Variations sur le thème du miroir, de Bernard de Ventadour à Maurice Scève - article ; n°1 ; vol.11, pg 134-158
26 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Variations sur le thème du miroir, de Bernard de Ventadour à Maurice Scève - article ; n°1 ; vol.11, pg 134-158

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
26 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1959 - Volume 11 - Numéro 1 - Pages 134-158
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1959
Nombre de lectures 53
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Jean Frappier
Variations sur le thème du miroir, de Bernard de Ventadour à
Maurice Scève
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1959, N°11. pp. 134-158.
Citer ce document / Cite this document :
Frappier Jean. Variations sur le thème du miroir, de Bernard de Ventadour à Maurice Scève. In: Cahiers de l'Association
internationale des études francaises, 1959, N°11. pp. 134-158.
doi : 10.3406/caief.1959.2144
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1959_num_11_1_2144VARIATIONS
SUR LE THÈME DU MIROIR,
DE BERNARD DE VENTADOUR
A MAURICE SCÈVE
Communication de M. Jean FRAPPIER
(Sorbonně)
au Xe Congrès de l'Association, le 22 juillet 1958
A Reto R. Bezzola,
pour son 60* anniversaire.
Bien avant Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé,
Paul Valéry, le thème du miroir, qui très tôt annexa
celui de Narcisse ou se confondit avec lui, s'est multiplié
dans la poésie médiévale, des troubadours aux néo-pé-
trarquistes, à tel point qu'il se trouvait terni, dégénéré
en un cliché, au temps où Maurice Scève lui restitua un
éclat passager dans sa Délie. Certes les prestiges du
miroir revêtent des aspects différents suivant qu'ils
s'exercent chez les poètes du Moyen Age ou chez les
symbolistes des xix" et xxe siècles. Pourtant une essent
ielle analogie — l'idée que le miroir, lieu privilégié,
capte les reflets d'une réalité supérieure et cachée —
semble unir les seconds aux premiers. Je ne crois pas
que cette rencontre s'explique très clairement par la
continuité d'une tradition. Sans doute l'image du miroir
s'est-elle prolongée depuis la Renaissance, à travers l'âge
baroque, le classicisme et le romantisme, jusqu'à Baudel
aire et Mallarmé. Mais dans cet intervalle n'avait-elle
pas perdu beaucoup de sa valeur mystique et cessé de se relier à toute une conception de l'uni
vers ? Même si l'histoire littéraire parvient à déterminer
des sources et des jalons, on dirait plutôt que dans
l'école symboliste le concept de miroir se déploie avec
son envergure médiévale par une résurgence due à la
vertu latente du mot. JEAN FRAPPIER 135
Peut-être jugera-t-on audacieux, trop elliptique et
abrupt le rapprochement que je viens d'esquisser. Que,
pour l'éclairer, il me soit permis d'emprunter un secours
précieux en détachant un passage du livre récent de Guy
Michaud, L'Œuvre et ses techniques. Commentant YHé-
rodiade de Mallarmé et, plus précisément, quelques
lignes de Georges Vanor parues en 1888 dans YArt symb
oliste, il écrit ceci : « ... le miroir est le symbole même
du symbolisme. La création est un immense jeu de
miroirs, et le miroir est ce qui permet le passage d'un
monde à l'autre, et, dans chaque monde, d'un plan à
l'autre. Il est le révélateur des correspondances et, à ce
titre, l'instrument par excellence du poète. » (1). Cette
citation nous transporte au cœur de notre sujet.
Guy Michaud avait sans nul doute ses raisons pour
s'abstenir dans son livre de toute référence au Moyen
Age. Cependant, la poétique fonction qu'il assigne au
miroir s'accorde largement avec une zone considérable
de la pensée , médiévale. Celle-ci interprète volontiers
les mystères de la création par un symbolisme général
isé, platonicien dans sa lointaine origine, plus direc
tement issu de saint Augustin comme d'une longue tra
dition d'exégèse biblique chez les Pères de l'Eglise et
les théologiens. Ainsi la réalité sensible reflète des arché
types divins, le monde terrestre et matériel trouve ses
correspondances dans l'univers moral et spirituel.
Les animaux, les pierres précieuses, les couleurs, les
nombres, les noms signifient des vices ou des vertus.
Au sens littéral et immédiat des textes se superposent
un allégorique, un sens figuré, un sens anagogique.
