Rationalisation sociale et rationalité juridique. Une lecture de Jürgen Habermas - article ; n°83 ; vol.89, pg 469-498
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Revue Philosophique de Louvain - Année 1991 - Volume 89 - Numéro 83 - Pages 469-498
Dans la reconstruction habermasienne de la logique de l'évolution sociale, le droit occupe une place singulière, médiatrice entre systèmes et monde vécu. Utilisé comme médium de régulation systé- mique de l'action dans les sociétés modernes, le droit y a également pour fonction, au travers de ses institutions, d'ancrer la légitimité des sous-systèmes sociaux (marché et État) à l'intérieur des mondes vécus rationalisés. A ce titre, la rationalité juridique participe de la raison pratique. Toutefois la dimension morale du droit ne se situe plus dans une instance supra-juridique (droit naturel) mais se loge au sein même des procédures juridiques d'édiction et d'application des normes, en tant que ces procédures prennent une forme argumentative. Cette dualité fonctionnelle du droit — médium et institution — permet à Habermas de jeter un regard critique sur l'extension du droit dans l'État-providence et d'y déceler un phénomène de «colonisation du monde vécu».
In Habermas' reconstruction of the logic of social evolution, law occupies a place of singular importance by mediating between systems and the lifeworld. Used as a medium of systemic regulation of action in modern societies, law also has the function, through its institutions, of anchoring the legitimacy of social subsystems (markets and the State) within rationalised lifeworlds. In this capacity legal rationality participates in practical reason. However, the moral dimension of law is no longer situated in a super-legal authority (natural law), but is established within the legal procedures of ediction and of application of norms, as these procedures take on an argumentative form. This dual function of law — as a medium and as an institution — enables Habermas to cast a critical look on the juridifica- tion within the Welfare State and to recognize within it a phenomenon of «colonisation of the lifeworld». (Transl. by J. Dudley).
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Publié par
Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Hervé Pourtois
Rationalisation sociale et rationalité juridique. Une lecture de
Jürgen Habermas
In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 89, N°83, 1991. pp. 469-498.
Résumé
Dans la reconstruction habermasienne de la logique de l'évolution sociale, le droit occupe une place singulière, médiatrice entre
systèmes et monde vécu. Utilisé comme médium de régulation systé- mique de l'action dans les sociétés modernes, le droit y a
également pour fonction, au travers de ses institutions, d'ancrer la légitimité des sous-systèmes sociaux (marché et État) à
l'intérieur des mondes vécus rationalisés. A ce titre, la rationalité juridique participe de la raison pratique. Toutefois la dimension
morale du droit ne se situe plus dans une instance supra-juridique (droit naturel) mais se loge au sein même des procédures
juridiques d'édiction et d'application des normes, en tant que ces procédures prennent une forme argumentative. Cette dualité
fonctionnelle du droit — médium et institution — permet à Habermas de jeter un regard critique sur l'extension du droit dans
l'État-providence et d'y déceler un phénomène de «colonisation du monde vécu».
Abstract
In Habermas' reconstruction of the logic of social evolution, law occupies a place of singular importance by mediating between
systems and the lifeworld. Used as a medium of systemic regulation of action in modern societies, law also has the function,
through its institutions, of anchoring the legitimacy of social subsystems (markets and the State) within rationalised lifeworlds. In
this capacity legal rationality participates in practical reason. However, the moral dimension of law is no longer situated in a
super-legal authority (natural law), but is established within the legal procedures of ediction and of application of norms, as these
procedures take on an argumentative form. This dual function of law — as a medium and as an institution — enables Habermas
to cast a critical look on the juridifica- tion within the Welfare State and to recognize within it a phenomenon of «colonisation of
the lifeworld». (Transl. by J. Dudley).
Citer ce document / Cite this document :
Pourtois Hervé. Rationalisation sociale et rationalité juridique. Une lecture de Jürgen Habermas. In: Revue Philosophique de
Louvain. Quatrième série, Tome 89, N°83, 1991. pp. 469-498.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1991_num_89_83_6695Rationalisation sociale et rationalité juridique
Une lecture de Jurgen Habermas
Dans les leçons données en 1986 à la Harvard University sous le
titre Law and Morality1, Habermas relève deux tendances apparemment
contradictoires dans le processus d'extension du droit que connaissent
nos sociétés contemporaines. D'une part, le droit semble, dans l'État
social, promis à une instrumentalisation croissante. Les lois y sont de
plus en plus subordonnées, dans leur formulation et dans leur applicat
ion, à des impératifs fonctionnels: ceux d'une économie qui «bien
qu'autonome requiert néanmoins d'être régulée» et ceux d'«un appareil
d'État de plus en plus complexe» (LM, p. 232). D'autre part, avec le
devenir positif du droit se manifeste une autre tendance. On entend
s'élever de différents lieux de la société civile des revendications en
faveur de lois «justes», en faveur de la conformité des lois à un certain
nombre de principes moraux inscrits dans des déclarations ou des
conventions internationales ou dans les constitutions des États démoc
ratiques. C'est dans cette perspective que Habermas interprète, par
exemple, les actes de désobéissance civile du mouvement pacifiste en
Allemagne Fédérale au début des années 80 2.
Cette évolution paradoxale du droit — instrumentalisation vs.
moralisation — représente un défi majeur pour une compréhension
contemporaine du droit en particulier et de la société en général. Elle
constitue l'indice de ce que le droit se situe à mi-chemin entre morale et
politique et n'est réductible ni à l'une ni à l'autre (LM, p. 264); c'est là
ce qui permet de penser sa fonction sociale. Pour comprendre ce statut
que Habermas accorde au droit, il importe donc de le situer dans sa
théorie de la société. Celle-ci se présente comme une tentative de
1 «Law and Morality» in The Tanner Lectures on Human Values. Cambridge,
Cambridge University Press, pp. 217-279 (Cité LM).
2 Cf. «Ziviler Ungehorsam — Testfall fur den demokratischen Rechtsstaat» et
«Recht und Gewalt — ein deutsches Trauma», in Die Neue Unùbersichtlichkeit. Kleine
Politische Schriften V. Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1985, pp. 79-99 et pp. 100-117. 470 Hervé Pourtois
reconstruction de la logique de l'évolution sociale. Elle n'est toutefois pas
évolutionniste au sens où elle établirait un lien de succession détermin
iste entre divers stades évolutifs, ce que Habermas appelle une dyna
mique de l'évolution. Habermas tente seulement de reconstruire les
tendances possibles à la rationalisation sur base de cette idée que
l'émergence de certaines formes de socialite en présuppose d'autres et
que telle émergence représente une forme d'apprentissage en deçà
duquel on ne peut revenir. La reconstruction ainsi proposée permet de
fixer un point de vue normatif à partir duquel une dynamique d'évolu
tion particulière, ou au moins une situation sociale, peut être critiquée.
Nous commencerons donc par rappeler les traits les plus saillants de
cette reconstruction pour montrer ensuite le rôle-charnière qu'y occupe
le droit. Nous terminerons enfin par quelques considérations plus
générales sur la rationalité juridique dans les sociétés contemporaines.
1 . Système et monde vécu
La thèse qui est au cœur de la Théorie de l'agir communicationnel3
est que le processus de modernisation qui caractérise l'évolution histo
rique de nos sociétés ne peut être appréhendé qu'au travers du para
digme de l'agir communicationnel orienté vers l'intercompréhension. Le
paradigme de la raison instrumentale qui régit la plupart des théories de
la société et des philosophies de l'histoire est en effet impropre à rendre
compte de la rationalisation des mondes vécus qui est à la base de la
modernisation sociale.
Cette du monde vécu s'opère sous l'effet d'un
processus circulaire d'échange entre celui-ci et l'activité communication-
nelle. Plus les individus cherchent à assurer par des processus d'intercom-
préhension leurs rapports au monde objectif, au monde social ou à leur
monde intérieur, plus sont réfléchies les évidences liées à des formes de
vie concrètes qui ont pour fonctions d'assurer la reproduction culturelle,
l'intégration sociale et la socialisation des individus. Sous l'effet de cette
thématisation croissante, ces trois fonctions, indistinctes à l'origine, se
séparent. Le monde vécu se scinde en trois sphères: celle de la culture,
celle de la société et celle de la personnalité. Par ailleurs, les contenus
particuliers des formes de vie se détachent toujours plus nettement des
3 Théorie de l'agir communicationnel. Tome 1 : Rationalité de l'agir et rationalisation
de la société (Trad. J.-M. Ferry). Tome 2: Pour une critique de la raison fonctionnaliste
(Trad. J.-L. Schlegel). Paris, Fayard, 1987 (Cité TAC I et TAC II). Rationalisation sociale et rationalité juridique 471
structures générales du monde vécu. Le fait que la reproduction harmon
ieuse des mondes vécus est «de moins en moins garantie par les
conditions traditionnellement établies, éprouvées et acceptées et est de
plus en plus assurée par des consensus»4 a des conséquences sur
l'évolution des structures mêmes du monde vécu.
Cette évolution se traduit 1. dans la sphère culturelle par un
accroissement de la réflexion, par «un état de révision permanente des
traditions devenues fluides»; 2. dans la sphère de l'intégration sociale
par une tendance à l'universalisme, par «un état de dépendance des
ordres légitimes par rapport à une procédure formelle qui, pour instau
rer et justifier des normes, relève en dernière instance de la discussion»;
3. dans la sphère de la socialisation par une individuat

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