Mètis et les mythes de souveraineté - article ; n°1 ; vol.180, pg 29-76
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Description

Revue de l'histoire des religions - Année 1971 - Volume 180 - Numéro 1 - Pages 29-76
Première épouse de Zeus, détentrice d'un savoir oraculaire étroitement associé à son don de métamorphose, Mètis intervient sur trois plans dans les mythes de souveraineté : elle assure la conquête du pouvoir royal, son exercice, son maintien définitif entre les mains de Zeus qui, en avalant sa conjointe par surprise et tromperie, c'est-à-dire en la battant sur son propre terrain, se fait lui-même tout entier savoir et intelligence rusés. Le roi des dieux échappe ainsi au sort qu'il a infligé au premier souverain, Kronos « à la mètis torve ». La confrontation de la Théogonie d'Hésiode avec le Prométhee enchaîné d'Eschyle permet de définir le statut des Cyclopes, des Cent Bras, de Prométhée, la position qu'ils occupent dans l'économie des mythes de souveraineté, leurs relations avec la mètis, spécialement avec ce pouvoir de lier et délier magiquement dont Zeus doit dépouiller Kronos pour assurer sa victoire et son règne.
48 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Jean-Pierre Vernant
Mètis et les mythes de souveraineté
In: Revue de l'histoire des religions, tome 180 n°1, 1971. pp. 29-76.
Résumé
Première épouse de Zeus, détentrice d'un savoir oraculaire étroitement associé à son don de métamorphose, Mètis intervient sur
trois plans dans les mythes de souveraineté : elle assure la conquête du pouvoir royal, son exercice, son maintien définitif entre
les mains de Zeus qui, en avalant sa conjointe par surprise et tromperie, c'est-à-dire en la battant sur son propre terrain, se fait
lui-même tout entier savoir et intelligence rusés. Le roi des dieux échappe ainsi au sort qu'il a infligé au premier souverain,
Kronos « à la mètis torve ». La confrontation de la Théogonie d'Hésiode avec le "Prométhee enchaîné" d'Eschyle permet de
définir le statut des Cyclopes, des Cent Bras, de Prométhée, la position qu'ils occupent dans l'économie des mythes de
souveraineté, leurs relations avec la mètis, spécialement avec ce pouvoir de lier et délier magiquement dont Zeus doit dépouiller
Kronos pour assurer sa victoire et son règne.
Citer ce document / Cite this document :
Vernant Jean-Pierre. Mètis et les mythes de souveraineté. In: Revue de l'histoire des religions, tome 180 n°1, 1971. pp. 29-76.
doi : 10.3406/rhr.1971.9730
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1971_num_180_1_9730et les mythes de souveraineté* Métis
Première épouse de Zeus, détentrice d'un savoir oraculaire
étroitement associé à son don de métamorphose. Métis intervient
sur trois plans dans les mythes de souveraineté : elle assure la
conquête du pouvoir royal, son exercice, son maintien définitif
entre les mains de Zeus qui, en avalant sa conjointe par surprise
et tromperie, c'est-à-dire en la battant sur son propre terrain, se
fait lui-même tout entier savoir et intelligence rusés. Le roi des
dieux échappe ainsi au sort qu'il a infligé au premier souverain,
Kronos « à la métis lorve ». La confrontation de la Théogonie
d'Hésiode avec le Prométhee enchaîné d'Eschyle permet de défi
nir le statut des Cyclopes, des Cent Bras, de Prométhee, la
position qu'ils occupent dans l'économie des mythes de souve
raineté, leurs relations avec la métis, spécialement avec ce pouvoir
de lier et délier magiquement dont Zeus doit dépouiller Kronos
pour assurer sa victoire et son règne.
A la métis humaine d'Homère, à la métis animale d'Oppien
répond chez Hésiode la déesse Métis, fille de Tethys et d'Okea-
nos, que Zeus a épousée et avalée. Certes, il s'agit d'un per
sonnage à certains égards mineur. Jamais les Grecs n'ont
rendu un culte à une divinité de ce nom. Sur le plan du rite,
Métis ne compte pas au nombre des vrais dieux. Faut-il donc
invoquer la fantaisie personnelle du poète, sa tendance à divi
niser de pures abstractions ? Ce serait méconnaître une part
essentielle de la pensée religieuse, ce besoin de désigner, de
classer, d'ordonner les forces de l'au-delà, besoin auquel le
culte ne peut entièrement répondre mais qui trouve à se
satisfaire dans de vastes constructions mythiques comme
celles d'Hésiode. A cet égard, ce qu'on appelle les « abstrac
tions » hésiodiques sont tout autre chose que des concepts
* Ce texte fait suite aux deux études que nous avons publiées eu coll
aboration avec Marcel Détienne dans la Revue des Eludes grecques : La métis
ď Antiloque, ILE. G., t. «0, 1967, p. 68-83; La métis du renard et du poulpe,
R.E.G., t. 82, 1969, p. 291-317. ;
.
■■
30 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
déguisés en dieux par l'artifice d'une métaphore poétique.
Ce sont de véritables « puissances » religieuses, qui président
à des formes d'action très définies et opèrent dans des secteurs -
déterminés du réel1. Dans le jeu des différents pouvoirs divins
dont la Théogonie raconte la naissance, les domaines d'appli
cation, les conflits, les équilibres jusqu'au moment où s'ins
taure, sous la domination de Zeus, l'ordre définitif de l'univers,
leur rôle apparaît parfois aussi nécessaire que celui de certains
dieux du panthéon, traditionnel. Et pour Hésiode précis
ément Métis occupe, dans l'économie du monde divin, une
place éminente. Si elle est la première épouse de Zeus, celle
qu'il mène à , son lit aussitôt terminée la -■ guerre contre les
Titans, aussitôt proclamé son titre- de roi* des dieux, c'est
que ce mariage marque le couronnement de sa victoire et
consacre sa primauté de monarque. Point de souveraineté
en effet sans Métis. Sans le secours de la déesse, sans l'appui
des armes de ruse dont dispose sa science magique, le pouvoir
suprême ne saurait ni se conquérir, ni s'exercer, ni se conser
ver. La Théogonie insiste surtout sur le rôle de Métis dans la
mise en œuvre et dans la permanence de la souveraineté. Mais
le Prométhee enchaîné d'Eschyle nous atteste que dans le
conflit opposant pour la royauté du monde les Titans command
és par Kronos aux Olympiens dirigés par Zeus, la victoire
devait revenir « à qui l'emporterait, non par force et violence,
mais par ruse»2. Si l'armée des Ouranides et de Kronos fut
1) Sur les abstractions divinisées, chez Hésiode, cf. B. Snell, Die Ent-
deckung des Geisles, Hamburg:, 1955, p. 65 sq. Certaines divinités, qui font
l'objet d'un culte, portent elles-mêmes des noms comparables à celui de Métis :
c'est le cas ďAidos, de Pistis, de Phobos, d'Erôs, de Charis ; cf. J.-P. Vernant,
Mylhe et pensée chez les Grecs3, Paris, 1969, p. 52. Sur le problème général des
noms abstraits comme dieux de la Grèce et de Rome, cf. H. Usener, Gôlter-
namen, Versuch einer Lehre von der religiôsen Begriffsbildung, Bonn, 1896,
p. 364-375.
2) Proméihée enchaîné, 212-213. On trouve, chez Homère, la même oppos
ition entre dolos d'une part, kralos et biè de l'autre. Lycurgue, affrontant en
combat singulier Areithoos — que Pausanias appelle (VIII, 4, 10) unèr pnle-
mikos — , le surprend par-derrière dans un chemin trop étroit pour que le redou
table guerrier puisse faire usage de son invincible massue de fer {Iliade, VII,
135 sq.). И le tue : dolôi, ou tikraleige, en le devançant traîtreusement, hupophthas
(cf. Paus., VIII, 4, 10 : l'ayant tué dolôi kai ou sun toi dikaiôi, par ruse et non
à la loyale^ ; cf. aussi Odys., IX. 406 et 408 : Ulysse triomphe du Cyclope dolôi MÉTIS ET LES MYTHES DE SOUVERAINETÉ 31
finalement défaite c'est, selon le poète tragique, faute d'avoir
écouté les conseils de celui qui incarnait, dans sa nature rebelle
de Titan, cette même Métis que Zeus, dans la version d'Hés
iode, devait faire sienne tout entière en l'avalant avant
qu'elle n'accouche d'Athéna.
Les divergences dans les deux traditions légendaires ne
font que souligner plus fortement la constance du thème
de la ruse au cœur des mythes de souveraineté. Hésiode et
Eschyle s'accordent pour reconnaître en Prométhee ce même
type d'intelligence retorse, cette même puissance de tromperie
que les Grecs désignent du nom de métis. Pour l'un et l'autre,
le Titan n'est pas seulement Vaiolomètis, l'agkulomèlès,
Yaipumètès, le dolophroneôn, le pnikilos, le poikiloboulos, le
pnhiïdris1, le prodigieux malin (sophistes) capable « même à
l'inextricable de trouver une issue »2, le maître des tours, des
projets frauduleux, gardant toujours en tête sa science des
pièges et des attrapes, sa doliè technèz ; il est aussi le seul
qui puisse prétendre jouer de ruse avec Zeus, utiliser contre
lui Гара/è4, opposer au roi des dieux métis contre métis.
( H'est que. comme l'Océanide elle-même, Prométhee est le
« prévoyant », celui qui, connaissant chaque chose à l'avance,
possède ce type de savoir indispensable à qui se trouve engagé
dans une bataille dont l'issue est encore incertaine5. Métis
nude bièphin. Sur le rôle de métis, l'emploi des doloi dans les luttes guerrières,
cf. Odys., III, 119-121 : pendant neuf an

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