Rabelais et les songes - article ; n°1 ; vol.30, pg 7-21
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1978 - Volume 30 - Numéro 1 - Pages 7-21
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 50
Langue Français

Extrait

Roland Antonioli
Rabelais et les songes
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1978, N°30. pp. 7-21.
Citer ce document / Cite this document :
Antonioli Roland. Rabelais et les songes. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1978, N°30. pp. 7-
21.
doi : 10.3406/caief.1978.1158
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1978_num_30_1_1158RABELAIS ET LES SONGES
Communication de M. Roland ANTONIOLI
(Lyon)
au XXIXe Congrès de V Association, le 25 juillet 1977.
Les héros rabelaisiens prennent rarement le temps de songer
et encore moins celui de décrire leurs rêves. Ils ressemblent en
cela aux géants des Chroniques qui sont des hommes d'action,
et ne s'arrêtent guère pour dormir, si ce n'est pour trois mois
et pour engloutir quelque berger. Leurs « merveilleuses vies »
sont avant tout des « chroniques » et la merveille est dans la
puissance ou l'exploit plus que dans le savoir.
A trois reprises, cependant, l'œuvre s'immobilise, les héros
s'interrogent et cherchent dans le songe la solution de leurs
doutes et la clef d'un savoir perdu. C'est, dans le Pantagruel,
lors de la dispute avec Thaumaste (chap. XVIII), dans le Tiers
Livre, lorsque Pantagruel conseille à Panurge de « prévoir l'heur
ou malheur de son mariage par songes » (chap. XIII et XIV),
dans le Quart Livre, enfin, lorsque Pantagruel et Ponocrates,
le prince et le pilote de l'expédition, sommeillent ou rêvent
devant Chaneph (chap. LXIII).
Qu'il s'agisse d'un savoir perdu, cela n'apparaît pas encore
dans le Pantagruel et ce n'est pas toujours le cas. C'est pourquoi
le lexique du rêve ou du songe est chez Rabelais assez ambigu
et quelquefois ambivalent. La famille de rêver, rêveur, rêvasser
s'accompagne, en général, de synonymes comme « rassoté »
ou de commentaires qui évoquent l'idée de vide ou de déraison.
Ainsi devant Chaneph, où la perplexité des navigateurs les rend
tous « pensifs, matagrobolisez, sesolfiez et faschez ». La famille
du songe, elle, est ambivalente, car le dormeur peut aussi
rêvasser, comme le dormeur éveillé, et songer creux. C'est ce
dont gémit Panurge qu'inquiète l'idée d'une diète présomniale : ROLAND ANTONIOLI 8
« si bien et largement je ne soupe, je ne dors rien qui vaille,
la nuit ne foys que rêvasser et autant songe creux que pour
lors estoit mon ventre (1) ». Enfin, il existe une troisième famille
de songes ou de rêveries dans lesquels le rêveur « cuyde » être
vrai ce qui ne l'est pas mais qu'il désire intensément.
C'est ce type de songe que Rabelais expérimente sur lui-même
dans un poème adressé à son ami poitevin Jean Bouchet, « des
imaginations qu'on peut avoir attendant la chose désirée » et
dont il analyse ainsi le mécanisme :
Nos esprits, taincts de mérencolie
Par longue attente et vehement désir
sont de leurs lieux esquels soûlaient gésir
Tant deslochez et hautement ravis
que nous cuydons et si nous est advis
qu'heures sont jours, et jours plaines années
Et siècle entier ces neuf ou dix journées.
C'est bien ainsi encore en 1555 que Vives, dans son Traité de
Vâme, décrit le mécanisme du songe. Il est produit par cette
faculté de l'esprit que les philosophes appellent la phantasia
qui puise ses images dans la mémoire et les assemble en dehors
de tout contrôle de la raison. Il atteste en l'homme une faculté
qui est indépendante des sens, et qui perçoit ou qui connaît
des réalités absentes (res absentes). Mais comme les visions
naissent dans les esprits animaux du rêveur, la qualité des
songes, leur vérité ou leur vanité, dépend de la des
esprits, eux-mêmes soumis à celle des esprits vitaux qui naissent
dans le cœur. C'est pourquoi, bien des songes sont illusoires (2)
ou ne rencontrent la vérité que par accident, comme le sou
tiennent Aristote et les péripatéticiens (3). On voit même, par
l'exemple de Vives, combien l'humanisme, vers 1550, marque
