Qu est-ce qu un moraliste ? - article ; n°1 ; vol.30, pg 105-120
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1978 - Volume 30 - Numéro 1 - Pages 105-120
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 36
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Professeur Louis Van Delft
Qu'est-ce qu'un moraliste ?
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1978, N°30. pp. 105-120.
Citer ce document / Cite this document :
Van Delft Louis. Qu'est-ce qu'un moraliste ?. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1978, N°30. pp.
105-120.
doi : 10.3406/caief.1978.1165
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1978_num_30_1_1165QU'EST-CE QU'UN MORALISTE?
Communication de M. Louis VAN DELFT
(Montréal)
au XXIXe Congrès de V Association, le 26 juillet 1977.
Ces mêmes auteurs qu'une tradition, remontant pour l'essent
iel au xixe siècle, désigne sous le nom de « moralistes », com
ment se percevaient-ils eux-mêmes en tant qu'écrivains? Quelle
idée se faisaient-ils de la nature des œuvres qu'ils produisaient, à
une époque où les grands genres se définissaient par des règles
spécifiques et strictes? Le mot « moraliste » marque un retard
considérable sur ce qu'il nomme. Si Sénèque se qualifiait géné
ralement, comme Cicéron, de « sage », ni Montaigne, ni
La Rochefoucauld, ni La Bruyère ne s'appliquent à eux-mêmes
le terme de « moraliste », qui figure dans le Dictionnaire de
Furetière (1690), mais non dans celui de Richelet (1680), ni
dans celui de l'Académie (1694). Dès l'origine, un certain flou
s'attache au vocable, qui a même servi, un temps, à dénigrer
les jansénistes (1). Il est du moins possible de partir d'indices
assez précis. La Bibliographie de R. Toinet, nullement exhaust
ive, donne pour les années 1638-1715 (naissance et mort de
Louis XIV) plus de 600 numéros. Les statistiques de
M. H.-J. Martin confirment l'importance de cette production.
Si l'on ne dispose pas, pour le xviii* siècle, de dénombrements de
ce type, la quantité de recueils de pensées ou de réflexions
étayant l'enquête de M. Ehrard ou celle de M. Mauzi atteste
la vogue de cette manière d'écrire tout au long de la période qui
nous intéresse.
Les pages remarquables que M. Friedrich consacre à la
recherche d'une définition valent surtout dans le cadre de sa
(1) Dictionnaire universel françois et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de
Trévoux, éd. de 1771, s.v. « Moraliste ». 106 LOUIS VAN DELFT
monographie. La philosophia moralis antique, y lit-on, est
devenue à partir de la Renaissance « une connaissance de la
diversité humaine, savoir empirique et relatif, changeant avec
les époques et les peuples ». On peut objecter qu'à travers
l'étude de cette diversité, le moraliste classique vise la connais
sance d'une nature humaine qu'il croit invariable. « II est hors
de doute, dit par ailleurs Friedrich, que tout absolu moral est
détruit dans cette forme d'esprit. » A nouveau, derrière cet essai
de typologie du moraliste, se profile avec un peu trop d'insis
tance la figure du seul Montaigne. Enfin, le romaniste allemand
passe sous silence la question si importante du lieu commun (2).
On ne hasardera pas, ici, de définition proprement dite. Can
tonner, dans une seule phrase, une légion bigarrée d'auteurs qui
traitent, selon l'expression même de Friedrich, de « presque tout
ce qui se rapporte à l'homme » : gageure méthodologique. On
peut, en revanche, s'efforcer de reconstituer un parcours. Réduit
à sa plus simple expression, tout le problème est dans cette
question : quelles furent les circonstances qui rendirent possible
l'avènement du moraliste? Il a fallu, croyons-nous, dans l'his
toire des idées, un « moment » où un certain nombre de courants
convergents se sont rencontrés. Il a fallu, d'autre part, que le
goût et la sensibilité littéraires parviennent, eux aussi, à « un
point de maturité » et donnent naissance à ce qu'on appellerait
volontiers une poétique de la réflexion morale.