Comme le déclare Marie de France dans le prologue de
ses Lais (2), ceux qui lisent les livres des Anciens doi
vent « gloser la lettre » et ajouter « le surplus de leur
sen ». La compréhension des auteurs comme celle du
cosmos procède par plans successifs, étages. Mais je
n'ai pas à reprendre ici un sujet qu'a déjà traité Robert
Guiette dans l'un de nos précédents Congrès. Il me suffît
de renvoyer à sa lucide et substantielle communication,
(1) Guy Michaud, L'Œuvre et ses techniques, Paris, Nizet, 1957,
p. 108.
(2) Marie de France, Lais, éd. A. Ewert, Oxford, 1947, Prologue,
v. 0-1 6. 136 JEAN FRAPPIER
Symbolisme et « Senefiance » au Moyen Age, publiée
dans le sixième cahier de notre Association (3). Je veux
seulement rappeler ou préciser que le système médiéval
des concordances et des significations relève de la symb
olique, à la fois méthode, science et code organisé
(tant bien que mal), dont le juste emploi reste de
caractère religieux, plus que du symbolisme, insépa
rable à mon avis d'une invention originale, de l'acte
créateur d'un poète individuel. Il faut l'avouer, l'esprit
symbolique, véritable outillage mental, qui d'ailleurs ne
recouvre pas au Moyen Age tout le champ de la pensée,
car il s'est trouvé contrarié par un courant rationaliste
et aristotélicien, n'a pas joué toujours au bénéfice de
la poésie, malgré tant d'accords fondamentaux.
Si l'on accepte ces brèves observations, on ne saurait
s'étonner que speculum en latin médiéval et miroir en
ancien français appartiennent au vocabulaire didactique
et moral. Ces termes, qui résument une conception de
l'univers, servent à intituler de massives encyclopédies
et des ouvrages édifiants où les exemples proposés imi
tent une idéale perfection : Speculum Mundi, de Vin
cent de Beauvais, comprenant un Speculum doctrinale,
un Speculum historiale, un naturale, et aussi
un morale ajoute par des continuateurs,
Miroir de Vâme, Miroir de vie et de mort, Miroir aux
Dames, Miroir des Dames et des Demoiselles (4), etc..
Encore au xvie siècle, Marguerite de Navarre compose
un Miroir de Vâme pécheresse. Miroir au sens de
« modèle » est entré dans la langue courante : Benoît
de Sainte-Maure en son Roman de Troie vante Hélène
comme « la fleur de toute beauté, le miroir de toutes
les dames » (5). L'auteur de VEstoire de Griseldis célè
bre dans la conduite de son héroïne le « miroir des
dames mariées » et invite chacune, non sans un jeu de
mots, à « s'y mirer » pour comparer à sa propre image
(3) Cahiers de l'Association Internationale des Etudes Franç
aises, n° 6, juillet 1954 (Paris, « Les Belles Lettres »), p. 107-122.
(4) En un sens analogue, le Roman de la Rose est « le Mirouer
aus Amoureus » (Roman de la Rose, v. 10.651). Ailleurs (v. 19.900-
19.906), Jean de Meung appelle Dieu le Miroir de Nature qui ne
saurait rien, si elle ne s'y contemplait.
(5) Ed. L. Constans, Société des Anciens Textes Français,
v. 5119-5120. JEAN FRAPPIER 137
celle d'un extraordinaire exemple de patience et de
vertu (6). En relatant la mort de Montaigne dans une
de ses lettres, Etienne Pasquier conservera au terme de
miroir sa belle acception de jadis : « ... il fit dire la Messe
en sa chambre ; et comme le Prestre estoit sur l'esle-
vation du Corpus Domini, ce pauvre Gentilhomme
s'eslance au moins mal qu'il peut, comme à corps perdu,
sur son lict, les mains joinctes : et en ce dernier acte
rendit son esprit à Dieu. Qui fut un beau miroir de
l'intérieur de son Ame. » (7). Il serait aisé de multiplier
les citations.
A trop se répandre, ces titres de speculum et de miroir
perdirent sans doute une partie de leur éclat. Mais leur
sens hautement philosophique et religieux s'abolit-il
jamais tout à fait ? Quand Enide se lamente sur Erec
évanoui, qu'elle croit mort, et qu'elle lui dit, en pro
nonçant sa louange et son « regret » :
An toi s'estoit biautez mirée, (8)
elle signifie ainsi, ou Chrétien de Troyes par sa bouche,
que l'idée, l'archétype de la Beauté avait pris corps en
lui. L'idéalisme platonicien persiste dans cette expres

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents