Bienséance et sentiment chez Mme de La Fayette - article ; n°1 ; vol.11, pg 33-66
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1959 - Volume 11 - Numéro 1 - Pages 33-66
34 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1959
Nombre de lectures 48
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Professeur Jean Fabre
Bienséance et sentiment chez Mme de La Fayette
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1959, N°11. pp. 33-66.
Citer ce document / Cite this document :
Fabre Jean. Bienséance et sentiment chez Mme de La Fayette. In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 1959, N°11. pp. 33-66.
doi : 10.3406/caief.1959.2137
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1959_num_11_1_2137BIENSÉANCE ET SENTIMENT
CHEZ MADAME DE LAFAYETTE
Communication de M. Jean FABRE
(Sorbonně)
au Xe Congrès de l'Association, le 21 juillet 1958
La seule excuse à la banalité probable de mon exposé
réside dans son caractère de nécessité. Puisque l'objet
de notre étude est « l'expression littéraire de la sensibil
ité au xvne siècle », Mme de Lafayette doit comparaître
comme un témoin indispensable et privilégié. Pour une
raison bien simple : son œuvre romanesque (et, parti
culièrement, son roman de la Princesse de Clèves),
marque cette rencontre décisive que suppose le libellé
de la question : la rencontre de la littérature et de la
vie, l'accord de l'expression concertée et de l'expérience
vécue. Jusqu'à elle, dans l'histoire littéraire et morale
du siècle, les deux séries avaient connu un développe
ment analogue sans doute, mais non convergent. La li
ttérature et la vie ne s'ignoraient pas : elles s'appelaient
au contraire, s'inspiraient, se façonnaient mutuellement,
mais elles restaient hétérogènes. En un siècle qui était
et, bien davantage encore, se voulait aristocratique ou,
comme on disait alors, honnête et poli, l'une et l'autre
se cherchaient un idéal et un style dans une double
exigence dont l'accord ne pouvait être que paradoxal :
la primauté du sentiment, la souveraineté de la raison.
Mais aussi bien la morale de l'honnêteté que la conven
tion littéraire se contentaient, chacune à leur manière,
de poser en principe cet accord, au lieu de le mettre en
cause. En confrontant d'une façon décisive l'être et le 34 JEAN FABRE
paraître, la prétention et la réalité des mœurs, il appar
tenait à la seule Mme de Lafayette d'en montrer le
mensonge ou la vanité et, par là même, de révéler la
fragilité d'une civilisation mondaine trop imbue d'elle-
même et trop fière de son éclat.
« Qu'une vie est heureuse, quand elle commence par
l'amour et qu'elle finit par l'ambition... » Peu importe
de savoir pour notre propos qui a écrit cette phrase,
avec tout le Discours sur les passions de l'amour, Pascal
ou le marquis d'Alluye ou tout autre : l'auteur anonyme
y formule le commun vœu d'une société arrivée à son
point d'épanouissement, comme il y résume l'inspira
tion de la littérature qu'elle a fait éclore, en ses genres
les plus hauts : la tragédie et, à défaut de l'épopée,
coupée de la vie par les pédants, le roman qui en est
une forme mineure mais vivante. « Ouvrage en prose,
contenant des aventures fabuleuses, d'amour et de
guerre » : c'est ainsi que, pendant plus d'un siècle, le
Dictionnaire de l'Académie se contentera de définir le
roman. Mais en 1798, une autre définition viendra enfin
relayer celle-là, pour attester la promotion du genre et
la mission que, depuis au moins la Princesse de Clèves,
il s'était donné pour tâche de remplir : il est entendu
désormais que le roman contient « des fictions qui
représentent des aventures rares dans la vie et le déve
loppement entier des passions humaines ». Entendons
des passions exclusivement propres à l'homme et dont
il n'ait pas à rougir : autrement dit, l'ambition et
l'amour. Un roman digne de ce nom se doit de les mettre
en œuvre dans leur souveraineté et comme dans leur
solitude : l'avarice, la gourmandise, la paresse seront
reléguées dans la comédie ou le contre-roman, et les
péchés, mineurs ou capitaux, se donneront rendez-vous
chez Lesage. A cet humanisme de principe, répond la
méthode propre au roman : il a charge de donner aux
passions leur « entier développement ». L'expression
oppose sans doute aux paroxysmes de la tragédie les
lents cheminements dont il dispose. Mais elle implique
aussi, de la part du romancier comme de ses person- JEAN FABRE 35
nages, une véritable culture du sentiment. Dès VAstrée,
s'est noué dans le roman ce mariage « du cœur et de
l'esprit », dont le xviie siècle s'est fait une loi et le
xviii8 siècle un divertissement, en refusant de les disso
cier jusque dans leurs « égarements ». Objet de connais
sance, la passion devra être soumise aux démarches de
l'analyse et au contrôle de la raison.
Remarquons toutefois que « cette belle raison » n'est
un principe sublime que dans les éloges qu'on en fait.
Raison éminemment pratique, en dépit de Descartes ou
des cartésiens, et qui relève de la sociabilité plus que
de la morale, elle ne dépasse guère ce contrôle de soi
et ce parfait sentiment des convenances et des bien
séances à quoi l'on reconnaît « l'honnête homme ». Il
est vrai que cette raisonnable politesse parut d'un si
haut prix que le roman, genre mondain par excellence,
se fit une règle non seulement de l'illustrer, mais de
l'enseigner. Mais en menant de front, comme il se de
vait, l'étude de l'honnêteté et celle du genre romanesque
au xvne siècle, Maurice Magendie ne pouvait aboutir qu'à
une conclusion à la fois décevante et prévisible. Le
moindre écolier sait fort bien que le savoir qu'on lui
distribue à l'école ne le concerne guère, et il fait son
expérience ailleurs. De même l'art de parvenir à la ville
et à la cour a façonné bien plus profondément les
mœurs du temps que la lecture des romans. « Un monde
audacieux, cynique, enragé de puissance et de plai
sirs » : cette définition que M. Antoine Adam applique à
« la jeune cour », groupée autour de Louis XIV, ne
s'accorde guère avec l'air que l'on respire dans la Clêlie.
Pour instruire autant qu'il plaisait, il aurait fallu que
le roman ne fût pas relégué dans le domaine de l'irréel.
Qu'on ne l'ait pas pris au sérieux, c'est ce qui appar
aît chaque fois que l'on se réfère à lui dans les lettres
ou les mémoires. Ainsi Retz, à l'aide d'un jeu de mots :
Marcilli-Marcillac renvoyait La Rochefoucauld à YAstrée,
analogie qu'à l'en croire La lui pardonna
moins aisément que de l'avoir supplanté auprès de
Mme de Longueville. Sans doute les Précieuses tiennent-
elles à honneur de figurer, sous quelque pimpant pseu
donyme, dans les romans de Mlle de Scudéry, comme
dans les « galeries » de la Grande Mademoiselle ou de 36 JEAN FABRE
la marquise de Sablé. Le secret des portraitistes à la
mode n'est-il pas de peindre leurs modèles non certes
comme ils sont, mais comme ils souhaitent d'être vus ?
Le très bourgeois Charles Sorel ne manque pas de s'en
gausser dans sa Description de Vile de pourtraicture.
« Ils voulaient tous que leur portrait fût fait sur ce
qu'ils paraissaient être et non sur ce qu'ils étaient effe
ctivement [...] Ils désiraient que les peuples les prissent
pour des héros et des demi-dieux. »
Comme les demi-dieux, admis sur l'Olympe, les cour
tisans veulent que leur vie se façonne en spectacle, soit
faite d'un loisir perpétuel, tissée de cérémonies et de
fêtes, vouée aux seules activités de luxe et de noblesse :
la guerre et l'amour, mais aussi soigneusement codifiés
l'un et l'autre que la chasse qui leur tient lieu d'exerc
ice. Tout relève ici de l'étiquette. On sait la place dé
volue aux préséances dans les Mémoires de Retz. Et aux
bienséances dans la préoccupation de quiconque vise à
l'honnêteté. C'est là véritablement la notion souveraine,
et le chevalier de Méré estimait qu'une vie entière n'était
pas de trop pour l'approfondir. Obligés de simplifier,
les Dictionnaires n'en ra

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