Autour du Journal de Gide et de son édition - article ; n°1 ; vol.51, pg 317-328
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1999 - Volume 51 - Numéro 1 - Pages 317-328
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 25
Langue Français

Extrait

Éric Marty
Autour du Journal de Gide et de son édition
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1999, N°51. pp. 317-328.
Citer ce document / Cite this document :
Marty Éric. Autour du Journal de Gide et de son édition. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1999,
N°51. pp. 317-328.
doi : 10.3406/caief.1999.1359
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1999_num_51_1_1359AUTOUR DU JOURNAL DE GIDE
ET DE SON ÉDITION
Communication de M. Éric MARTY
(Paris)
au Le Congrès de V Association, le 9 juillet 1998
Nous vivons l'ère des éditions critiques et plus généra
lement encore, depuis une quinzaine d'années notre rela
tion à l'œuvre d'art a connu une rupture considérable par
laquelle celle-ci semble ne plus pouvoir se lire, s'entendre,
se voir autrement que sous la forme de l'archive de
l'œuvre. Nous ne pouvons plus entendre les œuvres
musicales passées qu'avec des instruments d'époque,
nous ne pouvons plus contempler les grandes œuvres pic
turales — et je pense à l'exemple récent de la chapelle Six-
tine — que restaurées dans ce que l'on croit être leur
apparence originelle, et nous ne pouvons plus lire Proust
sans accompagner son texte de ses esquisses, ses
brouillons, ses variantes. Certes, il y a depuis des siècles
déjà des éditions critiques, mais on sent bien aujourd'hui
que c'est au sein d'un plus vaste mouvement que celles-ci
se multiplient. L'œuvre excite moins en nous
le désir interprétatif, la verve spéculative, la pulsion de
comprendre, qu'un mouvement réflexe opposé qui,
dirais-je, est un réflexe de restauration.
Il y aurait beaucoup à dire sur un tel phénomène qui
instaure une nouvelle relation globale à l'œuvre d'art,
mais ce n'est pas le lieu d'en parler. Je dirai simplement,
concernant notre domaine qui est celui du discours litté- 318 ÉRIC MARTY
raire, que l'euphorie spéculative qui a mobilisé tant
d'énergie pendant tant d'années et dont l'arrogance théo
rique semblait pouvoir ouvrir des champs infinis d'étude
est bien essoufflée. Les questions qu'elle posait et les
réponses données semblent ne plus nous concerner tant
peut-être le structuralisme qui — qu'on le veuille ou
non — a été au point de départ de ce mouvement s'est
révélé, malgré les très belles œuvres critiques qu'il a susci
tées, être une impasse épistémologique : ce qu'on pourrait
appeler une sophistique au sens tout simplement où elle a
fait de l'œuvre une simple affaire de langage. Un langage
sans extériorité mais du même coup un langage qui
n'était plus qu'extériorité : simple objet de manipulation
sémiotique et pour finir déconstructionniste, aboutissant
alors à un nivellement exténuant l'expérience esthétique
même. On pourra nommé nihilisme — expression la plus
évidente de la sophistique — un tel geste, comme le rap
pelle Antoine Compagnon dans son récent ouvrage Le
Démon de la théorie (1). Sans doute alors faut-il voir dans le
formidable mouvement au travers duquel nous restau
rons les œuvres, nous tentons de les réinscrire dans l'hor
izon de leur genèse et nous tentons de les susciter à nou
veau comme originelles, le désir de renouer des liens
nouveaux avec l'œuvre d'art.
*
Le Journal de Gide est parmi toutes ces œuvres qu'on
restaure un type de texte bien particulier en ce qu'il mêle
en lui une nature profane à une nature artiste. Si en effet,
un brouillon de Proust n'est pas de même nature qu'une
page imprimée de La Recherche, en revanche, un inédit du
Journal n'est pas d'une nature intrinsèquement différente
de celle d'un passage publié. Ce qui définit le Journal pré-
(1) Paris, Seuil, 1998. LE JOURNAL DE GIDE 319
cisément, c'est qu'il est sans brouillon, sans genèse et sans
