Chateaubriand, peintre de la Bretagne - article ; n°3 ; vol.37, pg 260-285
27 pages
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Annales de Bretagne - Année 1925 - Volume 37 - Numéro 3 - Pages 260-285
26 pages

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Publié par
Publié le 01 janvier 1925
Nombre de lectures 12
Langue Français
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Extrait

L. Legras
Chateaubriand, peintre de la Bretagne
In: Annales de Bretagne. Tome 37, numéro 3-4, 1925. pp. 260-285.
Citer ce document / Cite this document :
Legras L. Chateaubriand, peintre de la Bretagne. In: Annales de Bretagne. Tome 37, numéro 3-4, 1925. pp. 260-285.
doi : 10.3406/abpo.1925.1616
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0003-391X_1925_num_37_3_1616L. LEGRAS
CHATEAUBRIAND
PEINTRE DE LA BRETAGNE
Chateaubriand avait laissé publier en 1834 quelques frag
ments de ses Mémoires et, en particulier, la description du
printemps en Bretagne. Un Breton du sud, son secrétaire
intermittent, lui disait à ce propos : « Votre est
un bijou, une merveille. Mais ça ne peint que les côtes du
nord, elles sont bien incomplètes. Qu'eussiez-vous dit si vous
aviez vu les côtes du sud, le joli Morbihan ? »
— « Oui, où il n'y a que des landes pelées et du granit gri
sâtre. »
— « Où il y a des vallées, des fontaines, des étangs, des
ruisselets et des mers, et par-dessus tout cela un Ciel, une
lumière tels que n'en ont jamais vus et que ne verront jamais
les côtes du nord.
» Saint-Malo est bien heureux d'avoir donné le jour à un
Chateaubriand, à un Lamennais, à un Broussais, etc.; autre
ment ce serait un des trous les plus sombres du globe.
» Jamais la brume n'en désempare, et le vent emporte les
maisons.
» Dire que nos landes sont pelées, c'est même irrévéren
cieux et injuste. Si Jean-Jacques les avait vues, il eût dit que,
sévères par endroits, dans d'autres elles ont quelque chos» PEINTEE DE LA BEETAGNE. 261 CHATEAUBRIAND,
du vêtement de Salomon W. Elles ont la fleur safranée de
l'ajonc, qui ressemble à des nuées d'abeilles et de papillons
d'or (2). A leurs pieds, les bruyères rosés forment un tapis de
pourpre fleurie; le soleil, dieu des druides, le peut bien
embellir quand il monte ou descend, mais il ne le peut faner
ni flétrir, alors môme qu'il fait briller de ses feux les plus vifs
les sentiers qui se déroulent autour des collines et qui ne
reluisent pas moins de micas blancs, que la ceinture de la
reine* de Saba n'étincelait de diamants et de saphirs te). »
Chateaubriand connaissait bien une parcelle de la Bretagne
du nord, qu'il avait habitée 18 ans, mais il ne connaissait
qu'elle; le bouillant Méridional en avait vu plus, et il sentait
fortement combien il est difficile de peindre, dans un seul
tableau et sous une même tonalité, toute la Bretagne; mais il
abusait de son avantage pour exagérer les couleurs et le
contraste. Volontiers il eût dit, avant un critique contemp
orain, qu'entre Rennes et Sainl-Malo « le vert des arbres
semble plus sombre, le bleu du ciel plus gris qu'ailleurs, le
soleil toujours un peu humide, comme un sourire trempé de
larmes »; ou encore, avec Michelet, que la fleur de sarrazin,
'< cette neige d'été, ces couleurs sans éclat et comme flétries
d'avance, affligent l'œil plus qu'elles ne le récréent ». Chateau
briand, qui avait visité, à défaut de la Bretagne du sud, une
région du nouveau monde et les plages les plus lumineuses
de l'ancien, ne pensait pas toujours ainsi : il louait « les beaux
ombrages de Combourg » et le « joli village de Plancoët »,
la luxuriance du printemps breton (véritable toile de grand
maître), la richesse et la fraîcheur de la basse vallée de la
Rance; il s'attendrissait au souvenir de ces houles de ver-
(1) Chateaubriand lui-même les avait admirées, mais à Naples, et à cause de
la lumière, assure-t-il : « Ce ne sont point les prairies et les feuilles d'un vert
cru et froid aui font les admirables paysages, ce sont les effets de la lumière.
Voilà pourquoi les roches et les bruyères de la baie de Naples seront toujours
plus belles que les -vallées les plus fertiles de la France et de l'Angleterre. »
