Nouvelles recherches sur le vouvoiement : quatre poèmes épiques, quatre formes d adresses, quatre tempéraments nationaux ? - article ; n°1 ; vol.132, pg 58-74
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Nouvelles recherches sur le vouvoiement : quatre poèmes épiques, quatre formes d'adresses, quatre tempéraments nationaux ? - article ; n°1 ; vol.132, pg 58-74

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Description

Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres - Année 1988 - Volume 132 - Numéro 1 - Pages 58-74
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 12
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Philippe Wolff
Nouvelles recherches sur le vouvoiement : quatre poèmes
épiques, quatre formes d'adresses, quatre tempéraments
nationaux ?
In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 132e année, N. 1, 1988. pp. 58-
74.
Citer ce document / Cite this document :
Wolff Philippe. Nouvelles recherches sur le vouvoiement : quatre poèmes épiques, quatre formes d'adresses, quatre
tempéraments nationaux ?. In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 132e année, N.
1, 1988. pp. 58-74.
doi : 10.3406/crai.1988.14572
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1988_num_132_1_14572COMMUNICATION
NOUVELLES RECHERCHES SUR LE VOUVOIEMENT :
QUATRE POÈMES ÉPIQUES, QUATRE FORMES D'ADRESSES,
QUATRE TEMPÉRAMENTS NATIONAUX ?
PAR M. PHILIPPE WOLFF, MEMBRE DE L'ACADEMIE
II m'a été donné, voilà quelque temps déjà, de vous entretenir de
mes premières recherches sur l'apparition du « vous » dans le latin
médiéval, alois que l'Antiquité n'avait connu que le « tu ». Le travail
que j'ai accompli depuis lors me permet aujourd'hui de vous pré
senter une nouvelle phase de cette investigation. Avant d'y procéder,
qu'un bref retour en arrière me soit permis.
Il doit s'ouvrir par un hommage à un érudit allemand, le professeur
Gustav Ehrismann, enseignant à l'Université de Strasbourg, alors
rattachée au Reich, et qui, entre 1900 et 1905, publia environ deux
centaines de pages sur le sujet : « Duzen und Ihrzen im deutschen
Mittelalter » (« tutoiement et vouvoiement en Allemagne médié
vale »y. La forme en était aussi rebutante que possible : des pages
entières sans alinéa, des notes envahissantes, un petit corps pressé.
On s'explique que l'article n'ait pas éveillé beaucoup d'échos. Peu
après, la guerre acheva, si j'ose dire, de lui couper l'herbe sous les
pieds. En fait, si l'on se résout à franchir cette barrière de feu, c'est
un véritable trésor que l'on trouve : une pensée novatrice, riche,
nuancée, dont j'ai beaucoup profité.
J'écrivais : « II conviendrait de joindre à cette enquête sur le
couple tu-vous une autre enquête à mener sur le couple je-nous. »
Remarque plus juste encore que je ne pensais. Car c'est par ce dernier
que tout a commencé. Les auteurs de la nouvelle forme d'adresse
ont été les empereurs et les évêques. Lorsqu'un seul empereur régis
sait l'Empire romain, il écrivait naturellement : je. Mais vous savez
que la lourdeur de la tâche rendit indispensable au Bas Empire
d'avoir plusieurs empereurs à la fois. Tout aussi naturellement, ils
écrivirent : nous. Lorsque le hasard des décès ou des dépositions
rétablissait temporairement l'unicité de la charge impériale, ce
« nous » persistait. Le « nous de majesté » était né, le « vous » n'eut
qu'à suivre. — Les évêques : lorsque le christianisme naissant
réintroduisit dans l'individualisme romain une forme de commu-
1. Tome I, 1901, p. 117-149 ; tome II, 1902, p. 118-159 ; tome IV, 1903,
p. 210-248 ; tome V, 1903-1904, p. 127-220. LE VOUVOIEMENT DANS LA LITTÉRATURE MÉDIÉVALE 59
nauté, ses chefs écrivirent « nous » en pensant aux groupes qu'ils
dirigeaient. Dans la suite de leurs écrits, il arrivait que ce « nous » ne
s'appliquât qu'à leur seule personne. Là aussi, un pluriel, disons de
communauté, était né.
Tout cela se produisit au 111e siècle ap. J.-C. Plus tard, ce qui était
simple formule de politesse, au point de donner naissance au discours
mêlé, où la même personne était, selon le cas, tutoyée et vouvoyée
dans la même lettre, voire dans la même phrase, devint une caté
gorie de la pensée et du sentiment. Il y eut des personnes que l'on
tutoyait, et d'autres que l'on vouvoyait. Je pense avoir établi par
une étude des correspondances que cette mutation se produisit pour
l'essentiel à l'époque carolingienne, et qu'Alcuin en fut le plus émi-
nent représentant.
Aujourd'hui je voudrais diriger notre attention sur le passage du
latin aux langues vulgaires, et force m'est d'utiliser un nouveau type
de source : les œuvres littéraires. Ce sont — faut-il s'en étonner ? —
des poèmes épiques. Mon propos est d'analyser successivement, du
point de vue qui est le nôtre, et en suivant l'ordre chronologique de
leurs rédactions : le Beowulf anglo-saxon, écrit vers 700, à la compré
hension duquel la connaissance de l'allemand est plus utile encore
que celle de l'anglais; la Chanson de Roland, « déclinée » vers 1100
par Turoldus, monument qui se dresse à l'aube de notre langue d'oïl ;
la traduction (ou adaptation) qu'en donna, une quarantaine d'années
plus tard, le curé Conrad, le Rolandslied; enfin la première grande
œuvre en castillan, le Cantar de mio Cid, qui est du xne siècle.
Commençons donc par le Beowulf. Ce poème anglo-saxon de
quelque 6 000 vers assonances a été, on l'admet — car le texte ne
l'indique pas expressément — , composé vers 700 au plus tard2,
par un seul auteur, angle ou mercien à en juger par sa langue, païen
de naissance et converti à un christianisme dont il n'avait qu'une
vague connaissance. Un seul manuscrit, le Vitellius A XV, que Sir
Robert Cotton découvrit au xvne siècle dans la bibliothèque d'un
monastère, et qui repose aujourd'hui au British Muséum, nous a
transmis cette œuvre3.
On peut la résumer ainsi : Hrodgar, roi des Danois, a élevé un
vaste édifice, Heorot, pour y traiter ses guerriers et leur dispenser
ses trésors. Mais un monstre nommé Grendel, exaspéré par l'écho
2. Après l'invasion d'Hygelac (512), à laquelle le poème fait allusion, avant la
chute des Mérovingiens (752), qu'il ignore.
3. Depuis que le philologue danois Thorkelin en prit copie en 1786, de nomb
reuses éditions et traductions en ont été procurées. J'utilise celles de Hubert
Pierquin, Le poème anglo-saxon de Beowulf, Paris, Picard, 1912. 60 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS
des festins journaliers, dévore quinze « thanes » (ou chevaliers), en
enlève quinze autres, et revient de temps en temps. Heorot reste
déserté pendant douze ans. Un puissant guerrier appartenant à un
peuple qui habite la Suède méridionale, les Geats, renommé pour sa
force surhumaine, Beowulf, en entend parler. Il décide d'intervenir,
traverse la mer avec quatorze suivants et, après avoir vu périr l'un
d'eux, étouffé par Grendel, s'attaque au monstre, et lui arrache un
bras. Celui-ci se réfugie dans ses marais pour y mourir. La nuit
suivante, la mère de Grendel venge la mort de son fils en tuant un
noble danois, Aeschere. Beowulf la poursuit, la traque au fond de ses
marais où, après une lutte héroïque, il lui tranche la tête. Les Danois,
auxquels il la rapporte, le fêtent dans Heorot rouvert, et le chargent
de riches présents. Beowulf rentre dans son pays et narre ses aven
tures à son oncle Hygelac, roi des Geats. Au décès de ce dernier,
il refuse le trône, et défend en combat le jeune roi Heardred, qui y
périt. Il devient alors roi des Geats, les gouverne en paix durant
50 ans, jusqu'à la venue d'un dragon, qui désole le pays. Abandonné
par l'élite de ses guerriers, terrifiés, il écrase le serpent de feu, mais
trouve la mort dans cette lutte.
On le voit, c'est encore une atmosphère primitive et sauvage qui
nous enveloppe. On respire un paganisme sur lequel sont plaquées
des allusions à un christianisme mal assimilé. Le poème, que les
Anglais revendiquent à l'aube de leur littérature, comme nous pour
la Chanson de Roland, ne manque pas d'une sombre grandeur,
incontestablement épique.
De notre point de vue, la situation est simple. Tous les person
nages se tutoient, sans aucune exception, aussi bien les grands
entre eux, ainsi Beowulf et Hrothgar, qu'une femme, lorsqu'elle
s'adresse à eux, ainsi Waltheow, épouse de Hrothgar, parlant à son
mari ou à Beowulf. Ils tutoient leurs inférieurs, mais ceux-ci le leur
rendent. Implorent-ils une divinité, ainsi la Terr

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