Désir et vérité dans « La Fanfarlo » - article ; n°1 ; vol.41, pg 209-223
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1989 - Volume 41 - Numéro 1 - Pages 209-223
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 91
Langue Français

Extrait

Monsieur Jérôme Thélot
Désir et vérité dans « La Fanfarlo »
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1989, N°41. pp. 209-223.
Citer ce document / Cite this document :
Thélot Jérôme. Désir et vérité dans « La Fanfarlo ». In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1989,
N°41. pp. 209-223.
doi : 10.3406/caief.1989.1715
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1989_num_41_1_1715DÉSIR ET VÉRITÉ DANS
« LA FANFARLO »
Communication de M. Jérôme THÉLOT .
(Fondation Thiers)
au XLC Congrès de l'Association, le 21 juillet 1988
La Fanfarlo occupe dans l'œuvre de Baudelaire une
place singulière. D'une part, cette nouvelle parue en 1847
date du moment où son auteur vient de se choisir poète.
Voici donc paradoxalement un récit en prose, pour mar
quer une entrée en poésie. D'autre part, La Fanfarlo a
été abandonnée par Baudelaire. Qui ne la cite que trois
fois dans sa Correspondance, et plus jamais après 1857 ;
au point que peut-être il faille parler d'un reniement,
puisque dans les listes de ses œuvres qu'il établira à la fin
de sa vie, La Fanfarlo ne figure pas. Enfin, La Fanfarlo
est singulière en ceci qu'elle est la seule nouvelle que
Baudelaire ait écrite. L'oubli de ce récit à partir de 1857
— ou son occultation — se double de cette inaptitude
— ou de cette allergie — à la composition d'autres
nouvelles.
Je poserai donc deux questions à La Fanfarlo, et pour
autant que je crois que La Fanfarlo elle-même les pose.
La première sera celle de savoir pourquoi Baudelaire en
1845 en vient à écrire une nouvelle, lors même qu'il se
veut poète. Pourquoi dès maintenant le récit en prose ?
Y a-t-il une part de conscience baudelairienne qui résiste
au poème, ou à laquelle le poème ne donne pas accès, et
qui cependant réclame ? La nouvelle a-t-elle à dire, en sa JEROME THÊLOT 210
forme analytique, reflexive, un impensé ou un irrésolu
du poème et de la décision d'être poète ? La deuxième
question viendra en écho à la première : pourquoi Baud
elaire après La Fanfarlo n'écrit-il plus ni roman ni d'autre
nouvelle ? La n'a-t-elle rien qui vaille, et Baudel
aire l'abandonne-t-il parce qu'il ne s'y reconnaît plus ?
Ou bien tout autrement La Fanfarlo a-t-elle trop dit, a-t-
elle animé une part de la conscience dont Baudelaire ne
veut pas, et qu'il refoule ? L'oubli de La Fanfarlo et le
délaissement du roman viennent-ils de ce que la poésie
est plus haute, ou au contraire La Fanfarlo et le roman
menacent-ils la poésie, incriminent-ils dangereusement la
vocation poétique et le poète, au point que celui-ci les
évacue, et se protège en se sauvant d'eux ?
Dans les Notes nouvelles sur Edgar Poe, on lit ceci :
« La vérité peut être souvent le but de la nouvelle » (1),
et d'autre part : « La poésie [...] n'a pas la vérité pour
objet » (OC, 2, 333). Les réponses à mes deux questions
seront encore des questions, mais qui interrogeront cette
hésitation baudelairienne ayant rendu La Fanfarlo
nécessaire : l'hésitation entre poème et nouvelle, entre désir
de la beauté et recherche de la vérité.
' "
, I
Pourquoi La Fanfarlo en 1845 ? Une première hypothèse
est que la nouvelle permet à Baudelaire de réfléchir sur
l'identité du moi, de poser la question : Qui suis-je ? Car
les poèmes et l'art poétique n'accueillent pas cette question
aussi rigoureusement que le récit en prose, dont les des
criptions, les analyses psychologiques et sociales, les mises
en perspective de chaque personnage par chaque autre,
sont autant d'instruments pour une connaissance en soi.
Dès la première phrase, l'anxiété de se définir est manif
este : « Samuel Cramer, qui signa autrefois du nom de
(1) OC, 2, 330. Toutes les références renvoient à l'édition de la Pléiade en
deux volumes, de 1975 pour OC, 1, et de 1976 pour OC, 2. DÉSIR ET VÉRITÉ DANS « LA FANFARLO » 21 1
Manuela de Monteverde... » (OC, 1, 553). C'est par un
nom propre que La Fanfarlo commence. Le premier souci
est celui du moi, du nom du moi, de la propriété du moi
que le nom propre atteste. Et le premier verbe est signer :
« Samuel Cramer, qui signa... », tant est grande en Baud
elaire l'obsession de son identité d'écrivain et de l'image
qu'il en donne. Remarquons que la publication de la
nouvelle en 1847 est signée : Charles Defayis, à savoir du
nom de Mme Aupick. L'écrivain qui se cherche trouve
pour nom d'auteur le nom d'une femme ; comme Cramer,
qui choisit un pseudonyme féminin : « Manuela de
Monteverde ».
Qui suis-je ? signifie donc : Suis-je un autre ? Suis-je
Samuel ou Manuela, un homme ou une femme ?
l'auteur de moi-même, ou un enfant dont l'auteur est ma
mère ? Cette incertitude quant à l'identité du moi est un
doute quant à la capacité créatrice. Le moi ne sera pro
prement le moi qu'à condition de recevoir son existence
de lui-même et d'engendrer seul sa substance autonome.
Qui suis-je ? équivaut à Comment être ? Si le jeune auteur
se donne une signature de femme, c'est parce que les
femmes ont naturellement cette grâce, dont il sent qu'il
manque, de mettre au monde ; tandis que Cramer est
« plus que tout autre, l'homme des belles œuvres ratées »,
« le dieu de l'impuissance », dont la nature est « féconde
[...] en risibles avortements » (553).
Toute la nouvelle est parcourue par cette hantise de la
mise au monde (560 et 561). Si bien qu'une ambivalence
structure la définition du moi. Pour accéder à lui-même,
l'auteur simultanément choisit un modèle féminin et refuse
ce modèle. Il n'est auteur que pour autant qu'il crée,
comme une femme ; mais il n'est lui-même que pour autant
qu'il se distingue et que sa création est incomparable à
toute autre, en particulier à celle de la maternité. JÉRÔME THÉLOT 212
La question du moi est un tiraillement entre une identif
ication au féminin et une sécession d'avec le féminin. D'où
la nature « double » du personnage (553). Physiquement,
« le menton carré et despote » est celui d'un homme ;
tandis que la chevelure « prétentieusement raphaélesque »
est d'une femme (553). Psychologiquement, de même :
« II raffolait d'un ami comme d'une femme, aimait une
femme comme un camarade » (555). Ses positions esthé
tiques révèlent la même ambivalence. De son recueil de
sonnets, Les Orfraies, Baudelaire écrit : « comme nous
en avons tous fait et tous lu, dans le temps où nous avions
le jugement si court et les cheveux si longs » (558) — à
savoir dans le temps où nous étions conformes à la défi
nition proverbiale de la femme. Mais conjointement à ce
conformisme féminin, Cramer considère « la reproduction
comme un vice de l'amour, la grossesse comme une
maladie d'araignée » (557). Ainsi imitant la femme et
refusant de l'imiter, le moi est hermaphrodite : « dieu
moderne et hermaphrodite » (553).
Mais cette instabilité de l'identité sexuelle n'est pas la
plus visible parmi toutes les instabilités qui font l'être
indéfini de Cramer. A la question Qui suis-je ?, le récit
avance la réponse : je suis celui qui est indifféremment
tous les autres. L'une des fonctions de La Fanfár h est de
déterminer l'essence de la conscience par la plasticité ; de
prendre acte de cette infinité des moi possibles, ou de
cette impossibilité de fixer le moi ; et de comprendre la
loi de ces métamorphoses :
Un des travers les plus naturels de Samuel était de se consi
dérer comme l'égal de ceux qu'il avait su admirer ; après une
lecture passionnée d'un beau livre, sa conclusion involontaire
était : voilà qui est assez pour être de moi ! — et de là à
penser : c'est donc de moi, — il n'y a que l'espace d'un tiret.
Dans le monde actuel, ce genre de caractère est plus fréquent
qu'on ne le pense [...]. Ils s'identifient si bien avec le nouv

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