{Itinéraire — Voyage en Grèce).
(2) L'expression est de Chateaubriand lui-même, Tableaux de la Nature, TV:
Essai, n, 13; Mémoires (Ed. Birê), I, p. 66.
(3) J. Daniélo, Les Conversations de Chateaubriand, p. 107-108. 262 CHATEAUBRIAND, PEINTEE DE LA BEETAGNE.
dure, ■« des chemins peu fréquentés où croissait le gazon »,
des haies qui les bordent et des « sillons où rit la première
verdure des blés ». Rien de sombre dans ces peintures ache
vées ou dans ces touches légères, mais une vérité attendrie
et pénétrante. Car il s'en faut que Chateaubriand soit toujours
inexact : il ne dit pas tout, il interprète par ses sentiments
de l'heure où il écrit, ses impressions passées, il se laisse
entraîner par son imagination; mais en racontant ce qu'il a
vu, du moins, il est le plus souvent très sûr. Un de ses neveux,
qui lui rendit visite en 1844, fut frappé de la précision de ses
souvenirs sur le château de Monchoix, sur l'église de Nazareth,
sur les maisons de sa grand'mère et de sa nourrice, sur tout
le village de Plancoët qu'il n'avait pas vu depuis plus d'un
demi-siècle. Mais déjà, ajoule-t-il, il avait été surpris de
retrouver, dans un épisode célèbre des Martyrs, des sites de
Plancoët parfaitement reconnaissables : d'abord le tertre de
Brandfer, auquel songe sans doute Chateaubriand, quand il
fait dire à Eudore : « Sortant du château, j'allai m'asseoir sur
une haute colline d'où l'on apercevait le détroit britan
nique^) »; puis, dans le même passage, « une peinture tell
ement exacte de plusieurs point avoisinant. Plancoët et la côte
que j'ai quelquefois pensé que, si l'auteur des Martyrs n'y
avait pas placé le théâtre des événements qu'il raconte, il y du moins primitivement entrevu l'image de Velléda,
au temps où il y promenait ses jeunes et solitaires rêveries <5) ».
L'enthousiasme emporte un peu le jeune neveu W; mais
aujourd'hui encore, en errant à Combourg, le paysage évoque
à chaque pas un détail précis des Mémoires : les tours dn
château féodal aperçues parmi les grands arbres, du haut
d'une colline à une demi-heure de chemin vers Dol, les hiron
delles de l'étang, les sarcelles des roseaux, les joncs, les nénu-
(4) Martyrs, X.
(5) Du Boishamon, Chateaubriand, souvenirs intimes. — Cf. Ogée, Diction
naire historique et géographique de la Bretagne. Nouvelle Edition.
(6) A la suite de il est vrai, car les Mémoires nous parlent,
symboliquement (I, p. 148), du chêne de l'Annorique au pied duquel il Inventa
Velléda. PEINTRE DE LA BRETAGNE. 263 CHATEAUBRIAND,
phars, les iossés boisés qui prennent de loin l'air d'une
forêt, etc.. Vous y voyez seulement beaucoup moins de
bruyères et de pierres druidiques. Vous êtes étonné surtout
-- sauf aux mauvais jours de l'automne, mais dans quelle
campagne ces mauvaises journées vous ont-elles inspiré de
la gaîté ? — de ne pas essuyer, sous un ciel toujours bas et
gris, de pluvieuses bourrasques qui vous pénètrent d'une
sombre mélancolie. D'où vient cet étonnement, que n'eût point
partagé le Morbihannais Daniélo ? De ce qu'en dépit des
détails riants et justes, les descriptions de Chateaubriand
laissent l'impression d'un pays morne et presque sauvage.
Tant de pages qu'il a consacrées non seulement à la Bretagne
en général, mais à Saint-Malo et à Combourg même, comme
le note avec un regret discret l'historien de Combourg, sont
presque toujours mélancoliques <7). Et quelquefois cela s'ex
plique aisément : quand, par exemple, Chateaubriand retrace
le voyage qui l'amena enfant de Saint-Malo à Combourg, les
longues impatiences enfantines, coupées de joies soudaines,
se marquent de la façon la plus heureuse dans les détails
moroses et les épithètes dénigrantes : « durant quatre mortelles
lieues, nous n'aperçûmes que des bruyères guirlandées de
bois, des friches à peine écrêtées, des semailles de blé noir,
court et pauvre, etc.. (g) ». Mais pourquoi cette couleur uni
formément sombre répandue sur la Bretagne dans un ouvrage
historique ?
Pourquoi cette prédilection pour les jours gris et tempé
tueux d'automne, si robustement peints, mais si envahis
sants (9) qu'ils environnent toujours, dans notre imagination,

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