Dieu n est plus ce qu il était - article ; n°1 ; vol.33, pg 109-128
21 pages
Français

Dieu n'est plus ce qu'il était - article ; n°1 ; vol.33, pg 109-128

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
21 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Autres Temps. Les cahiers du christianisme social - Année 1992 - Volume 33 - Numéro 1 - Pages 109-128
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 40
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

René Cruse
Dieu n'est plus ce qu'il était
In: Autres Temps. Les cahiers du christianisme social. N°33-34, 1992. pp. 109-128.
Citer ce document / Cite this document :
Cruse René. Dieu n'est plus ce qu'il était. In: Autres Temps. Les cahiers du christianisme social. N°33-34, 1992. pp. 109-128.
doi : 10.3406/chris.1992.1511
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/chris_0753-2776_1992_num_33_1_1511SIGNES
DIEU N'EST PLUS
CE QU'IL ÉTAIT
René Cruse
« Le malheur des hommes ne doit jamais être un reste
muet de la politique.
Il fonde un droit absolu à se lever et à s'adresser à ceux qui
détiennent le pouvoir. . .
L'expérience montre qu'on peut et qu'on doit refuser le
rôle théâtral de la pure et simple indignation qu'on nous
propose. »
Michel Foucault.
La dévalorisation du discours politique devient très inquiétante. La
démocratie semble atteinte de mélancolie. Malgré quelques turbulences
conjoncturelles, il y a comme de l'indolence dans l'air.
Le discours religieux, quant à lui, n'est pas logé à meilleure enseigne.
Il apparaît trop chargé de charabia ou d'affirmations gratuites, sans
fondement ! L'un et l'autre n'emportent plus la conviction. Hormis celle
des fanatiques, bien sûr, sur lesquels la « langue de bois » remplace
avantageusement les analyses, politique et religieuse. Il s'ensuit comme
un désanchantement qui se traduit par un abstentionnisme civique ou
une désertion spirituelle qui peuvent ouvrir des avenues triomphantes
aux aventures totalitaires du Front National et des intégrismes religieux
réunis. C'est-à-dire : à ces bas lieux de la « non-pensée ».
La confiance se fait monnaie rare, le mot lui-même sonne ringard. La
méfiance se généralise. En réponse à la frustration de la sphère publique
René Cruse a été pasteur en France et au Maroc. Militant pacifiste, il consacre sa
retraite au « groupe Sida » et au « Comité Paix » de Genève. Ce texte se veut l'esquisse
d'un projet plus vaste. Dans cette perspective l'auteur invite les lecteurs d'Autres Temps à
lui faire part des réflexions qu'il suscitera chez eux.
109 on note une forte tendance à l'individualisme, au repli sur soi. La démag
ogie claironnante des discours crée un syndrome de « sinistrose ».
Tout cela n'est pas nouveau, certes, mais ce qui est nouveau, c'est la
médiatisation à outrance de la « pensée molle », de la pensée toute faite,
peut-être plus pernicieuse que la « mauvaise pensée ». Ainsi, la réflexion
critique est très menacée par ce que Paul Virilio appelle les « télétechno
logies » qui induisent la « vitesse absolue », jadis attribut du divin.
Vitesse grand « V » et démocratie se contredisent, la première rendant
impossible le temps de la concertation liée à la seconde.
Ce phénomène est sans doute aussi inquiétant que la montée de Le
Pen. Il permet les guerres téléguidées, sans contrôle de l'information,
comme on l'a vu avec « la tempête du désert ».
En outre, il faut constater la difficulté qu'éprouvent les intellectuels à
traiter de dossiers sensibles comme celui de l'Islam. L'affaire Rhusdie
notamment. Culpabilisés par nos rapports historiques aux pays arabes,
hormis de rares exceptions, les intellectuels distribuent volontiers des fes
sées à Jean-Paul II (qui ne cesse de donner des verges pour se faire bat
tre), mais en revanche, sont mal à l'aise, très réservés, excessivement
prudents, à l'égard de l'intégrisme musulman, cette perversion des
valeurs islamiques. En France, le terrain est politiquement miné.
Mais, bien sûr l'Église aussi, puissance idéologique, n'est pas en reste
dans le danger qu'elle fait courir à l'intelligence. Force est de reconnaître
que Mgr Decourtray, et toute la hiérarchie romaine témoignent toujours
d'un angélisme calculé et d'une naïveté entretenue quand se font jour des
« affaires Touvier ». Ayant bien agi en impulsant une « enquête histor
ique », les prélats s'empressent d'ajouter que les hauts dignitaires ecclé
siastiques compromis n'engagent pas l'institution. Ce qui est faux naturel
lement. Quand la presse ne protège pas toujours l'Église, elle se donne
bonne conscience en publiant par exemple, sur l'affaire Touvier, le trag
ique appel circonstancié d'André Mandouze dans Le Monde du 11 jan
vier 1992 : « Jusques à quand, ô mon Église ?...» qui reste sans effet.
L'Église-institution a-t-elle jamais eu un autre langage qu'obscurant
iste ? Ne préfère-t-elle pas répondre à toutes sortes de questions que
personne ne se pose afin d'éviter d'entrer en matière sur celles qui remet
tent en question ses dogmes les plus éculés ? La mièvrerie doucereuse de
son discours ne lui sert-elle pas toujours de paravent pour camoufler l'i
njustice la plus criante ?
Aux constatations ci-dessus s'ajoutent les « phénomènes de société »,
comme on désigne aujourd'hui la violence dans les banlieues, la drogue,
les intégrismes, l'intolérance à la différence raciale et culturelle, le sida,
et, d'une manière plus générale, plus universelle, les lourdes menaces qui
110 pèsent sur notre environnement. On assiste à la résurgence de nationali
smes exacerbés, on déplore, sans plus de combat, l'écrasante hégémonie
américano-nippone, la pérennité de la course aux armements et des guerr
es.
Poncifs, dira-t-on, « Paroles verbales », dirait le Canard Enchaîné !
Tout se passe comme si la vie n'avait plus de sens, et l'humanité plus
d'avenir.
Peut-être en effet, que la vie n'a pas de sens, et l'humanité plus d'aven
ir, mais ne sommes-nous pas obligés de faire comme si elle en avait un ?
Peut-on encore, à soixante-dix ans, prétendre apporter une contribu
tion positive, prendre une meilleure mesure des choses, pour retrouver
un peu la dimension en profondeur qui semble nous (me) faire défaut ?
La réflexion ne reste-elle pas un préalable contre le fanatisme et la
robotisation qui nous menacent ? Assurément !
Certains prétendent que notre époque n'est pas pire que les précédent
es, comme si le nazisme et le stalinisme qui ont traversé notre siècle
étaient à tout jamais banalisés. Comme si l'avenir écologique de la pla
nète n'était pas sérieusement menacé. Comme si les nouveaux enjeux
contemporains que je viens de signaler pouvaient se réduire à ce type de
comparaisons. Car aujourd'hui, le chômage, les nationalismes, la culture
du « battant », l'idéologie réussitaire, les problèmes bio-éthiques, sont
parmi bien d'autres, à traiter avec une urgence et une rigueur auxquelles
rien ne nous prépare. De nouveaux outils d'analyse restent à inventer.
Mais pour y parvenir il est peut être bon de se livrer à un exercice
d'anamnèse, sachant que le « souvenir » est la seule manière d'entrer en
résurrection. (Cf. Luc 24).
Car tout se passe comme si, même dans nos combats militants, nous
n'avions plus de « repères » incontestables. Or, il est difficile de vivre
sans points de repères, sans points d'accrochage pour l'esprit d'entreprise
et de lutte. Il est vrai que certains trouvent un remède à leur désenchan
tement en sombrant dans l'ésotérisme le plus aberrant, dans certaines
sectes par exemple. Ils y cultivent la « piété chaude », émotive, exubér
ante, mais intellectuellement pauvre. Les mystères servent alors d'oreil
ler de paresse. Ainsi l'autruche, la tête dans le sable, ne voit-elle plus
venir le danger.
Les idéologies - dit-on - seraient mortes ou en voie de décès. Voire.
D'autres sont déjà en place. A tort ou à raison, on attribue au marxisme
la mort des régimes communistes. Quant à la doctrine économique de la
libre entreprise capitaliste, doctrine dominante aujourd'hui, elle charrie
trop de crimes pour prétendre fonctionner comme planche de salut uni
versel, comme porteuse de sens pour la sauvegarde des valeurs humanist
es les plus élémentaires. Elle a toujours été un leurre.
111 En

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents