Y a-t-il une rhétorique de la poésie? - article ; n°1 ; vol.79, pg 51-63
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Description

Langue française - Année 1988 - Volume 79 - Numéro 1 - Pages 51-63
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 68
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Marc Dominicy
Y a-t-il une rhétorique de la poésie?
In: Langue française. N°79, 1988. pp. 51-63.
Citer ce document / Cite this document :
Dominicy Marc. Y a-t-il une rhétorique de la poésie?. In: Langue française. N°79, 1988. pp. 51-63.
doi : 10.3406/lfr.1988.4752
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1988_num_79_1_4752Marc DOMINICY
Université de Bruxelles
Y A-T-IL UNE RHÉTORIQUE DE LA POÉSIE?
La formule que j'ai choisie comme titre du présent article est, d'une
certaine manière, une question « rhétorique ». J'essaierai en effet de mont
rer qu'il ne peut exister aucune de la poésie - ou de quelque
mode discursif que ce soit — si l'on désire, du moins, conserver au terme
« rhétorique », et aux diverses stratégies métalinguistiques qu'il recouvre,
un contenu empirique réellement testable. Ce faisant, je n'entends pas
céder à la provocation, ou nier l'intérêt crucial que beaucoup d'études
rhétoriques présentent pour mon propos. Bien plus, je maintiendrai, avec
la majorité des rhétoriciens, que la poésie se laissé définir à l'aide de
critères linguistiques et cognitifs qui échappent, en dernière instance, au
relativisme esthétique et culturel. Simplement, il me paraît utile d'in
diquer en quoi les descriptions rhétoriques souffrent, sous la forme qu'elles
adoptent ordinairement, d'une série de défauts épistémologiques dont
l'accumulation finit par compromettre la généralité, et la valeur même,
des hypothèses avancées.
Je diviserai mon exposé en quatre volets quelque peu disparates,
mais qui contribueront, je l'espère, à cerner de différents points de vue
la théorie encore vague que je veux défendre ici. Je commencerai par
motiver, au départ d'exemples empruntés à d'autres disciplines, les réserves
d'ordre épistémologique que je viens d'évoquer. Sur la base de ce premier
développement, je chercherai à déterminer comment et pourquoi deux
conceptions non rhétoriques (ou, en tout cas, non obligatoirement rhé
toriques) de la poésie, à savoir la poétique de Jakobson et les approches
inspirées de la pragmatique anglo-saxonne, ont subi, au bout du compte,
une « rhétorisation » qui n'avait rien d'inéluctable. Je m'efforcerai ensuite
de combattre les courants de pensée selon lesquels les échecs rencontrés
par la rhétorique doivent nous conduire à abandonner la notion de poésie
au seul caprice des doctrines littéraires et des schemes de civilisation.
J'esquisserai enfin les éléments d'une définition abstraite et universelle
de la poésie qui surmonte les antinomies récurrentes de la rhétorique et
plonge ses racines dans une théorie globale du langage et des discours.
51 1. Préliminaires épistémologiques
Les débats consacrés à l'induction nous ont familiarisés, depuis
longtemps, avec un problème qui se trouve illustré dans la figure 1.
Figure 1
Supposons qu'un expérimentateur s'attache à déterminer la corré
lation de deux paramètres A et В (par exemple, la température et le
volume d'un gaz) et qu'il ait effectué les mesures x, y, z. Il paraît évident
que, sur ces seules bases, l'expérimentateur en question choisira, parmi
l'ensemble infini des courbes qui relient les points x, y et z, la droite
définie par deux quelconques de ces trois points. Pareille description
souligne l'arbitraire d'une démarche « inductive » où il s'agirait, somme
toute, d'opter pour telle ou telle courbe, alors que les mesures x, y, z
sont compatibles avec une infinité de projections. La préférence qui se
manifesterait ici pour la droite céderait la place, en d'autres cas, à une
préférence pour la courbe sinusoïdale, ou encore à une pour
la courbe en escalier, et ainsi de suite. Afin d'échapper à cette multipli
cation de principes particuliers dénués de tout contenu prédictif, Popper
(1973; voir aussi Dominicy 1983) a proposé une stratégie où la conjecture
ne consiste pas à choisir inductivement une et une seule courbe, mais
bien plutôt à adopter l'hypothèse la plus informative. Dans notre exemple,
l'hypothèse d'une corrélation constante définit une et une seule projection
(la droite passant par x, y et z), tandis que l'hypothèse contradictoire
de la non-constance admet une infinité d'instanciations. Nous coupons
court à la prolifération de « préférences » trop spécifiques, en modifiant
le type des conjectures, qui portent désormais sur des hypothèses for-
mulables en termes généraux.
Le raisonnement que je viens d'esquisser s'appliquerait, sans grandes
difficultés, à certaines des « lois » gestaltistes autrefois énoncées par
Wertheimer (1938). Pour ne pas allonger inutilement cette partie pré
liminaire, je me bornerai à discuter la configuration graphique de la
figure 2.
52 Figure 2
Selon Wertheimer (1938 : 81), le fait que nous y percevions un
segment de circonférence AC et un segment de droite B, plutôt qu'un
groupement AB/C doit s'expliquer par un « facteur de direction » qui
s'ajoute aux nombreuses autres « lois » indépendamment dégagées. Mais
il est clair, de nouveau, que l'argumentation de Wertheimer se laisse
aisément retourner : l'hypothèse qui ramène la configuration de la figure 2
à un groupement AB/C (approximativement : « segment de circonférence
et segment de droite, plus un autre segment de circonférence ») admet
évidemment plus d'instanciations que l'hypothèse où le segment AC doit
appartenir à une seule et même circonférence.
Les vices épistémologiques sur lesquels je voudrais attirer l'attention
du lecteur peuvent donc être caractérisés comme suit. Face à une régul
arité notable à laquelle les sujets obéissent quand ils interprètent cer
taines organisations de données, on recourt à un principe explicatif qui
colle le plus possible aux comportements observés et l'on se refuse, par
conséquent, à manier des objets théoriques relevant de domaines ou de
types fondamentalement différents. La « first order isomorphism fallacy
qui consiste à poser pour un organisme des structures internes analogues
aux structures externes que l'on peut observer dans ses productions »
(Fauconnier 1984 : 11-12) résulte d'une propension tout à fait similaire.
Sur le terrain rhétorique, ces automatismes de pensée ont abouti à une
multiplication de « tropes », « figures » ou « procédés » dont l'inventaire
se révèle encore plus hétéroclite que celui des « lois » gestaltistes. Très
souvent, le mécanisme invoqué n'explique proprement rien si on ne le
soumet pas à des contraintes cognitives qui risquent fort de lui enlever
toute utilité. Soit, par exemple, 1 extrait suivant (que j'emprunte à l'abbé
Fromant 1968/1756 : 325) :
(1) Un juge fit lever la main à un teinturier, et comme les teinturiers les
ont ordinairement noires, il lui dit : « Mon ami, ôtez votre gant. »
Déceler ici une « syllepse du nombre » revient à attribuer une ét
iquette, qu'on espère commode, à un phénomène évidemment conditionné
par des facteurs cognitifs : chaque teinturier ayant normalement deux
mains, le pluriel pronominal ne créera aucun problème de (co)référence.
La « syllepse du nombre » demeure possible, avec des degrés d'acceptab
ilité variables, dans des cas tels que :
53 Un juge fit venir la femme d'un teinturier, et comme les teinturiers les (2)
choisissent ordinairement fort laides [...].
(3) Un juge porta un habit à un et comme les les
traitent sans grand soin [...].
parce que la pluralité peut toujours y être reconstruite à partir de nos
représentations usuelles, où les teinturiers sont normalement mariés (à
raison d'un et un seul teinturier par femme) et traitent chacun plus d'un
habit. Par contre, (4) s'avère bizarre :
(4) Un juge présenta son épouse à un teinturier, et comme les teinturiers
les traitent ordinairement avec respect [...].
pour la simple raison que nous ne disposons pas, a priori, d'un rés

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