I. — DANS UHISTOIRE DES IDÉES : CONFLUENCE
La vogue de la réflexion morale en France naît de la confluence
d'au moins quatre conceptions séculaires : celle, aristotélicienne,
de la caractérologie; celle, syncrétique, de Vhomo viator; celle
syncrétique encore, mais comme la précédente avant tout
chrétienne, de la théâtralité de l'existence; celle, enfin, antique,
revue par la Renaissance et l'Italie, de l'harmonie sociale.
(2) H. Friedrich, Montaigne, trad, frse, P., 1968, p. 189-195. qu'est-ce qu'un moraliste 107
1. Aristotélisme. — A. Béguin oppose le mystère, la « nuit »
qui habite les personnages de Dostoïevski ou de Bernanos au
« système de définitions moins complexe » duquel relève
l'homme selon Pascal. La comparaison vaut pour presque tous
les moralistes classiques. Sans doute, l'un d'eux, et non des
moindres, insiste sur les « terres inconnues » qui sont en nous,
et Chamfort estime que « dans les hommes, tout est pièces
de rapport ». Il n'en est pas moins clair que le substrat sur lequel
repose la psychologie, chez nos auteurs, c'est YÉthique à Nico-
maque et la caractérologie théophrastienne (3). Or, le Stagirite
et ses disciples ont accrédité l'idée que la nature humaine est
transparente et permanente. Transparente : en choissant d'être
celui qui classe et qui nomme, Aristote a laissé entendre que
rien d'opaque, dans la psyché, ne résistait à cet essai d'invent
aire. Ainsi est né un idéalisme psychologique en vertu duquel
presque tous les moralistes classiques ont estimé que la nature
humaine était, tout entière, susceptible d'être appréhendée par
l'analyse. Ordonnatrice, la démarche ď Aristote a aussi été
réductrice. Chaque passion a été comme cliniquement décrite,
avec ses traits rigoureusement distingués. Sémiologie des pas
sions, pourrait-on dire. Mais aussi, opération nominaliste, dont
est issue la notion commode et arbitraire de type. Permanente :
une fois tout le champ de la psychologie mesuré au cordeau,
subdivisé et réparti entre les passions, on ne se reporta plus qu'à
ce cadastre, toute autre distribution parut impensable. Comme
il ne pressentait pas (sauf dans ces intuitions exceptionnelles
dont est capable un La Rochefoucauld) que la richesse de ce
champ pouvait être enfouie dans des couches souterraines, le
moraliste classique s'est, la plupart du temps, borné à repérer
des analogies, à assimiler le nouveau au connu. Il s'est, le plus
souvent, désintéressé de ce qu'un moderne appelle « le choix
d'un mensonge », qui constitue « une révélation aussi importante
sur la personne qu'on ausculte que l'observation d'un acte »
(3) On regrette, avec M. Fumaroli, qu' « il nous manque une grande étude sur
Pari stotél isme au xvie et au xvne siècle ». M. Fumaroli pose lui-même une série
de « jalons » dans son article sur « L'héroïsme cornélien et l'idéal de la magnani
mité », in : Hérosïme et création littéraire sous les règnes d'Henri IV et de
Louis XIII (Colloque de Strasbourg), P., 1974, p. 53-76 (v. aussi la discussion,
p. 342 sq.). 108 LOUIS VAN DELFT
(E. Jaloux). Les catégories de Г Éthique parurent inaltérables.
Inaltérables, le tableau des quatre âges, la formule des vertus et
des vices. L'idée de l'homme devint fixe.
L'attitude du moraliste découle bien, pour une part, de cette
tradition. D'un côté, il œuvre en naturaliste. Rien ne lui importe
plus que l'acuité du regard. Il se veut d'abord observateur
— l'apologiste est moraliste aussi longtemps qu'il demeure un
descripteur positiviste. Il dresse, comme Lesclache, des tableaux
qu'il prétend scientifiques. Il se fait médecin, comme Cureau
de la Chambre. Il fait « l'anatomie de tous les replis du cœur ».
Il s'intéresse de très près à la théorie hippocratique et galénique
des humeurs, remise en honneur par Huarte. Il se préoccupe, et
du temps de Diderot encore, de physiognomonie. D'un autre
côté, il tient du peintre. Derechef, il n'a pas de plus haute ambi
tion que de bien « voir », bien « discerner ». Il peint des portraits
et se flatte de leur ressemblance : ses « peintures morales »
paraissent ressemblantes en effet, puisqu&

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