Les ambiguïtés de la pudeur dans le discours médical (1570-1620) - article ; n°1 ; vol.55, pg 275-297
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Les ambiguïtés de la pudeur dans le discours médical (1570-1620) - article ; n°1 ; vol.55, pg 275-297

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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 2003 - Volume 55 - Numéro 1 - Pages 275-297
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 81
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Dominique BRANCHER
Les ambiguïtés de la pudeur dans le discours médical (1570-
1620)
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2003, N°55. pp. 275-297.
Citer ce document / Cite this document :
BRANCHER Dominique. Les ambiguïtés de la pudeur dans le discours médical (1570-1620). In: Cahiers de l'Association
internationale des études francaises, 2003, N°55. pp. 275-297.
doi : 10.3406/caief.2003.1500
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_2003_num_55_1_1500LES AMBIGUÏTES DE LA PUDEUR
DANS LE DISCOURS MÉDICAL
(1570-1620)
Communication de Mme Dominique BRANCHER
(Université de Genève)
au LIVe Congrès de l'Association, le 9 juillet 2002
Qu'a faict l'action génitale aux
hommes, si naturelle, si nécessaire et
si juste, pour n'en oser parler sans
vergongne et pour l'exclurre des pro
pos sérieux et réglez ? (Essais, 847B)
Un corpus bien particulier de textes connaît, dès le der
nier quart du XVIe siècle, puis au début du XVIIe siècle, un
problème de censure. Il ne s'agit ni de sonnets libertins, ni
d'opuscules hérétiques, ni de pamphlets politiques, mais
de traités de médecine écrits en langue vulgaire. S'ils aff
ichent leur souci de promouvoir la santé publique, cer
taines instances au pouvoir en jugent autrement. On les
accuse de menacer la santé morale, de défier la civilité,
d'enfreindre aussi bien les normes de la décence que le
secret professionnel. Telle serait leur faute ou leur audace
commune : explorer, en français, les mystères de la génér
ation, faire le décompte minutieux de ces parties dites
« honteuses », auxquelles un contexte chrétien attache
honte et culpabilité, depuis l'interprétation augustienne
de la chute. Or, le faire en français, c'est menacer le mono- 276 DOMINIQUE BRANCHER
pole du latin comme langue de science. C'est surtout don
ner une visibilité plus grande au corps en le livrant à la
sensibilité profane d'un large public, et notamment au
regard chaste des dames et demoiselles.
Pour les auteurs, jamais la pudeur des lectrices n'aura
été aussi bien gardée que dans ce rapport intime au livre.
En revanche, les réactions de la censure mettent en valeur
les dangers liés à la liberté herméneutique, et la possible
réappropriation du livre médical aux dépens des proto
coles de lecture, plus ou moins sincères, qu'il affiche. C'est
que dans l'enthousiasme de sa divulgation, le texte médic
al cherche à échapper à la discursivité sèche du savoir
pour se proposer aux regards comme tableau, théâtre ou
image des corps. Or, jusqu'à quel point l'accès à la vérité
doit-il dépendre de cette sollicitation de l'imaginaire et
des passions de l'auditoire, périlleuse lorsque l'objet évo
qué et convoqué est le corps dans sa sexualité ? De fait,
l'auteur médical a beau jeu de refuser à son lecteur les
équivoques de l'interprétation, alors que c'est l'ambiguïté
de son écriture qui la nourrit. Marquée par une indétermi
nation aussi bien générique qu'énonciative, sa prose appar
aît tiraillée entre des objectifs potentiellement contradic
toires : peut-elle se trouver à la fois rhétoriquement
efficace, moralement vertueuse, et scientifiquement rigou
reuse ? Il n'y a pas de démarcation sémantique stable qui
sépare dans ces textes le physiologique de l'éthique ou de
l'erotique; la conceptualisation des états du corps est insé
parable d'un jugement moral, ou d'une implication sub
jective de la part de l'auteur, lorsqu'il fait du savoir un
prétexte libidinal (1). Ainsi derrière l'énonciateur poly
phonique du traité médical se confondent ou s'affrontent
plusieurs voix : celle du médecin, celle du théologien et
du philosophe moral, enfin celle du conteur obscène et de
l'observateur masculin partial, qui trahit sa fascination à
(1) Sur ce point, voir G.K. Paster, The Body embarrassed, drama and the disci
plines of shame in early modern England, Ithaca, New- York, Cornell University
Press, 1993, p. 169. LES AMBIGUÏTÉS DE LA PUDEUR 277
s'occuper d'un thème clé de la médecine renaissante: le
corps féminin. Ce dernier joue ainsi un rôle crucial dans
ces débats, à la fois comme motif textuel idéologiquement
troublant pour l'auteur et le lecteur, et comme lieu problé
matique d'une lecture qui exige une rationalité faisant
défaut au sexe faible.
Après le Concile de Trente et les raidissements de la
contre-réforme, c'est donc la figurabilité de l'« action géni
tale » qui est mise en question dans cette littérature en
plein essor, oscillant entre le registre de l'érotisme litté
raire et celui du pragmatisme didactique. À la fois parce
que le français médical est en chantier et cherche à
conquérir une légitimité générique, et parce qu'il paraît
plus malséant ou plus suggestif que le latin dans un
contexte qui élabore un nouvel idéal social de comporte
ment. Enfin, parce que dans ce cadre chrétien le modèle
du drame paradisiaque pèse sur la possibilité de la repré
sentation: quelle langue utiliser pour décrire les pudenda,
qui puisse échapper aux conséquences de la chute, la
pudeur et l'érotisme ? De fait, la plume médicale s'arrête,
hésite, plaisante ou s'excuse avant d'aborder le thème
sexuel, alors même qu'elle revendique le droit d'en parler
librement. La tension à l'œuvre dans ces textes qui reven
diquent leur indépendance générique tout en restant sou
mis à des impératifs moraux, religieux, ou même anthr
opologiques, fera l'objet des pages qui vont suivre.
Comment la connaissance médicale va-t-elle se heurter au
problème de sa formulation?
LE JEU ENTRE CACHER ET MONTRER
En guise de point de départ, relevons d'emblée un para
doxe. Explorant de manière privilégiée des domaines
avant-gardistes comme l'anatomie et la gynécologie, le
nouveau genre vernaculaire se propose d'exposer le corps
aux yeux de tous, au moment même où l'essor des règles
de la civilité demande justement à le cacher, et appelle à la
clôture, au repli du corps sur soi. Ainsi, la diffusion crois- 278 DOMINIQUE BRANCHER
santé de représentations détaillant le corps, et la régulari
sation de la pratique de la dissection, qui dès 1530 attire
de plus en plus de curieux en dehors des cercles spéciali
sés, vont de pair avec l'émergence d'un nouvel idéal social
de comportement, multipliant les lieux de la décence. De
surcroît, la spécularité de la relation du lecteur au corps
représenté — « nosce te ipsum » est le motto des anato-
mistes — ne fait qu'exacerber cette confrontation entre de
nouveaux modèles normatifs et le développement d'une
science encore intimement liée à la question de la
conscience de soi (2). A la manière de ces squelettes
mélancoliques, méditant à la fois la finitude de leur condi
tion et les merveilles de leur constitution, le spectateur/
lecteur renaissant est ainsi invité à se reconnaître dans ce
corps paradigmatique qu'on ose lui exposer. En ce sens,
l'anatomie a non seulement maille à partir avec la ques
tion du voyeurisme, mais aussi avec celle du narcissisme.
Cette tension qui conjugue dévoilement et dissimulat
ion régit de manière exemplaire le protocole anatomique
de Charles Estienne, conçu comme une véritable scéno
graphie populaire dans la Dissection des parties du corps
humain (traduction de l'édition originale latine de 1545) .
D'une part, il invite à couvrir la face et les parties hon
teuses du cadavre exposé à la verticale, pour ne « retirer et
distraire ailleurs la fantasie des spectateurs ». C'est qu'Es-
tienne envisage le spectacle du théâtre anatomique
comme un événement ouvert non seulement aux étu
diants mais aussi aux non-spécialistes, à tous ceux aux
quels « plaira contempler l'excellent artifice de nature », et
qui seront peut-être incapables d'installer une distance
cognitive et affective face au cadavre. Alberti, bien avant
(2) Sur les différentes valeurs accordées au No

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