Paul Valéry et saint Ambroise - article ; n°1 ; vol.17, pg 231-243
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1965 - Volume 17 - Numéro 1 - Pages 231-243
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1965
Nombre de lectures 39
Langue Français

Extrait

Monsieur James R. Lawler
Paul Valéry et saint Ambroise
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1965, N°17. pp. 231-243.
Citer ce document / Cite this document :
Lawler James R. Paul Valéry et saint Ambroise. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1965, N°17.
pp. 231-243.
doi : 10.3406/caief.1965.2290
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1965_num_17_1_2290PAUL VALÉRY ET SAINT AMBROISE
Communication de M. JAMES R. LAWLER
{University of Western Australia)
au XVIe Congrès de l'Association, le 29 juillet 1964.
On sait que le mythe de Narcisse tel que Valéry l'a repensé
se conforme de façon suggestive à sa biographie intellectuelle.
A l'origine est le sentiment du pouvoir sans borne de l'esprit
que vient émerveiller, délimiter, entamer l'apparition d'un
corps étrange. Comment ne pas se rappeler à cet égard un
émouvant poème en prose dont la dernière rédaction date
de mai 1945 et qui retrouve pour l'ultime fois le la de son
œuvre entière : « Une manière d'ange était assis sur le bord
d'une fontaine. Il s'y mirait, et se voyait Homme, et en larmes,
et il s'étonnait à l'extrême de s'apparaître dans l'onde nue
cette proie d'une tristesse infinie. » Le moi contemple un
mortel dont le charme inquiétant est de le définir : mais
quel est ce masque qui n'est pas moi ? quel est celui qui
s'appelle Narcisse ?
Or si le poète et l'analyste des Cahiers s'efforce le plus
souvent d'exprimer le drame du moi en termes généraux,
nous savons qu'il lui arrive aussi d'adopter un tour personnel.
A son propre nom il porte un intérêt spécial qui l'amène à
réfléchir aux origines italiennes des Valéry, à son ascendance
aristocratique ; d'autre part il ne manque pas d'accorder
de l'importance à la signification toute verbale de « Paul
Valéry » : petit homme fort. Ce sont là des cas qui nous JAMES R. LAWLER 232
frappent particulièrement mais en réalité on ne compte pas
le nombre de fois où il revient d'une façon ou d'une autre
à l'interrogation de cette identité, qu'il cerne de l'élégant
paraphe que l'on connaît ; et n'ira-t-il pas jusqu'à inclure
dans l'un de ses cahiers la transcription de ce même nom en
caractères arabes ? л
II convient toutefois de signaler qu'à partir de 1890 et
pendant plusieurs années Ambroise Paul Toussaint Jules
Valéry se signe dans sa correspondance et ses œuvres publiées
Paul-Ambroise. Ce prénom d'Ambroise qui lui venait de son
grand-père paternel, le jeune symboliste le trouva fort à son
goût ainsi qu'à celui de ses amis. Pierre Louýs le considéra
comme « merveilleusement rougeâtre et ecclésiastique »
tandis que Gide, jusque dans Les Faux-Monnayeurs, s'en
servit pour désigner son ami. Plus tard, vers l'époque de
Monsieur Teste, Valéry le laissera de côté, décidé à ne le pro
duire qu'à de rares occasions, surtout humoristiques, comme
lorsqu'en 191 7 il signera une note hâtive à Gide du nom de
« Paolo Ambrogio Currente Calamo ». Dilection passagère
pour un nom inhabituel à l'écho fin-de-siècle, pensera-t-on ;
et pourtant, chose curieuse, il reste des indications sûres qui
montrent que Valéry ne rejeta nullement ce nom, qu'il ne le
perdit jamais de vue. Au contraire, il nous faut constater
qu'il continue durant toute sa vie de lui trouver une portée
singulière. Rappelons à cet égard que de l'époque de Charmes
date un poème qui a pour titre Ambroise et qui développe
longuement la métaphore de l'ambroisie, source pellucide,
objet du désir le plus élevé, mathématique et miel absolus.
Le moi chante la pureté intellectuelle dont naissent les idées
et les formes, célèbre avec une ferveur abstraite « le libre
amour du bel entendement » :
О dieu démon démiurge ou destin
Mon appétit comme une abeille vive
Scintille et sonne environ le festin
Duquel ta grâce a permis que je vive.
Sous une autre forme voilà encore, nous semble-t-il, le drame
de Narcisse, de la diversité du moi, de la personne qui aspire PAUL VALERY ET SAINT AMBROISE 233
passionnément au divin telle l'abeille au miel. Le nom de ce
poète penseur est Ambroise, qui veut dire en grec, on le sait,
immortel ; l'ambroisie, c'est la nourriture dont l'abeille se
délecte en souhaitant de devenir, si brièvement que ce soit,
un dieu. N'est-il pas vrai alors que le jeu de mots au centre
d'un poème de la maturité de Valéry suggère la valeur durable
de ce nom dans son langage secret ? Nous ne dirons pas
qu'il s'agit, comme sans doute chez certains autres écrivains,
d'une espèce de fétichisme, mais bien plutôt de la puissance
d'évocation que revêt un vocable privilégié dans l'imagination
d'un vrai poète. Qu'ils s'appellent Claudel, Apollinaire ou
Valéry, les noms de ceux qui découvrent partout un sens
spirituel ont aux oreilles mêmes de leurs possesseurs une
résonance magique. Pourquoi ce dernier ne verrait-il pas
dans le nom de Paul-Ambroise se refléter l'image du petit
homme fort qui se veut immortel, du moi qui se veut île,
de l'Homme qui tristement se voit Homme et se rêve Ange ?
La Jeune Parque, Le Cimetière marin et tant d'autres de ses
compositions tirent leur vitalité d'une semblable tension
interne ; mais si un jour vers la fin de sa vie l'aspiration
transcendante du poète atteint à un tel degré d'urgence
qu'elle oblitère une réalité par trop pénible, il se signera non
pas du nom de Paul Valéry mais de celui de Monsieur de
Saint-Ambroise. Le sonnet de cet étrange signataire qui porte
la date de 1644 paraît pour la première fois dans Mélange
en 1942.
De ses divers désirs combien qu'Elle se vante,
Pour mon cœur enchanté Son dire est un détour ;
Elle n'ayme qu'un seul, Elle ayme dans l'Amour
Une personne rare, et supresme et sçavante.
Vainement se plaist-Elle à Se feindre mouvante
Et de trop de regards le divin quarrefour ;
Cette beauté n'est point pour les galants d'un jour
Qui porte un corps si pur d'éternelle vivante !
Vous m'avez beau parler d'une troupe d'amants, parer de désirs comme de diamants,
Et me vouloir au cœur placer plus d'une flèche, JAMES R. LAWLER 234
J'en souffre, Irène d'or, mais j'en souffre sans foy,
Instruit qu'en chaque aurore, ô Rose toute fraîche,
Tu ne vis moy seul et ne Te plays qu'en moy.
On peut croire à première vue qu'aucune pièce n'est moins
faite pour nous dérouter. Le moi qui parle se plie aux exi
gences du sonnet galant en s'adressant à la femme, en raison
nant avec elle, en vantant son amour. Son langage retrouve la
diction de l'âge de Louis XIII : un ton abstrait qui distancie
le sentiment et l'ennoblit ; des métaphores auxquelles on
s'attend dans toute poésie écrite sous le signe de Malherbe ;
une préciosité intellectuelle qui se plaît à reprendre et répéter
les mêmes mots-clefs — désir, cœur, plaire, vivre, aimer,
souffrir — scus des éclairages différents ; enfin une certaine
raideur des articulations que l'emploi de « combien que »
et l'inversion après « vainement » ne font que souligner.
Cependant, à travers ces reflets évidents d'une période déter
minée de la poésie française, le lecteur ne saurait négliger
certains autres traits qui montrent la griffe de Valéry : la
virtuosité formelle ; le thème du moi volontaire, César de
soi-même ; avant tout, le masque de l'impersonnalité que
met en valeur le nom élu du signataire, ce Monsieur de
Saint-Ambroise. « Mon masque, écrivait Valéry, est ce que
je voudrais être (i). » Forme, thème et ton composent du
poète une figure nouvelle et désirable qu'il nous faudra
étudier plus à fond lorsque nous reprendrons tout à l'heure
le sonnet d'Irène.
Dans les limites de cette communication nous nous propo
sons donc d'examiner ce que nous oserons appeler la légende
de Saint Ambroise telle qu'elle se dessine dans les écrits de
Valéry : l

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