avant-texte : il s'élabore de manière purement cumulative,
jour après jour, et non par transformation. Écriture de
l'immédiat, ses ratures, ses suppressions sont aussi vraies
que les passages conservés par l'auteur. C'est pourquoi
peut-être, pour plus qu'aucune autre œuvre, le projet
d'éditer le Journal en plongeant dans l'archive de l'œuvre
me semble s'inscrire dans une démarche d'authentifica-
tion du texte et non la création d'un artefact aux
contours factices. Cela ne veut pas pour autant dire que
j'ai cru naïvement, dans une sorte d'angélisme de l'au
thenticité, qu'il y avait parfaite homogénéité entre les
inédits et le texte publié par Gide de son vivant, ou bien
qu'il n'y avait aucune différence entre les variantes et le
texte définitif. S'il est vrai que toute l'écriture du Journal
participe d'une même nature, ou plutôt d'une même
essence qui est d'être l'écriture du jour, le Journal de Gide
est aussi, a été aussi une réalisation éditoriale factuelle et
que s'il a participé d'un geste solitaire, d'un projet exis
tentiel, il a été également un produit, une production s'in-
sérant dans des choix éditoriaux et dans une histoire.
C'est pourquoi, dans les principes d'établissement du
texte, il me paraissait indispensable d'instaurer une di
scrimination typographique entre ces inédits et les pas
sages publiés sous la responsabilité de Gide lui-même.
C'est ainsi que les inédits figurent avec une marge diffé
rente et des caractères légèrement réduits. De la même
façon, mon principe a été de ne considérer comme inédits
— c'est-à-dire ayant le droit de figurer dans le corps du
texte — que les passages qui avaient une autonomie
sémantique et syntaxique et de rejeter en variante une
phrase inédite mais solidaire d'un passage déjà édité.
Par cet exemple, je voudrais aussi montrer que le travail
philologique d'établissement du texte ne peut obéir à des
lois externes ou normatives mais qu'il doit s'inscrire dans
une évaluation la plus stricte de son objet, la plus sensible
à la dynamique qui, perpétuellement, fait que toute
œuvre est à la fois un être immobile, un être essentiel qui 320 ÉRIC MARTY
relève d'une intentionnalité subjective et un être histo
rique, mobile, relatif et contingent par où un homme se
constitue socialement et historiquement par rapport à un
public comme l'auteur de son œuvre. Ainsi, si dans son
essence même le texte du Journal est Un, dans son existen
ce, c'est au contraire sous le signe du multiple, du divers,
d'un bricolage incessant et d'un mobilité parfois insaisis
sable qu'il s'est donné à lire.
Ces inédits sont relativement importants sur le plan
quantitatif : ils représentent environ un quart du texte
déjà édité par Gide lui-même. Il aurait été séduisant,
quoique contradictoire avec ce que je viens de dire, que
ces inédits constituent l'enfer du Journal, qu'ils soient sa
part secrète, sa part inavouée. Or ce n'est pas le cas, ou si
peu. Certes, certains lecteurs n'auront d'yeux que pour
quelques lignes un peu plus impudiques ou scabreuses
présentes dans les inédits ; mais, en qualité, si ces lignes
attirent certains regards, elles ne révèlent rien qui n'ait
déjà été publié à d'autres endroits, et si l'on veut juger
objectivement de la nature de ces inédits, on voit qu'ils se
fondent dans un ensemble aussi vaste et hétéroclite que la
part déjà connue de l'œuvre. En effet, les inédits, dans
leur ensemble, touchent à tous les sujets : littéraires, poli
tiques, familiaux, esthétiques, religieux ou moraux. L'idée
même que ces inédits pourraient révéler quelque chose
d'absolument neuf sur Gide demeure dans une percep
tion mythique du Journal pour laquelle le « caché » serait
toujours plus vrai ou plus authentique que le « dévoilé ».
Or, ce que démontre le Journal, c'est que le vrai est tou
jours déjà là dans la moindre des notations, mais qu'il est
infini, interminable à décliner et à exposer, qu'il ne va
jamais vers un plus de vérit

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