Temps des dieux et temps des hommes. Essai sur quelques aspects de l expérience temporelle chez les Grecs - article ; n°1 ; vol.157, pg 55-80
27 pages
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Description

Revue de l'histoire des religions - Année 1960 - Volume 157 - Numéro 1 - Pages 55-80
26 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1960
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre Vidal-Naquet
Temps des dieux et temps des hommes. Essai sur quelques
aspects de l'expérience temporelle chez les Grecs
In: Revue de l'histoire des religions, tome 157 n°1, 1960. pp. 55-80.
Citer ce document / Cite this document :
Vidal-Naquet Pierre. Temps des dieux et temps des hommes. Essai sur quelques aspects de l'expérience temporelle chez les
Grecs. In: Revue de l'histoire des religions, tome 157 n°1, 1960. pp. 55-80.
doi : 10.3406/rhr.1960.8998
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1960_num_157_1_8998Temps des dieux et temps des hommes
ESSAI SUR QUELQUES ASPECTS
DE L'EXPÉRIENCE TEMPORELLE CHEZ LES GRECS
« Pour l'hellénisme... le déroulement du temps est cyclique
et non rectiligne. Dominé par un idéal d'intelligibilité qui
assimile l'être authentique et plénier à ce qui est en soi et
demeure identique à soi, à l'éternel et à l'immuable, il tient le
mouvement et le devenir pour des degrés inférieurs de la
réalité où l'identité n'est plus saisie — au mieux — que
sous forme de permanence et de perpétuité, par la loi de
récurrence. »
H.-Ch. Puech résumait ainsi récemment1, une théorie qui,
pour être classique, n'en garde pas moins un solide fond
de vérité. Notre propos n'est donc pas, dans ces pages, de
partir en guerre contre cette interprétation et de priver la
pensée judéo-chrétienne de l'honneur d'avoir défini l'histori
cité de l'homme. Mais telle qu'elle est généralement formulée,
de façon massive, cette vérité risque de ne pas rendre compte
de tous les faits2. Là même où elle est exacte, elle est souvent pré
sentée de façon superficielle et hâtive. Quand on enseigne que les
anciens n'ont « connu » que le temps circulaire, c'est-à-dire
1) Temps, histoire et mythe dans le christianisme des premiers siècles. Proceedings
of the seventh congress for the history of religions, Amsterdam, 1951, p. 34,
Cf. du même auteur, La Gnose et le Temps, dans Eranos-Jahrbuch 1951.
Zurich, 1952, p. 52-76. On trouvera des exposés récents et vigoureux de la thèse
classique dans les ouvrages suivants : Mircea Éliade, Le mythe de Véternel retour,
Paris, 1949 ; O. Cullmann, Christ et le temps, Strasbourg, 1949 ; F. M. Gornford,
Principium sapientiae, Oxford, 1952, p. 168 sq. ; I. Meyerson, Le temps, la
mémoire et l'histoire, Journal de Psychologie,. 1956, p. 333-357.
2) Voir les remarques générales de Goldschmidt, Le système stoïcien et Vidée de
temps, Paris, 1953, p. 49-64 et de F. ChÂtelet, Le temps de l'histoire et l'évolution
de la fonction historienne, Journal de Psychologie, 1956, particulièrement p. 363,
n. 1. 56 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
cosmique1, veut-on dire qu'ils ont ignoré toute autre forme de
temps, ou qu'ils l'ont rejetée en connaissance de cause ? C'est ce
que seule une enquête conçue largement peut prouver. Aussi
faut-il évoquer tant des textes épiques, tragiques ou historiques,
voire oratoires2, que des proprement philosophiques.
Si l'Antiquité grecque a vraiment vécu tout entière dans la
« terreur de l'histoire » (Mircea Ëliade), le fait doit être visible
partout. Or, il suffît d'ouvrir un recueil d'inscriptions par
exemple pour voir qu'il n'en est rien. Quand les cités grecques
rappellent, à Delphes, leurs victoires des guerres médiques3,
quand Pausanias rappelle qu'il a été le chef de l'armée de
Platées4, on ne saurait dire « que les actes humains n'ont
(pas) de valeur intrinsèque « autonome » »5. On ne retrouve en
rien dans ces dédicaces gravées cette conception « théocra-
tique » de l'histoire, qui a caractérisé l'Orient ancien et que
R. G. Collingwood a si bien analysée6. Remarquons enfin
que le débat est faussé si ГоЪ parle, à tout propos ď « Éternel
retour ». L'éternel retour pris dans son sens fort est une doc
trine bien particulière, dont la place dans la pensée grecque est
réelle, mais limitée. Il n'est même pas suffisamment clair si
toute la discussion porte, comme eût dit le jeune Pascal,
autour de « barres et de ronds » : ce dont il s'agit dans cette
esquisse7 est moins d'opposer temps cyclique et temps linéaire
que de montrer quels rapports se sont établis d'Homère à
Platon entre le temps des dieux et le temps des hommes.
1) Cf. la tentative originale de B. A. Van Groningen, In the grip of the PasL
Essay on an aspect of Greek Thought, Ley de, 1953.
2) Cf. GoLDscHMiDT, op. cit., p. 50.
3) M. N. Tod, A selection of greek historical inscriptions, n° 16.
4) Anthol. Palat., VI, 197, reproduit dans Tod, op. cit., p. 23.
5) M. Éliade, op. cit., p. 18.
6) The idea of history, Oxford, 1946, p. 14. Voir particulièrement l'analyse-
(p. 16) de la stèle de victoire de Mesha, roi de Moab (ixe siècle av. J.-C). On pourrait
aisément multiplier les comparaisons entre les inscriptions grecques et ce type de
« communiqués aux Dieux ».
7) Beaucoup trop rapide évidemment et systématiquement incomplète. Il est
inutile de refaire après d'autres, par exemple, l'examen du « sophisme des Éléates ».
Nous négligerons bien des textes, quitte à revenir sur eux dans un cadre plus large. n'étudierons pas non plus le temps, tel que pourrait le définir une étude
phénoménologique de la religion grecque. Cf. p. ex. : G. Dumézil, Temps et:
mythes, Recherches philosophiques, t. V, 1935-36, p. 235-251. TEMPS DES DIEUX ET TEMPS DES HOMMES 57
* *
Le héros homérique voudrait-il avoir une conception int
égralement cyclique du temps qu'il n'en aurait pas les moyens.
Ses connaissances astronomiques ne dépassent pas certaines
notions extrêmement vagues, plus primitives même, a-t-on dit,
que celles de bien des « primitifs a1. Aussi les tentatives qui ont
été faites pour appliquer au monde homérique les schémas
traditionnels ne semblent pas, quand elles échappent à l'erreur
pure et simple, rendre compte de l'essentiel, c'est-à-dire des
gestes humains2.
Dès les premiers vers de l'Iliade, nous sommes pourtant
avertis : la Muse est appelée à raconter une histoire à partir de
son commencement (та тсрсота) et cette histoire ne s'explique
que par appel à la « volonté de Zeus »3.
La peste dans le camp achéen est la transcription sur
un registre humain d'une décision divine, mais cela, seuls le
prêtre Chrysés, le devin Calchas et le poète le savent. Ainsi
s'opposent temps divin, mythique, et temps humain, vécu.
Les muses seront filles de Mémoire, mais déjà chez Homère
elles permettent au poète de dominer à l'instar des dieux la
confusion du temps et de l'espace des hommes : « Et main
tenant, dites-moi, Muses habitantes de l'Olympe — car vous
êtes des déesses, partout présentes, vous savez tout ; nous
n'entendons qu'un bruit, nous, et nous ne savons rien — dites-
moi quels étaient les guides, les chefs des Danaens » ; et
ailleurs. « Et maintenant dites-moi, Muses... quel est parmi les
1) Cf. Martin P. Nilsson, Primitive time reckoning, Lund, 1920, particuli
èrement p. 110 sq. Homer and the stars, et p. 362.
2) Voir surtout R. B. Onians, The origins of the European Thought, 1953.
L'auteur a essayé d'interpréter étymologiquement les principaux termes désignant
chez Homère le temps. Mais on peut lui faire, semble-t-il, deux sortes d'objections.
D'une part, les etymologies proposées sont souvent peu convaincantes, de l'autre
rien ne prouve que les sens déduits soient les sens perçus. Même si l'on admet, par
exemple, le rapprochement entre теХос (but) et 7roXoç (axe de rotation), on doutera
que l'expression теХестсророс èviocuxoç (IL, XIX, 32) signifie « la totalité du cercle
de l'année » (Onians, op. cit., p. 443). Voir d'ailleurs, à propos des risques qu'entraîne
la méthode suivie par Onians : A. Meillet, Aperçu ďune histoire de la langue
grecque, 1955, p. 65-67, et J. Paulhan, La preuve par i etymologie, Paris, 1953.
3) Iliade, I, 5-6. Tj8 - REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
Achéens le premier qui relève des dépouilles sanglantes, au
moment (етаь) où l'illustre ébranleur du sol a fait pencher la
lutte en leur faveur1. » Pour l'obser

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