paradoxe éloquent
In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée T. 105, N°2. 1993. pp. 539-566.
Résumé
Jean-Loup Charvet, Les larmes à l'époque baroque, un paradoxe éloquent, p. 539-566.
À l'époque baroque, les larmes (pleurs, soupirs, gémissements) définissent une véritable éloquence des yeux. Pour les dire, le
rhéteur, le mystique, l'artiste peintre ou musicien ont recours à des figures paradoxales. Ainsi les deux sages antithétiques,
Démocrate et Heraclite, le premier se riant de tout, le second pleurant de tout. Autre paradoxe dans son mouvement à double
direction, les larmes soumises à l'inéluctable pesanteur et s'initiant dans des yeux révulsés par l'attraction de la grâce. Cette
éloquence silencieuse des larmes occupe une place centrale dans la mystique et la théologie post-tridentine (Pierre de Besse,
Saint-Cyran). Insistant sur la notion de gémissement intérieur, l'œuvre d'un Bellarmin peut expliquer nombre de ces bouches
ouvertes, larmes sèches des yeux tendus vers le ciel
(v. au verso) dans la peinture du XVIIe siècle. L'ultime degré de son paradoxe, l'écoulement de la larme nous le révèle face à
celui du sang, jouant de sa transparence et de son opacité.
Citer ce document / Cite this document :
Charvet Jean-Loup. Les larmes à l'époque baroque, un paradoxe éloquent. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Italie et
Méditerranée T. 105, N°2. 1993. pp. 539-566.
doi : 10.3406/mefr.1993.4290
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_1123-9891_1993_num_105_2_4290MÉLANGES
JEAN-LOUP CHARVET
LES LARMES À L'ÉPOQUE BAROQUE,
UN PARADOXE ÉLOQUENT
«Nous ne voulons pas causer des Larmes
Nous voulons seulement parler des »
Marin Cureau de la Chambre1
L'ÉLOQUENCE DES YEUX
«Vous vous troublez, Madame, et changez de visage,
Lisez-vous dans mes yeux quelque triste présage?»
Racine, Brìtannicus, Acte II, scène 3
Valorisée à l'extrême par l'esthétique du baroque, qui cultive l'art du
mouvement à son sublime, la grâce des larmes se décline à l'infini en une
éloquence où les yeux se font bouche («les yeux sont les canaux par où les
passions s'escoulent au dehors»)2 et les larmes mots d'un vrai langage défi
nissant l'écriture du baroque :
Make dust our paper, and with rainy eyes
Write sorrow on the bosom of the earth...3
Esthétique du baroque où tous les sens, vue, ouïe..., n'appréhendent
plus le monde qu'en pleurs et gémissements : «Je ne veux plus désormais
que le soleil me voye qu'en pleurs, ie ne désire plus que le monde n'oye
qu'en sanglots et gémissements.. . »4 et où les catégories a priori de notre en-
1 Marin Cureau de la Chambre, Charactères des passions, Paris, 1640, «Les
Charactères des Larmes», p. 10. >
2 Marin Cureau de l/> des passions (Volume I : amour,
joie, rire, désir, espérance, p. 86).
3 William Shakespeare, Richard II, acte III, se. 2. Trad. : «Faisons de la pouss
ière notre papier, et de nos yeux qui pleuvent écrivons la tristesse sur le sein de la
terre».
4 Pierre de Besse, L'Heraclite Chrestien, c'est-à-dire les regrets et les larmes du pé
cheur repenti, Paris, 1615, p. 333.
MEFRIM - 105 - 1993 - 2, p. 539-566. JEAN-LOUP CHARVET 540
tendement se laissent gouverner par cette mystérieuse mécanique de cris
tal, comme le désigne le poète mariniste Giacomo Lubrano (1619-1692) :
Orinolo ad acqua
A che sognar con temerarii vanti
secoli ne' l'età mezzo sparita;
se bastan sole ad annegar la vita
minutissime gocciole d'istanti?
Voi talpe di ragion delusi amanti,
a ravvedervi in piccole urne invita
meccanico cristal; e in sé vi addita,
quasi stille del tempo i giorni erranti.
Quanto è, quanto sarà, s'esprime in acque,
cifra di fughe; e in fluido feretro,
naufraga sepellito il fu che piacque.
Se no Ί credi, ο mortal, volgiti a dietro;
e mira l'esser tuo, che al pianto nacque,
struggersi a stille in agonie di vetro5.