encore de prudence dans la reconnaissance et l'interprétation des
songes, car quelques pages plus loin, après avoir admis, en se
fondant sur les songes de Pharaon ou de Joseph dans l'Écriture
sainte, le songe prophétique, Vives ajoute que, dans le cas
(1) Tiers Livre. XIII.
(2) Vives, De Anima, Lyon, 1555, Livre II, p. 118-119.
(3) Auger Ferrier, Liber de somniis, Toulouse, 1549, Praefatio. ET LES SONGES 9 RABELAIS
général, il ne faut pas trop se soucier des songes, que les visions
sont des mystifications du démon qui tente d'éprouver le dor
meur. Mais on voit aussi s'esquisser une classification : songes
vains, songes naturels, songes prophétiques.
Toute la démarche des médecins dans ces deux derniers
domaines, de 1530 à 1550, sera de montrer dans le rêve le
dévoilement d'une vérité cachée mais qui est en relation pro
fonde avec la personnalité et l'identité du songeur.
La première évocation des songes, dans le Pantagruel, est
brève, et presque occasionnelle. Elle est amenée, dans la scène
de la dispute avec Thaumaste, au chapitre XVIII, par les hautes
matières qui vont faire l'objet de la dispute, et surtout par la
manière d'arguer proposée par Thaumaste, « c'est assavoir par
signes et sans parler ». Hautes matières puisqu'il y est question
de Mercure, qui préside dans les cultes orientaux à toute sagesse
hermétique (4) et de divers types de félicité humaine. Aussi
comprend-on sans peine que « jamais gens plus feussent eslevez
et transportés en pensée que furent toute cette nuit, tant Thau
maste que Pantagruel ». Ce dernier, en effet, a les esprits an
imaux fort émus. C'est la tempête sous un crâne et // entre en la
« haute game », comme Panurge, au Quart Livre, sur la mer
démontée (5). Mais aucune fureur ficinienne ne vient encore
illuminer son esprit et toute la nuit il ne fait « que ravasser
après :
le livre de Beda, de numer is et signis;
le de Plotin, de inenarrabilibus ;
le livre de Procle, de Magia;
les livres de Artemidore, Per onirocriticon ;
De Anaxagoras, Péri Semion ;
D'Ynarius, péri Aphaîon;
les livres de Philistion;
Hipponax, Péri Anecphoneton ;
et un tas d'autres, tant que Panurge luy dist. « Seigneur, laissez
toutes ces pensées et vous allez coucher, car je vous sens tant
esmeu en votre esprit que bient tost tomberiez en quelque fièvre
éphémère par cest excès de pensement. »
(4) Cf. Jamblique, De mysteris Aegyptorum, Chaldaeorum et Assyriorum,
Proclus in Platonicum Alcibiadem, de anima et daemone, idem, de sacrificio, de
magia, Bâle, 1532.
(5) Quart Livre XIX : « Zalas! à ceste heure sommes nous au dessous de
gamma ut. » 10 ROLAND ANTONIOLI
Comme on voit, ce n'est pas tant le songe qui est en cause ici
que son usage. Une seule référence, dans toute cette liste, est
sérieuse, celle d'Artémidore. Tout le reste se perd dans l'inef
fable trésor d'ouvrages qui n'ont jamais été écrits. Sans doute
Rabelais entrevoit-il bien déjà dans le songe un langage figuré,
analogue à la numération par signes dont se servent les magi
ciens (6). Mais il s'agit de tirer de ce langage voilé une révéla
tion qui porte sur la connaissance du divin et qui n'est accessible
qu'à quelques initiés. Or, c'est l'heure où l'humanisme retrouve,
aux alentours de 1530, la leçon de la sagesse socratique, avec
son souci de la mesure et des limites, celle que Rabelais rappelle
dans l'almanach de 1535 : « quid supra nos, nihil ad nos » (7).
C'est l'heure aussi où il regarde avec quelque perplexité du côté
de la cabale, parce qu'elle ne se contente plus, comme au temps
de Reuchlin et de Y Augenspiegel, de l'interprétation des textes
sacrés ou médicaux, mais qu'elle se tourne, à la manière des
cultes orientaux, vers la magie et la thaumaturgie. Or, à l'égard
de ces sciences, Rabelais, comme Tiraqueau, a toujours été
très hostile (8). Enfin, si l'idée d'un langage voilé qui parle par
images ou par paraboles convient aussi admirablement à son
propos que les « caresmes allégories » conviennent à l'enseign
ement du peuple (9), l'idée d&#

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