De la conservation à la conversion - article ; n°1 ; vol.30, pg 31-56
27 pages
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Description

Communications - Année 1979 - Volume 30 - Numéro 1 - Pages 31-56
26 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 24
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Evelyne Bachellier
Emmanuel Kant
Michel Foucault
De la conservation à la conversion
In: Communications, 30, 1979. pp. 31-56.
Citer ce document / Cite this document :
Bachellier Evelyne, Kant Emmanuel, Foucault Michel. De la conservation à la conversion. In: Communications, 30, 1979. pp.
31-56.
doi : 10.3406/comm.1979.1445
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1979_num_30_1_1445Evelyne Bachellier
De la conservation à la conversion
Corpus: lettres de Marie de Rabutin-
Chantal, marquise de Sévigné (1626-
1696).
"Présentement, ma bonne, que vous
n'êtes plus ici pour me faire conserver
mon pauvre corps, je ne lui donne ni
paix ni trêve, non plus qu'à mon esprit."
I. DE LA CONSERVATION A LA CONVERSATION
Le 5 février 1626 naquit à Paris, place Royale, l'actuelle place des
Vosges, Marie de Rabutin-Chantal, la future marquise de Sévigné.
A dix-sept mois, en juillet 1627, elle perdit son père Celse-Bénigne de
Rabutin, baron de Chantai, alors âgé de trente et un ans, tué au combat
alors qu'il participait comme volontaire à une expédition contre les
Anglais à l'île de Ré (il eut, dit-on, trois chevaux abattus sous lui,
se battit pendant six heures, reçut vingt-sept coups, et il est mort).
A sept ans, le 30 août 1633, elle perdit sa mère, Marie comme elle, de
Coulanges, alors âgée de trente ans, après une courte maladie. Élevée
dès sa naissance dans sa famille maternelle, elle perdit encore à huit ans,
le 12 mai 1634, sa grand-mère Marie de Rèze et, à dix ans,
le 5 décembre 1636, son grand-père Philippe Ier de Coulanges. Mais ils
restèrent dix autour d'elle, presque toutes personnes jeunes dont sa
gouvernante Anne Gohory, sa tante Marie Lefèvre d'Ormesson, femme
de Philippe II de Coulanges son tuteur, et une demi-douzaine de jeunes
papas, ses oncles, sans compter toute une ribambelle de petits' cousins
et cousines.
Commentaire maintes fois répété de la principale intéressée: "Cette
belle jeunesse où j'ai tant pensé crever de rire ! Il n'y en eut jamais
de plus heureuse que la mienne."
Commentaire du baron Walckenaer, Vun de ses meilleurs biographes :
"Les doux sentiments de la piété filiale n'eurent pas le temps de se
développer en elle. Il est remarquable qu'ils paraissent avoir été
inconnus à cette femme, qui encourut le reproche de s'être livrée
avec excès à la plus désintéressée comme à la plus touchante des
passions, l'amour maternel. Dans les lettres nombreuses qu'elle nous a
laissées, on ne trouve ni le nom de sa mère ni un souvenir
qui la concerne. Elle y parle une ou deux fois de son père, mais c'est
pour faire allusion à l'originalité de ses défauts. Dans une lettre à sa 32 Evelyne Bachellier
fille, en date du 22 juillet, elle ajoute après cette date : 'Jour de la
Madeleine, où fut tué, il y a quelques années, un père que j'avais.'
Qu'elle est triste cette puissance du temps et de la mort, puisqu'une
âme aussi sensible ne paraît pas même avoir éprouvé le besoin si naturel
de chercher à renouer la chaîne brisée des affections et des regrets; à
suppléer au néant de la mémoire par les mystérieuses inspirations du
cœur; à se rattacher par la pensée à ceux par qui nous existons, et dont
la tombe, privée de nos larmes, s'est ouverte auprès de notre berceau !"
Et pourtant, le 4 février 1671, jour de la première séparation d'avec
sa fille, la comtesse de Grignan qui partait rejoindre son mari en son
gouvernement de Provence, la tombe faillit bien se refermer sur elle
à tout jamais, ce qui eût privé le panthéon des Belles-Lettres d'une
nouvelle-née de quarante-cinq ans : "Toute votre chambre me tue ;
j'y ai fait mettre un paravent tout au milieu, pour rompre un peu
la vue d'une fenêtre sur ce degré par où je vous vis monter dans le
carrosse de d'Hacqueville, et par où je vous rappelai. Je me fais peur
quand je pense combien alors j'étais capable de me jeter par la fenêtre,
car je suis folle quelquefois." Rideau. Ce que "marie mignonne1" entre
vit là, à son cœur défendant mais non à sa plume heureusement, dans
l'entrebâillement des lèvres d'une blessure mal fermée 2, et qu'elle
ne devait plus perdre, de vue? l'a-mère révélation de la mort comme
de la naissance : l'autre est autre, un autre que moi, sur lui il faut
toujours faire une croix, de lui il faut toujours faire son deuil. Ce
4 février-là, veille de son anniversaire et de celui de son veuvage, la
solide Sévigné commença à se douter de quelque chose, qu'elle pourrait
bien un jour, elle aussi, passer dans la barque comme les autres, et
Charon qui ne fait point de grâce ! (Tous les départs de la comtesse,
en ces jours qui rouvrent l'absence, sont liés à une vision concrète,
carrosse ou barque, qui disparaît, image obsédante, source de dragons :
"Si vous songez à moi, ma pauvre bonne, soyez assurée aussi que je
pense continuellement à vous. C'est ce que les dévots appellent une
pensée habituelle; c'est ce qu'il faudrait avoir pour Dieu, si l'on faisait
son devoir. Rien ne me donne de distraction. Je suis toujours avec
vous. Je vois ce carrosse qui avance toujours et qui n'approchera
jamais de moi. Je suis toujours dans les grands chemins. Il me semble
que j'ai quelquefois peur qu'il ne verse. Les pluies qu'il fait depuis
trois jours me mettent au désespoir. Le Rhône me fait une peur étrange.
J'ai une carte devant mes yeux; je sais tous les lieux où vous couchez.")
S'il faut dire avec Voiture, "personne n'est encore mort de votre
absence, hormis moi", ce jour-là, bien avant la première maladie, une
crise de rhumatisme qui affecta son insolente santé, la marquise, à
contre-corps, commença à perdre la jolie chimère de croire être immort
elle; un monstre naissant en somme.
Rude réveil ! "Ma douleur serait bien médiocre si je pouvais vous
1. Ses deux enfants, Françoise-Marguerite et Charles, l'avaient surnommée
"maman mignonne".
2. "Les défauts de l'âme sont comme les blessures du corps : quelque soin
qu'on prenne de les guérir, la cicatrice paraît toujours, et elles sont à tout
moment en danger de se rouvrir" (La Rochefoucauld). la conservation à la conversion 33 De
la dépeindre; je ne l'entreprendrai pas aussi. J'ai beau chercher ma
chère fille, je ne la trouve plus, et tous les pas qu'elle fait l'éloignent
de moi. Je m'en allai donc à Sainte-Marie, toujours pleurant et toujours
mourant. Il me semblait qu'on m'arrachait le cœur et l'âme, et en
effet, quelle rude séparation ! Je demandai la liberté d'être seule."
Le nuage avait crevé, et si le soleil ni la mort ne se peuvent regarder
fixement (La Rochefoucauld), elle n'épargna plus ni pleurs ni sueurs *
à retrouver le temps perdu. Le temps s'était remis en marche, bloqué
peut-être depuis cette septième année dont on dit qu'elle ouvre l'âge
de raison et date à laquelle, au xviie siècle, le garçon quittait la tutelle
des femmes (mère, nourrice, servantes) pour recevoir une instruction
et se fondre plus ou moins rapidement parmi les adultes. Les filles, en
général, à cet âge-là, étaient mises au couvent, y demeuraient ou en
ressortaient analphabètes mais la marquise fut élevée bourgeoisement
(les Coulanges étaient de noblesse récente et s'étaient enrichis dans la
gabelle), c'est-à-dire librement pour l'époque, en famille, loin des
cloîtres et des douleurs de la séparation; elle passa son enfance entre
la place Royale et la maison de campagne des Coulanges à Sucy-en-Brie
et reçut les leçons de plusieurs précepteurs dont Ménage. Il est remar
quable d'ailleurs que la mort de ses parents coïncidât, en gros, avec
deux étapes primordiales de ce qu'on pourrait appeler l'apprentissage
de la vie chez l'enfant : la mort du père, avec celle du langage et de
la marche, la mort de la mère avec celle de la lecture et de l'écriture.
(Notons encore que les deux, seules maladies graves et longues dont
Mme de Sévigné eut à souffrir dans sa vie, sans compter celle qui
l'emporta rapidement à soixante-dix ans,

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