Dix années de dégel - article ; n°1 ; vol.28, pg 58-79
23 pages
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Description

Politique étrangère - Année 1963 - Volume 28 - Numéro 1 - Pages 58-79
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1963
Nombre de lectures 49
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Armand Gaspard
Dix années de "dégel"
In: Politique étrangère N°1 - 1963 - 28e année pp. 58-79.
Citer ce document / Cite this document :
Gaspard Armand. Dix années de "dégel". In: Politique étrangère N°1 - 1963 - 28e année pp. 58-79.
doi : 10.3406/polit.1963.2321
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342X_1963_num_28_1_2321DIX ANNÉES DE «DÉGEL»
II y a dix ans, la mort de Staline a marqué le début d'une
évolution profonde du monde communiste. C'est dans la vie de
l'esprit que se sont produits les changements les plus remar
quables et ce phénomène qui a pris le nom de « dégel » est a
ssurément, dans l'histoire contemporaine, l'un des plus riches en
signification.
C'est un phénomène qui n'affecte pas seulement l'Union so
viétique mais aussi tous les pays qui sont ses alliés en Europe
orientale ; et en Union soviétique même, ses manifestations les
plus intéressantes ne se limitent pas à l'aire russe mais englo
bent celle des cultures allogènes dont il est trop rarement quest
ion.
Tout un livre serait nécessaire pour décrire cette évolution
et l'illustrer par des textes ou d'autres exemples. Ici, dans les
limites d'un article de revue, on ne peut qu'en donner un aper
çu en essayant de montrer, d'un domaine culturel à l'autre, les
traits originaux du « dégel » au cours de la décennie qui a suivi
la disparition de Staline.
I. — Le Domaine Russe.
Au début de 1954, Ilya Ehrenbourg fait paraître un roman
intitulé « Le Dégel ». Cette œuvre décrit le cynisme des artistes
voulant bénéficier des faveurs du pouvoir tandis qu'un artiste
très doué mais peu conformiste en est réduit à végéter. Le titre
de cette œuvre sert depuis lors à désigner tout le phénomène
de libéralisation de la vie de l'esprit après Staline.
Fin 1962, la revue de Moscou Novy Mir publie le récit d'un
auteur encore inconnu, Alexandre Soljénitzyne, sur la vie quo
tidienne dans un camp de concentration stalinien. C'est le pre
mier aveu précis sur la réalité de ces camps de la mort en Si
bérie. DÉGEL 59
Entre ces deux grands événements, il s'est produit en U.R.
S,S. une évolution immense et profonde dont on ne rappellera
ci-dessous que les grandes étapes (1).
Le « dégel » a commencé peu après la mort de Staline, dès
la fin de 1953 avec des pièces satiriques qui dénoncent certai
nes tares de la société soviétique (« Les Invités » de Zorine, par
exemple) et avec une étude du jeune critique Pomerantzev sur
« La sincérité en littérature » publiée par Novy Mir. A ce mo
ment le Parti réagit violemment contre ces premières ruades.
Après « Le Dégel » d'Ehrenbourg, la prochaine grande vic
toire du non-conformisme a lieu en 1956 lorsque dans son r
oman « L'Homme ne vit pas seulement de pain », Vladimir Dou-
dintsev dresse le plus violent des réquisitoires contre l'arbitrai
re et la corruption dans la bureaucratie soviétique.
Cependant, 1956 est aussi l'année de l'insurrection hongrois
e ; 1957, celle de l'« Affaire Pasternak ». Le « dégel » se heurtà de nombreux obstacles. Néanmoins, c'est par dizaines que
des œuvres non-conformistes viennent enrichir la littérature
russe pendant cette période. Dans « Les Leviers », Al. Tachine,
qui fut un lauréat du Prix Staline, révèle la cruauté et l'inh
umanité de la société soviétique. Dans « Quête et Espérance »,
Kavérine raconte l'arrestation et la déportation d'un médecin
innocent, le désespoir de son épouse, abandonnée de tous ses
amis, et qui s'interroge soudain sur l'idéal communiste qu'elle
a inculqué à son enfant ; l'idéal d'un régime juste et parfait.
Daniel Granine, jeune écrivain de Leningrad, décrit dans
« Opinion personnelle » la déchéance d'un ingénieur victime
de cabales.
Même l'armée rouge n'est plus un sujet tabou. Dans un écrit
de Constantin Simonov, un groupe d'officiers soviétiques est
dépeint comme une bande de gredins et de lâches ; mais il y
a un « héros positif » qui vient corriger la mauvaise impression
(1) Pour le moment, la meilleure référence en français est le numéro de
mai 1962 de la revue Les lettres nouvelles (Julliard), consacré aux « Ecrivains
soviétiques d'aujourd'hui ». En anglais, en revanche, il existe plusieurs ouvrages
sur le « dégel » ou certains de ses aspects. Citons « Bitter Harvest : The In'ellec-
tual Revolt behind the Iron Curtain», avec une préface de François Bondy (Prae-
ger, New-York, 1959) ; une Anthologie poétique publiée par Robert Conquest
(Hutchinson, Londres, 1958) ; une étude du professeur George Gibian, de l'Uni
versité du Minnesota : « Interval of Freedom (1954-1957) » ; « Dissonant Voices in
Soviet Literature » par Patricia Blake et Max Hayward (Pantheon Books, New-York,
1962). 60 ARMAND GASPARD
que le lecteur pourrait avoir. Dans une œuvre publiée en 1958,
le romancier Andreyev évoque les défaillances du haut com
mandement et du parti communiste au début de la campagne
germano-russe ; il dénonce la couardise de nombreux respon
sables et l'absurdité des sacrifices humains causés par la folie
de quelques chefs. L'année suivante, Serge Voronine a pu pu
blier à Leningrad l'histoire d'un déserteur qui combattit avec
les traîtres dans les bataillons de Vlassov, sous l'uniforme a
llemand, puis regagna les rangs des partisans russes et ensuite
son village où il tenta de faire oublier son passé. Cette œuvre
souleva de vives controverses car l'auteur présentait son per
sonnage sous des traits sympathiques et faisait appel à la com
préhension pour sa trahison momentanée. Voronine trouva des
défenseurs parmi des écrivains chevronnés mais la revue qui
l'avait publié fut mise sous tutelle. L'année dernière encore,
presque en même temps iqu'« Une Journée d'Ivan Denisso-
vitch » de Soljénitzyne paraissait un récit intitulé « Un jour
qui passe », de Vadim Kojevnikov ; un ouvrier en bâtiment se
voit systématiquement privé de travail parce qu'il a eu le mal
heur d'être prisonnier de guerre en Allemagne. C'est également
le thème du célèbre film de Tchoukhraï « Ciel pur ».
Nombreuses sont aussi les œuvres qui évoquent le sort des
déportés politiques mais jusqu'au fameux récit d'Alexandre
Soljénitzyne, aucune n'avait atteint un tel degré d'authenticité.
« Libéraux » contre « Cotiser imt<eur$ ».
Dans le domaine de la poésie, le « dégel » a pris peut-être
encore plus d'ampleur qu'en prose. Des œuvres à l'index ont
été rééditées, dans une version expurgée parfois, comme les
poèmes d'Anna Akhmatova, considérée naguère comme « mor
bide et décadente ». En 1956, Sémion Kirsanov publie un long
poème, « Les sept jours de la semaine », qui oppose l'idéal de
la société soviétique aux tristes réalités. En 1961, Alexandre
Tvardovsky, directeur de la revue Novy Mir, obtient le Prix Lé
nine après avoir publié une sorte d'épopée, « Loin, au loin... »,
à la gloire de l'U.R.S.S. mais dans l'esprit de la destalinisation.
Parmi les plus jeunes, Eugène Evtouchenko a composé depuis
1954 des poèmes à la fois très frondeurs et très conformistes DÉGEL 61
par sa fidélité aux idéaux du communisme. Il a pris la tête de
la « nouvelle vague » russe, avec son ami André Voznessensky,
Bella Aikhmadoulina et quelques autres poètes qui proclament
la primauté des sentiments individuels et la victoire de la vé
rité sur le mensonge.
Ces poètes de la « nouvelle vague » et les aînés qui les sou
tiennent, comme Tvardovsky, Ehrenbourg, Paoustovsky, for
ment le clan des « libéraux » auquel suppose celui des « con
servateurs », l'écrivain Kotchetov en tête. Entre ces deux clans
se déroule depuis des années une lutte acharn

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