Paul Bénichou et la lecture des petits romantiques - article ; n°1 ; vol.56, pg 277-289
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 2004 - Volume 56 - Numéro 1 - Pages 277-289
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2004
Nombre de lectures 49
Langue Français

Extrait

M Jean-Luc Steinmetz
Paul Bénichou et la lecture des petits romantiques
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2004, N°56. pp. 277-289.
Citer ce document / Cite this document :
Steinmetz Jean-Luc. Paul Bénichou et la lecture des petits romantiques. In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 2004, N°56. pp. 277-289.
doi : 10.3406/caief.2004.1544
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_2004_num_56_1_1544PAUL BENICHOU ET LA LECTURE DES
PETITS ROMANTIQUES
Communication de M. Jean-Luc STEINMETZ
(Université de Nantes)
au LVe Congrès de l'Association, le 8 juillet 2003
Avant de parler d'un point précis de la critique mise en
place par Paul Bénichou, je ne résiste pas au plaisir d'évo
quer quelque souvenir personnel de celui qui, très tôt, fut
pour moi un maître. Il se trouve qu'en 1956 Paul Bénichou
enseignait au lycée Condorcet et que je fus son élève en
classe de première, la rhétorique de ce temps-là. Le per
sonnage imposant portait chapeau, écharpe, se montrait
vite sensible au froid, particulièrement violent cet hiver-là.
Nous le respections presque naturellement, sans qu'il y
allât de sa part de vaines démonstrations d'autorité. Avant
le cours de l'après-midi, il avait l'habitude, dès 13 heures,
d'occuper déjà sa place au bureau dans la salle de classe. Je
sus par la suite qu'il préparait alors la traduction des Inqui-
siciones de Borges qu'il avait connu à Buenos Aires, pen
dant la deuxième Guerre mondiale. L'année fut, comme on
dit, fructueuse, marquée par divers événements, dont le
plus terrible, l'invasion par l'URSS de la Hongrie, pour
lequel nous l'avons vu réagir avec sa sobriété habituelle,
mais la colère rentrée que l'on devine. Une curiosité plus
grande fit découvrir à l'un d'entre nous, par les souvenirs
de son père, la conduite rebelle de Bénichou, quand il était
à l'École normale, rue d'Ulm : une protestation contre le
service militaire, qui lui valut de rencontrer le groupe sur- 278 JEAN-LUC STEINMETZ
réaliste et Breton. La légende prenait forme ; mais la pre
mière partie du bac et les grandes vacances allaient nous
éloigner désormais de cet homme, bientôt parti enseigner
à Harvard, et dont l'enseignement passionné et raisonné
tout à la fois, avait fait saisir, enfin, à certains d'entre nous,
ce qu'était la littérature. A cette époque, je n'ai pas osé,
bien sûr, lui montrer les poèmes que je griffonnais avec
Mallarmé et Rimbaud en tête. Mais à l'occasion d'un de
ces cours magiques où il rappelait les grandes idées du
romantisme, je me risquai à lui demander des précisions
sur ceux que l'on dénommait « les petits romantiques » et,
plus particulièrement, sur ce Pétrus Borel le Lycanthrope
dont les nom, prénom et sobriquet formaient un cocktail
prometteur d'étrangetés. Je garde encore en mémoire ce
jour (inscrit sur un carnet) où, transgressant tout à coup le
sage développement du cours, il passa une bonne heure à
évoquer de chic les « frénétiques », dont tous les manuels,
hormis le bien aimé Castex et Surer, ignoraient l'existence.
C'est dire qu'en choisissant comme sujet pour mon propos
« Paul Bénichou et les petits romantiques », je ne fais
qu'acquitter envers lui, et par delà la mort, une dette
depuis longtemps contractée, car elle m'assigne à des
questions originales, voire originelles, sans lesquelles, je
crois, il serait fort difficile de comprendre la destination
même de la littérature
*
J'ai annoncé que j'allais parler de ceux que depuis long
temps on a dénommés « petits romantiques », sans doute
pour les distinguer, avec une énergie presque malséante,
de leurs grands frères plus fortunés. Paul Bénichou, seul
parmi les critiques, s'est penché sur eux avec une
attention digne d'éloge. Il semble avoir perçu dans
ces jeunes turbulents qu'il préfère nommer « les Jeune-
France » le germe de la future poésie, celle qui se dévelop
pera après la révolution de Février 48 et qui, par Baude- PETITS ROMANTIQUES 279 LES
laire, mènera jusqu'à Lautréamont, Rimbaud et Mallarmé.
Le choix qui fut le sien, et qu'il n'eut de cesse de justifier,
lui a fait envisager le vaste empan d'un peu plus d'un
demi-siècle de poésie, non sans laisser de vastes domaines
en attente, comme le Kamtschatka baudelairien, à peine
exploré par lui, alors qu'il comptait — dernière tâche
entreprise et combien souhaitée ! — s'en faire le plus avisé
des géographes.
On connaît la thèse qui soutient son entreprise et qui,
dans nos ères de détresse, nous requiert d'autant plus,
thèse à n'en pas douter inspirée par Dumézil, mais aussi
par Julien Benda et qui, en première instance, me paraît
issue du Mallarmé des Divagations. La reconnaissance
d'une fonction tripartite dans la civilisation européenne,
le constat d'une cléricature laïque plus ou moins prête à
remplir son office, l'affirmation d'un besoin de religieux
pour une foule, au moment même où la religion tradition
nelle ne répond plus à ses attentes, légitiment une
recherche sur l'« avènement d'un pouvoir spirituel
laïque » et la mise en place d'un nouveau sacerdoce plus
ou moins avoué.
À partir de cette réflexion, Paul Bénichou a construit un
vaste et profond édifice où la qualité critique se révèle
exemplaire, dans la visée d'ensemble et le trait de détail,
dans le style comme dans l'utilisation du matériel de
recherche. Et si les grandes démonstrations sont faites
avec d'autant plus de densité qu'elles s'intéressent au
« temps des prophètes », Lamartine, Vigny, Hugo, elles
n'ont pas un moindre éclat quand elles observent les mar
ginaux, les secondaires, les inconnus ou méconnus trop
souvent négligés, sur lesquels, cependant, il n'hésita pas
— quelque ingrat que fût un tel travail — à se pencher,
mû par l'honnêteté critique plus que par la commisérat
ion, on l'imagine. Comprenons bien que ces individus du
second rayon sont révélateurs, à la manière d'un symptô
me, comme s'ils portaient, malgré eux, et presque avec
ostentation, l'échec d'un mouvement, c'est-à-dire, de
manière plus positive, tout l'impossible dont s'est nourri 280 JEAN-LUC STEINMETZ
le possible, les velléités, significatives, au fond, du réel
aboutissement de désirs que des réalisations de compro
mis ont réduit fatalement à des réussites sommaires. A la
lumière d'un certain échec, d'une certaine impuissance, il
faut aussi que l'on parvienne à considérer que la littéra
ture n'est pas seulement peuplée de chefs-d'œuvre.
J'ai perçu, et je continue de percevoir, chez Paul Béni-
chou, cette sympathie pour les oeuvres inachevées, les
génies incomplets, « moins artistes, hélas ! qu'artistiques
reflets » (O'Neddy), cette tourbe inquiète, angoissée, pleine
d'une foi étonnante, cependant, et je n'hésite pas à faire
déborder sur lui ce rêve, à m'attacher en lui à ce défaut de
la cuirasse qu'il savait si noblement porter en toutes ci
rconstances, mais dont son regard, parfois lointain, rieur à
certains autres moments (plus rares), délaçait l'hermétis
me, laissant entrevoir une enfance, cette enfance même,
profonde, qu'est la poésie, irrévocablement.
Le chapitre du Sacre de l'écrivain que Bénichou consacre
aux Jeune-France est, à mon sens, l'un des plus estimables
du livre, par son caractère inattendu et les aperçus qu'il
offre. Nous sentons que nous pénétrons dans l'une des
terres les plus occultées du Romantisme et que cette terre
est un terreau, que les livres poussiéreux qui en sortent,
exhumés in extremis, portent néanmoins une sorte de
poussière fécondante, un pollen favorable à la poésie
future. Il s'agit, en l'occurrence, pour le critique, de défri
cher un pan

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