Molière et l envoyé de la Sublime Porte  - article ; n°1 ; vol.9, pg 103-116
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1957 - Volume 9 - Numéro 1 - Pages 103-116
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1957
Nombre de lectures 68
Langue Français

Extrait

Madame Adile Ayda
Molière et l'envoyé de la Sublime Porte
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1957, N°9. pp. 103-116.
Citer ce document / Cite this document :
Ayda Adile. Molière et l'envoyé de la Sublime Porte . In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1957,
N°9. pp. 103-116.
doi : 10.3406/caief.1957.2102
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1957_num_9_1_2102MOLIÈRE
ET L'ENVOYÉ DE LA SUBLIME PORTE
Communication de Mme Adile AYDA
{Stamboul)
au VIIIe Congrès de l'Association, le 4 septembre 1956
Nous sommes réunis ici pour parler des divertissements de
cour au XVIIe siècle. Il est certain que le plus grand divertisseur
de cour, au xvii6 siècle, fut Molière et que la plus divertissante
de ses comédies est « Le Bourgeois gentilhomme », qu'on a appelée
une turquerie.
Etant turque moi-même et chargée depuis de longues années
de l'enseignement de la littérature française à l'Université d'Is
tanbul, il est naturel que je me sois intéressée à cette pièce, à sa
signification, aux circonstances dans lesquelles elle fut composée.
Les manuels de littérature française nous disent que Molière
écrivit « Le Bourgeois gentilhomme » par ordre de Louis XIV,
lequel voulait se venger de l'orgueil d'un envoyé turc. C'est là
une explication qui m'a toujours paru étrange. En effet, elle n'est
conforme ni à la logique, ni à la psychologie. Logiquement, un
souverain puissant dispose d'autres moyens de se venger de l'arr
ogance d'un envoyé étranger que de recourir aux soins d'un auteur
dramatique. Si ses griefs portent contre l'Etat représenté par
l'envoyé, il y a la voie des représailles militaires, politiques, diplo
matiques. Si c'est la personne de l'envoyé que vise le courroux
royal, il y a mille façons efficaces de le lui marquer.
Psychologiquement non plus, l'explication des manuels ne tient
pas debout. Ceux qui connaissent la signification humaine du cri
d'Hermione, lorsqu'elle dit, en songeant à Pyrrhus :
« ... Ma vengeance est perdue
« S'il ignore en mourant que c'est moi qui le tue... » 104 ADILE AVDA
eh bien, ceux-là savent que, pour qui se venge, il importe avant
tout que la vengeance soit sue de l'adversaire ou de l'ennemi.
Or, au moment où Louis XIV commande la turquerie, il sait
fort bien que ni l'envoyé, ni aucun autre Turc n'assistera à la
représentation de la comédie-ballet.
A cette première représentation du « Bourgeois gentilhomme »,
telle qu'elle est racontée par Grimarest, qui est le premier bio
graphe de Molière, est liée d'ailleurs une seconde énigme, solli
citant l'attention de l'histoire littéraire depuis trois cents ans.
L'auteur de « La Vie de M. de Molière » nous dit en effet ceci :
« Jamais pièce n'a été plus malheureusement reçue (du roi) que
celle-là; et aucune de celles de Molière ne lui donna tant de
déplaisir. Le Roi ne lui en dit pas un mot à son souper et tous
les courtisans la mettaient en morceaux. (1) »
Pourquoi Louis XIV fut-il si courroucé contre Molière ?
Pourquoi, d'autre part, avait-il conçu, contre l'envoyé turc, une
colère aussi vengeresse ? Ne peut-on supposer qu'il y avait un
rapport, un lien entre ces deux faits ? Quel était ce lien ? C'est
ce que j'avais décidé de rechercher.
Dans ce dessein, j'ai feuilleté de nombreux ouvrages d'histoire.
J'ai étudié les relations diplomatiques entre la France et l'Empire
ottoman dans les livres des historiens turcs, allemands, français :
Naima, Rachid, Hammer, Ranke, d'Ohsson, La Jonquière, Lavisse
et Rambaud, etc. En même temps, je parcourais les biographies
de Molière et examinais de près la vie de Louis XIV. Je ne
trouvais rien qui pût expliquer le double courroux du plus grand
roi de France.
Puis un jour, à la suite de circonstances qu'il serait long de
relater ici, j'ai découvert à la Bibliothèque nationale un livre qui
1. Grimarest, La Vie de M. de Molière, Paris, 1705, p. 261.
On sait que toutes les biographies de Molière reposent sur les
renseignements et détails donnés par Grimarest. Il est assez plaisant
de voir certains auteurs, tels que MM. Eugène Despois et Paul Mes-
nard, annotateurs des Œuvres complètes de Molière, prêter en tout
une foi aveugle à Grimarest et adopter tout d'un coup un ton scep
tique concernant ce qu'il dit de l'attitude de Louis XIV après la
première représentation du « Bourgeois gentilhomme ». Il est évident
que c'est uniquement l'impuissance de rattacher le fait à une cause qui
leur dicte ce ton. ADILE AYDA 105
rn'a aidé à trouver la solution cherchée, en me faisant voir les
choses sous un jour tout nouveau. Ce livre a pour titre : « Les
Mémoires du chevalier d'Arvieux, recueillies par le R.P. Jean-
Baptiste Labat» (2).
Je m'empresse de dire que je n'ai pas véritablement décou
vert le livre, puisque j'ai vu par la suite que quelques-unes des
histoires de l'Empire ottoman le citaient et que les éditeurs des
œuvres complètes de Molière, MM. Despois et Mesnard, lui
empruntaient la définition de quelques titres orientaux.
Ce que j'avais découvert, c'était que p'ersonne n'avait jamais
lu ou voulu lire ce livre attentivement.
Je vous dirai donc comment les choses se sont éclairées pour
moi grâce à ce livre, pour ce qui est des motifs qui ont poussé
Louis XIV à commander une turquerie.
Je m'excuse d'avance si les faits que j'aurai à relater, si les
situations que j'aurai à dépeindre doivent déranger quelque peu
l'idée qu'on se fait de la majesté et du prestige du Roi-Soleil.
Toutefois, à l'époque qui nous intéresse, le Roi-Soleil n'était
encore que le soleil levant. Il n'avait pris le pouvoir en main que
depuis huit ans, lui qui devait l'exercer pendant cinquante-quatre
ans. Son jeune orgueil avait des soubresauts, qui lui faisaient faire
des gestes inopinés et démesurés. Il voulait partout la première
place pour lui-même et le premier rang pour la France. Ce qu'il
ne pouvait comprendre dans le domaine des relations internatio
nales, c'était la prééminence dont jouissait l'Empire Ottoman et,
aussi, l'obligation qu'avaient tous les peuples et tous les souve
rains de considérer l'empereur des Turcs comme leur maître, de
l'appeler dans la correspondance officielle, le « Grand-Seigneur ».
Il ne comprenait pas non plus pourquoi le gouvernement turc
exigeait que les autres Etats envoient des ambassadeurs à Cons
tantinople et ne daignait point d'en envoyer lui-même auprès de
ces Etats. Or, tout cela faisait partie des principes du Droit inter
national de l'époque. Les Turcs qui avaient constitué un empire
aussi grand que celui des Romains et pris la succession
de ceux-ci, se considéraient comme les seigneurs des autres peu-
2. Paris, Librairie Delespine, 1735 (tome I). 106 ADILE AYDA
ples. Ils avaient l'ambition de renverser l'Empire d'Autriche, de
conquérir toute l'Europe. Ils estimaient, comme tous les construc
teurs d'empires, qu'ils avaient une mission : celle de pacifier et
de civiliser les peuples. Les Turcs avaient failli prendre Vienne
au temps de Soliman le Magnifique. Ils allaient forcer de nouveau
ses portes dans une dizaine d'années.
Louis XIV avait vis-à-vis de l'Empire ottoman ce qu'en psy
chologie moderne on appelle un complexe. Il admettait la puis
sance, la grandeur, l'éclat de cet Empire. Il l'enviait, le jalousait,
eût voulu que la France s'étendît au point de l'égaler. C'est pour
quoi il adopta vis-à-vis des Turcs une politique double.
« C'est ce double sentiment qui faisait éclater sans cesse une
apparente contradiction entre les paroles et les actes de la France
relativement aux Ottomans. »
Cette dernière phrase n'est pas de moi, mais d'un Français
illustre, de Lamartine (3), qu'on peut trouver fade ou mièvre
comme poète, mais qui est un historien de premier ordre, ayant
écrit la meilleure histoire de la Révolution, avec son « Histoire
des Girondins».
Il semble que nous soyons très loin du « Bourgeois gent
ilhomme» et des div

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