L'Angleterre élisabéthaine subit une véritable «inundation of (...)
tears»6 où les anges de John Dowland se nourrissent des soupirs du pé
cheur : «If that a sinner'sighs be angel food»7, tandis que le héros shakes
pearien s'enivre de ses propres larmes, «with his own tears made drunk»8.
5 Giacomo Lubrano, dans Giovanni Getto, Marino. I Marinisti, Opere scelte,
Turin, 1954. Traduction :
L'horloge à eau
Pourquoi témérairement rêver de siècles
dans une vie à demi écoulée,
alors que suffisent pour noyer cette vie
quelques menues gouttes d'instants?
Amants déçus, taupes de la raison,
un engin de cristal au repentir vous somme
par ses petites urnes qui vous font voir
dans ces larmes de temps vos jours errants.
Tout ce qui est, tout ce qui sera s'exprime en eaux,
chiffres de fuite; dans ce cercueil liquide
vos plaisirs font naufrage en leur tombe.
Si tu ne le crois, retourne-toi, mortel,
et vois ton être, né dans les larmes,
goutte à goutte mourir en une agonie de verre.
6 William Shakespeare, Romeo and Juliet, acte IV, se. 1. Traduction : «inondat
ion de larmes».
7 John Dowland, A Pilgrime Solace, Londres, 1612, n° 13. : «Que les
soupirs du pécheur soient la nourriture des anges».
8 William Shakespeare, Romeo and Juliet, acte III, se. 3. Trad. : «De ses
propres larmes rendus ivre». LES LARMES À L'ÉPOQUE BAROQUE 541
La France n'offre pas un tableau plus réjouissant à la lecture des ou
vrages de consolations, l'un des plus originaux étant celui de Pierre de
Besse mettant en scène : «un pauvre philosophe qui fut nommé jadis Herac
lite par les Payens, et que je faict parler maintenant Chrestien & jouer le
personnage d'un pécheur repenty sur le théâtre de la pénitence; II parait
d'une façon estrange, sa contenance n'est qu'affliction, ses paroles que
souspirs & sa vie repentance : il a le cœur tout outré de douleurs, la voix
tout enrouée de clameurs, la poictrine tout rompue de sanglots, les yeux
tout chargez de larmes, & les espaules de cilices. Il ne parle que par sousp
irs, car aussi bien les paroles ne sont pas suffisantes de pouvoir exprimer
la force de son affliction : sa voix est prisonnière en son duiel, & n'y a que
les sanglots qui luy servent d'éloquence (...) ses larmes coulent avec ses pa
roles et rien n'en peut arrester le cours, car ce sont les fidèles tesmoins de
son martyre, aussi bien que ce sont les douces paroles des âmes affligées»9.
Et Sébastien Rouillard d'évaluer : « ...nous estimons que tout l'or du Pérou,
ni le corail des isles orchades, ni les escarboucles d'Affrique, ni le Iaspe de
Cypre ni les émeraudes de Scythie, ni toutes les perles & marguerites du l
evant peussent venir en esgalle balance au contrepoids des larmes»10.
Enfin, Du Lamento d'Arianna de Monteverdi à la plainte italienne du
Psyché de Lulli, dernière expression italienne de Jean-Baptiste à Paris, ce
n'est pas la péninsule qui vient apporter sa note de gaieté au concert euro
péen.
Alors, procédés rhétoriques, emphases artistiques, débordements myst
iques ou bien stratégie cléricale?
Et pourtant, il y a ce petit roi de neuf ans qui pleure en lisant son texte
lors du second lit de justice du 15 janvier 1648... Roi-Soleil, à qui très ten
drement Marin Cureau de la Chambre dédie le dernier volume de son traité
consacré aux larmes, «Les Charactères des passions» en 1662 : à «L'Enfant
de Larmes»11.
Et pourtant, Samuel Pepys note dans son journal, à la date du 5 février
1667 : «toute la nuit je pleure», ou le 25 octobre 1668 : «vers deux heures, je
m'éveillais en pleurant»12.
9 Pierre de Besse, L'Heraclite Chrestien, op. cit. , Epistre.
10 Sébastien Rouillard, Météorisme ou Relief de Discours sur les lamentations de
Jérémie, auquel est traité de part et d'autre : S'il est permis de se lamenter ez temps d'af
flictions publiques ou privées, Paris, 1659, p. 392.
11 Marin Cureau de La Chambre, Charactères des Passions, (Volume V : larmes,
craintes, désespoir), Paris, 1662, Epistre.
12 Samuel Pepys, Journal, Le Temps retrouvé, Paris, 1985. 542 JEAN-LOUP CHARVET
Enfin, lors de l'affaire des

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents