Baroque miltonien et paysages de Chateaubriand - article ; n°1 ; vol.29, pg 65-79
16 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Baroque miltonien et paysages de Chateaubriand - article ; n°1 ; vol.29, pg 65-79

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
16 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1977 - Volume 29 - Numéro 1 - Pages 65-79
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1977
Nombre de lectures 22
Langue Français

Extrait

Paul Chavy
Baroque miltonien et paysages de Chateaubriand
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1977, N°29. pp. 65-79.
Citer ce document / Cite this document :
Chavy Paul. Baroque miltonien et paysages de Chateaubriand. In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 1977, N°29. pp. 65-79.
doi : 10.3406/caief.1977.1135
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1977_num_29_1_1135о-
BAROQUE MILTONIEN
ET PAYSAGES DE CHATEAUBRIAND *
Communication de M. Paul CHAVY
(Dalhousie)
au XXVIIIe Congrès de l'Association, le 26 juillet 1976.
Dans le Morgenblatt du 22 mars 1821, la baronne de
Hohenhausen saluait la présence à Berlin du Vte de Cha
teaubriand, ministre de France, et assurait que les belles
Berlinoises « avaient encore des regards pour l'auteur
d'Atala, ce superbe et mélancolique roman où l'amour le
plus ardent succombe dans le combat contre la religion.
La mort d'Atala et l'heure du bonheur de Chactas pendant
un orage dans les antiques forêts de l'Amérique, dépeint
avec les couleurs de Milton, resteront à jamais gravées
dans la mémoire de tous les lecteurs de ce roman » (1).
Dans cet article, un détail attire l'attention : la mention,
quelque peu insolite, de Milton. « Les couleurs de Milton » :
qu'est-ce à dire ? Est-ce, de la part de l'aimable nouvelliste
allemande, une vague impression, une observation fondée,
une intuition profonde ? En tout cas, sa remarque pose
la question des rapports qui peuvent exister entre l'épopée
baroque du vieux Puritain anglais et les paysages littéraires
de Chateaubriand.
• Les notes se réfèrent aux éditions suivantes :
Atala, René : Œuvres romanesques et voyages, t. I, NRF, Gallimard
(Pléiade), 1969.
Génie du christianisme (Gén.) : Œuvres complètes, Paris, Ladvocat,
1826-31 (O.C.i).
Essai sur la littérature anglaise : Paris, Lefèvre,
1836 (0.C.2).
Mémoires d'outre-tombe (Mém.) : éd. du Centenaire (M. Levaillant),
Paris, 1949, 2e éd. 1964.
(1) Mém., t. III, p. 54- 66 PAUL CHAVY
Que celui-ci soit un paysagiste, nous le savons tous
depuis l'école. Les textes chantent dans nos mémoires.
Avec lui, nous avons vu — et revu — la nuit tomber sur
la forêt américaine, en écoutant mugir la cataracte du
Niagara ; avec lui, nous avons assisté au lever du soleil
sur l'Attique ; avec lui, nous avons affronté les orages et
les tempêtes, contemplé les eaux jaunes du Jourdain et
rêvé au clair de lune parmi les sortilèges de l'Alhambra.
Depuis l'école aussi, nous connaissons assez les grandes
lignes de la vie de l'auteur pour rattacher la plupart de
ces tableaux à des épisodes de voyage. Nous n'ignorons
pas non plus que bien souvent des sources livresques sont
venues compléter, voire remplacer, l'expérience vécue. Parmi
ces sources livresques, faudrait-il donc compter Milton ?
Peut-être, mais certainement pas au même titre que les
informateurs qu'ont été pour Chateaubriand — voyageur
pressé — des gens comme le P. Charlevoix, le baron de
Lahontan ou l'abbé Barthélémy. Milton a été plutôt pour
lui un maître, quelqu'un qui lui a dispensé non des rense
ignements, mais un enseignement, quelqu'un dont la pré
sence s'est manifestée à un niveau profond de l'activité
mentale, là où par le jeu des cristallisations affectives le
moi élabore sa vision du monde.
C'est de ce niveau, en effet, que part l'impulsion fonda
mentale qui a fait de Chateaubriand un paysagiste. Cet
être qui, toute sa vie, s'est senti un exilé [« en sortant du
sein de ma mère, je subis mon premier exil » (2)], qui a été
hanté par l'idée de la mort et du néant, cet être, dans son
continuel effort pour retenir une durée qui s'enfuit, a trouvé
quand même un recours : créer des images, par lesquelles
revivront les lieux qu'il a parcourus ou rêvés, et auxquelles
il accrochera le fil de sa vie. Mais ses images vieillissent
elles aussi ; alors, celles qui lui tiennent le plus à cœur,
il les reprend, les nettoie, les retouche, tâche de leur redon
ner par la magie de l'art leur pouvoir initial de suggestion :
voyez sa « nuit américaine », remaniée à travers son œuvre
(2) Mêm., 1. 1 p. 30 BAROQUE MILTONIEN ET PAYSAGES DE CHATEAUBRIAND 67
au moins sept fois. Avant Proust, Chateaubriand a cherché
à éterniser le temps ; de ce vain effort, ses paysages nous
restent, comme les lambeaux d'un songe.
D'un songe pittoresque. Car même les rêveries de l'ado
lescent n'étaient pas seulement du « vague à l'âme ». Elles
étaient créatrices d'images précises, témoin sa Sylphide.
C'est à Combourg, au cours des promenades exaltantes
faites avec sa sœur Lucile, que celle-ci lui aurait révélé
sa vocation en lui disant : « Tu devrais peindre tout
cela » (3).
Peindre, le mot était ambigu. Chateaubriand a-t-il
songé à s'exprimer par le pinceau ou le crayon ? Oui, au
moins en amateur, comme le prouve sa Lettre sur l'art
du dessin dans les paysages, datée de Londres, 1795, dont
le libellé indique qu'elle accompagnait un dessin de Cha
teaubriand lui-même : « Le petit dessin que je vous envoie
m'a fait faire quelques réflexions sur l'art du paysage :
elles vous seront peut-être utiles » (4). On peut même se
demander si la « grande vue du Canada » mentionnée dans
le même paragraphe n'était pas l'esquisse d'un tableau
plutôt que J'ébauche des Natchez, comme on l'entend
d'ordinaire. Quoi qu'il en soit, les réflexions présentées
dans ce texte témoignent que le jeune homme — il avait
alors 27 ans — s'intéressait aux problèmes de la peinture
et qu'il se pensait même suffisamment averti pour donner
des conseils en ce domaine. Son premier précepte aux
élèves-peintres est d'aller observer la nature sur place ;
transposition à l'art, on le voit, de la pédagogie de \ Emile :
C'est au milieu des campagnes qu'ils doivent prendre
leurs premières leçons. Qu'un jeune homme soit frappé de
l'effet d'une cascade qui tombe de la cime d'un roc et dont
l'eau bouillonne en s'enfuyant : le mouvement, le bruit,
les jets de lumière, les masses d'ombres, les plantes écheve-
lées, la neige de l'écume qui se forme au bas de la chute,
les frais gazons qui bordent le cours de l'eau, tout se gravera
dans la mémoire de l'élève.
(3) Mém., 1. 1, p. 120.
(4) « Lettre sur l'art du dessin dans les paysages », Mélanges et poésies,
Paris, A. Dupont, 1828. PAUL CHAVY 68
Nous n'en sommes pas encore à l'école de Barbizon.
Le peintre ne va pas planter son chevalet en face du
« motif ». Il retourne à son atelier, tout plein de ce qu'il a
vu, mais incapable d'en donner une image satisfaisante.
Il se rendra compte qu'il lui faut étudier les principes du
métier et « il avancera à pas de géant dans une carrière
où l'inspiration aura été son premier guide ».
Et Chateaubriand de proposer au jeune peintre des
sujets où se manifeste, certes, le goût du temps. Il est clair
qu'il a en tête des toiles de Joseph Vernet, d'Hubert Robert,
de Moreau l'Aîné, de vingt autres qui ont infléchi vers le
romantisme l'héritage de Poussin et du Lorrain. Toutefois,
les thèmes suggérés semblent bien être ceux qui répondent
avec une particulière résonance à la sensibilité de l'auteur :
la mort, l'absence, la solitude, tout ce que concrétisent
les ruines.
Tantôt [le peintre] égarera les yeux de l'amateur sous
des pins, où peut-être un tombeau couvert de lierre appellera
en vain l'amitié ; tantôt, dans un vallon étroit entouré de
rochers nus, il placera les restes d'un vieux château : à
travers les crevasses des tours, on apercevra le tronc de
l'arbre solitaire qui a envahi la demeure du bruit et des
combats ; le perce-pierre couvrira de ses croix blanches
les débris écroulés, et les capillaires tapisseront les pans
de murs encore debout. Peut-être un petit pâtre gardera
dans ce lieu ses chèvres, qui sauteront de ruines en ruines.
A l'é

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents