Montaigne anatomiste - article ; n°1 ; vol.55, pg 299-315
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 2003 - Volume 55 - Numéro 1 - Pages 299-315
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 44
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean Céard
Montaigne anatomiste
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2003, N°55. pp. 299-315.
Citer ce document / Cite this document :
Céard Jean. Montaigne anatomiste. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2003, N°55. pp. 299-315.
doi : 10.3406/caief.2003.1501
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_2003_num_55_1_1501MONTAIGNE ANATOMISTE
Communication de M. Jean CÉARD
(Université de Paris X - Nanterre)
au LIVe Congrès de l'Association, le 9 juillet 2002
On ne se propose pas, sous ce titre, de relever les sen
tences et formules des Essais qui posent Montaigne en
précurseur des moralistes du XVIIe siècle et de leur anato
mie de l'âme. Certes ces sentences et formules ne man
quent pas, et, du reste, très tôt elles ont été remarquées et
collectées par les lecteurs. Ainsi Pasquier, dans une
célèbre lettre à Pelgé, en offre un petit florilège, où l'on
trouve, par exemple : « L'amour est un désir forcené de ce
qui nous fuit », ou « La vieillesse nous attache plus de
rides en l'esprit qu'au visage ». A ces « sentences notables
de cet auteur », comme dit Pasquier, il serait très facile
d'ajouter, puisque, toujours selon Pasquier, « son Livre est
un vrai séminaire de belles et notables sentences ». Pour
ma part, j'y joindrais volontiers celle-ci : « II est certaine
façon d'humilité subtile, qui naît de la présomption » (II,
37, p. 1188 (1)), — et quelques autres. Au demeurant,
pourquoi nous tenir aux seules sentences ? Les Essais mult
iplient les analyses déliées des passions, comme, au pre-
(1) Les références aux Essais (éd. de 1595) données dans le texte entre
parenthèses comportent l'indication du livre et du chapitre, suivie de la
page ou des pages de l'éd. de la Librairie Générale Française, « Le Livre de
poche », « La Pochothèque », 2001. L'édition de 1595 ayant déplacé, au pre
mier livre, le chapitre 14, devenu 40, les renvois aux chapitres intermédiaires
indiquent le numéro du chapitre dans l'éd. de 1595, suivi (entre crochets) de
son numéro dans les éditions antérieures. 300 JEANCÉARD
mier livre, celle de la peur, avec ses effets parfois tout
contraires, puisque « tantôt elle nous donne des ailes aux
talons, tantôt elle nous cloue les pieds, et les entrave » (I,
17 [18], p. 118), ou, ailleurs, celles de la gloire ou de la
colère.
Mais, à agir de la sorte, qui ne voit qu'à peu de chose
près, ce serait une route par laquelle, comme dirait Mont
aigne, « sans cesse et sans travail, j'irai[s] autant qu'il y
aura d'encre et de papier au monde » (III, 9, p. 1476) ? En
outre, cette entreprise est-elle légitime ? Il est nécessaire,
avant d'utiliser indiscrètement la métaphore de l'anato-
mie, de chercher d'abord à savoir si elle est présente à l'es
prit de Montaigne lorsqu'il forge ces sentences ou élabore
ces analyses.
Aussi est-il bon d'examiner, pour commencer, les occur
rences du mot même d'anatomie sous la plume de Mont
aigne, avant de tenter de dégager les images de l'être
humain qui le guident ; on pourra alors s'arrêter à l'int
éressant sixième chapitre de livre II, intitulé « De l'exercita-
tion », où, cette fois, mais dans un contexte assez singul
ier, la métaphore de l'anatomie semble dominer ce qu'il
appelle « la description de soi-même » (II, 6, p. 602).
*
* *
L'examen des occurrences du terme d'anatomie, au
propre comme au figuré, ne demande pas beaucoup de
temps : ces emplois sont, en effet, peu nombreux. Leur
examen ne laisse pas pourtant d'être instructif. Au sens
propre, d'abord. Dans l'« Apologie de Raimond de
Sebonde », établissant notre ignorance, Montaigne
observe que, même si les sciences et les arts sont capables
de progrès, notre savoir est plein d'incertitudes : « II est
vraisemblable que si l'âme savait quelque chose, elle se
saurait premièrement elle-même ; et si elle savait quelque
chose hors d'elle, ce serait son corps et son étui, avant
toute autre chose. Si on voit jusques aujourd'hui les dieux MONTAIGNE ANATOMISTE 301
de la médecine se débattre de notre anatomie, [...] quand
attendons-nous qu'ils en soient d'accord ? » (II, 12, p. 871-
872). On ne trouvera pas, chez Montaigne, cet éloge de
l'anatomie qu'un auteur que pourtant il lit et estime,
Ambroise Paré, prononce dans la préface de son « tro
isième Livre traitant de l'anatomie de tout le Corps
humain », quand, au moment de formuler les quatre ra
isons de la connaître, il déclare d'abord : « Quant à son uti
lité, il y en a quatre principales, dont la première nous
mène et conduit à la connaissance du Créateur, comme
l'effet à la connaissance de la cause, ainsi que témoigne
saint Paul, disant que les choses invisibles de Dieu sont
manifestées et connues par l'intelligence des choses faites
et sensibles » (2). Ce célèbre passage de l'Épître aux
Romains, I, 20, Montaigne le cite pourtant deux fois au
début de Г « Apologie » (II, 12, p. 702), précisant même,
au passage, que tout, y compris « notre corps et notre
âme », concourt à notre croyance en Dieu ; de plus, tr
aduisant la Théologie naturelle de R. Sebon, il a vu, au cha
pitre 104, son auteur louer la merveille du corps humain,
ce « corps bâti et façonné d'un artifice très parfait et excel
lent au dessus de tous les autres corps du monde ». N'em
pêche qu'au moment de parler de l'anatomie, il ne retient
que les désaccords des anatomistes. Or, cette aptitude du
corps à nous élever à la connaissance du Créateur est
volontiers indiquée par les apologistes du christianisme :
son contemporain Pierre de La Primaudaye, auteur que
Montaigne semble bien avoir lu, dans La suite de l'Acadé
mie française, en laquelle est traité de l'homme, fait de la
connaissance de « la composition du corps humain et de
ses parties » le premier temps de la nécessaire connais
sance de soi, puisque c'est le « logis que Dieu a donné à
l'homme pour habitacle en la terre » (3). Ce propos est si
commun que même des anatomistes peuvent le tenir.
Nicolas Habicot, dans son petit livre intitulé La Semaine,
(2) A. Paré, Œuvres, éd. 1585, f. LXXXVII.
(3) Pierre de La Primaudaye, La suite de l'Académie française, en laquelle est
traité de l'homme, 1, 2, éd. Paris, J. Chouet, 1593, f. 17 b. 302 JEAN CÉARD
ou pratique anatomique, par laquelle il est enseigné par Leçons
le moyen de disassembler les parties du corps humain les unes
d'avec les autres, sans les intéresser (4), opuscule qui est un
simple manuel de dissection, annonce dès la page de titre
que c'est une œuvre « utile et nécessaire à ceux qui dési
rent parvenir à la parfaite connaissance d'eux-
mêmes » (5). Se connaître soi-même est assurément une
préoccupation de Montaigne ; mais il ne semble pas y
inclure l'anatomie. Une autre mention de l'anatomie, dont
cette fois le nom même n'est pas employé, lui est même
plutôt défavorable : au nombre des « mauvais moyens
employés à bonne fin », il mentionne la très cruelle pra
tique de jadis qui permettait « que les criminels, à quelque
sorte de mort qu'ils fussent condamnés, fussent déchirés
tout vifs par les médecins, pour y voir au naturel nos part
ies intérieures, et en établir plus de certitude en leur art »
(II, 23, p. 1058). (Montaigne s'inspire ici d'Agrippa (6), qui
appelle cet usage « une spectaculaire boucherie », theatrica
carnificina.) Retenons pourtant cette mention, dont on
verra plus loin le paradoxal intérêt. Et pour l'instant
notons que Montaigne n'imaginerait guère Dieu en anato-
miste comme le fait La Primaudaye, quand il recom
mande qu'« en regardant l'admirable composition et dis
position des membres de notre corps, il nous souvienne
du Créateur d'icelui, qui voit ce qui y est plus caché et
secret, et qui peut faire, comme il lui plaît, anatomie et du
corps et de l'âme, et les envoyer tous deux en la géhenne
du feu éternel, quand ils ne

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