Écritures féminines et rites de passage - article ; n°1 ; vol.70, pg 121-142
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Description

Communications - Année 2000 - Volume 70 - Numéro 1 - Pages 121-142
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 21
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mme Agnès Fine
Écritures féminines et rites de passage
In: Communications, 70, 2000. pp. 121-142.
Citer ce document / Cite this document :
Fine Agnès. Écritures féminines et rites de passage. In: Communications, 70, 2000. pp. 121-142.
doi : 10.3406/comm.2000.2066
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2000_num_70_1_2066Agnès Fine
Ecritures féminines
et rites de passage1
On sait que les femmes ont fait de l'écriture domestique leur territoire
privilégié2. Cette écriture « ordinaire » prend des formes spécifiques qui
se limitent aux âges auxquels elles sont associées- II existe en effet le
« temps des cahiers » et du journal intime, celui des lettres d'amour et
des faire-part de mariage, celui des albums de naissance, enfin celui de
l'écriture des souvenirs et de l'histoire familiale. Or, sauf exceptions, cha
cune de ces écritures exclut la précédente, comme si elles devaient expri
mer des temps féminins antagoniques marqués par quelques passages
essentiels, définissant chacun les différentes étapes de la construction de
l'identité sexuelle féminine. C'est ce qui ressort de l'ensemble des recher
ches collectives menées par le Centre d'anthropologie de Toulouse, et
publiées en 1993 dans un ouvrage dirigé par Daniel Fabre intitulé Écri
tures ordinaires 3. Depuis lors, d'autres recherches ont approfondi certains
aspects de ces écritures féminines, permettant aujourd'hui cette tentative
de synthèse.
JEUNES FILLES
A l'âge de l'adolescence, les jeunes filles se délectent à manipuler feutres
et cartes décorées, papiers à lettres colorés, enveloppes illustrées, colle et
ciseaux, pour se livrer à toutes sortes d'écritures, seules ou en groupe.
Elles écrivent leur journal intime, tiennent des carnets d'anthologie de
citations, remplissent des cahiers de poèmes, entretiennent de multiples
correspondances, et confectionnent même des « cahiers d'amitié ».
121 Fine Agnès
Le journal intime.
Philippe Lejeune a montré comment le journal intime s'impose chez
les filles des milieux nobles et bourgeois, surtout dans la seconde moitié
du XIXe siècle4. Il établit un lien entre le diarisme et le développement de
l'enseignement secondaire féminin, la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans
ayant probablement accéléré le mouvement5. Les enquêtes actuelles sem
blent lui donner raison, car c'est une pratique devenue très générale
aujourd'hui dans tous les milieux sociaux. Jean-Pierre Albert 6 a mené en
1992 une petite enquête dans le milieu lycéen toulousain auprès des
jeunes, de leurs parents et connaissances : 80 % des filles, 27 % des gar
çons tenaient leur journal au moment de l'enquête. Il s'agit donc d'une
pratique massive, et surtout féminine, qui a concerné également les sœurs
aînées et les mères des lycéens : 57 % des. femmes de moins de 30 ans
interrogées déclaraient en avoir tenu un dans leur adolescence pour 30 %
des femmes de plus de 50 ans, ce qui prouve qu'elle s'est encore accrue
dans les trente dernières années. Il s'agit d'une écriture de toute jeune
fille - entre 10 et 14 ans - puisque plus des deux tiers des femmes de
20 ans et près de 60 % des filles de 17-18 ans déclaraient l'avoir déjà
abandonnée.
Le journal intime de la jeune fille semble être donc aujourd'hui une
véritable institution, comme le montre d'ailleurs l'objet lui-même, qui fait
partie des cadeaux privilégiés de cet âge, avec les beaux papiers à lettres
(56 % des jeunes filles de l'enquête en possèdent contre 16 % des gar
çons), les parfums, les bijoux et la trousse de .maquillage. Ces cadeaux
sont à la fois expression et prescription d'une identité féminine juvénile
fondée, selon Jean-Pierre Albert, sur l'éducation d'une attention à soi, sur
le développement d'une vie intérieure marquée par la culture du sent
iment et par un sens esthétique intériorisé, que l'on cherche par ailleurs
à épanouir avec les cours de danse ou de piano. Il s'agit de développer
chez la jeune fille l'incorporation de valeurs artistiques ou, au minimum,
de favoriser chez elle un certain maintien, une sorte de grâce, et une
disposition à sentir. Comme le remarque Jean-Pierre Albert, en principe,
le journal intime n'a pas de destinataire, mais le caractère confidentiel
de l'écriture, affiché par le petit cadenas qui fait partie de l'objet lui-
même, affirme un secret de l'identité dont les destinataires sont clairement
les parents. Ecrire son journal est pour une adolescente une manière claire
d'affirmer son altérité, la constitution de son moi.
122 féminines et rites de passage Écritures
Le temps des cahiers.
Cette écriture solitaire s'accompagne d'une intense correspondance
entre amies, en particulier des amies de classe. L'enquête de Dominique
Blanc 7 auprès de lycéennes toulousaines révèle l'importance des « cahiers
d'amitié ». Deux camarades de classe se choisissent pour écrire chacune
un cahier qu'elles s'offriront en cadeau quand il sera fini. Ce sont des
cahiers chatoyants, illustrés avec des feutres de toutes les couleurs, faits
de découpages et de collages de photos publicitaires, en particulier de
stars masculines du cinéma et de la chanson, de dessins et d'écritures.
La scriptrice se livre à une présentation d'elle-même en révélant ses états
de cœur, le vif du sujet étant bien sûr les rêveries amoureuses des deux
adolescentes. Des prénoms de garçons de la classe figurent au-dessous
des collages des photos de stars, il est question de l'amoureux de l'une,
de l'amoureux de l'autre, ces derniers ignorant la plupart du temps qu'ils
sont objets d'amour et de rupture. Comme l'écrit joliment Dominique
Blanc, il s'agit d'« amours de papier entre deux amies de plume ». Le
cahier s'adresse temporairement à celle qui l'écrit mais aussi à celle à qui
il sera offert, la scriptrice lui prêtant sa plume pour exprimer ce qu'elle
croit être ses sentiments : déclaration d'amour ou poèmes à l'adresse de
l'amoureux de l'autre. D'où une ambiguïté constante du sujet de l'énon-
ciation, ambiguïté renforcée par les termes d'adresse sentimentaux que
l'une donne à l'autre. Ecrire un « mon amour » enflammé à sa camarade
de classe, n'est-ce pas jouer avec humour sur le langage amoureux et sur
l'identité de son destinataire ?
A l'écriture solitaire de ces cahiers d'amitié à destinataire unique
s'ajoute chez les lycéennes une autre forme d'écriture, plus collective, celle
du cahier de textes, détourné avec jubilation de sa fonction scolaire. Les
pages des semaines passées sont recouvertes de collages divers, poèmes,
photos de stars, chansons, histoires drôles, aphorismes dont le thème
général est toujours l'amitié et l'amour. Le jeu consiste à le faire circuler
parmi les amies privilégiées, chacune y allant de sa note personnelle sur
les membres du groupe, de sorte que le cahier devient un véritable journal
de classe. Les garçons parviennent parfois à le rapter pour y inscrire, eux
aussi, leur marque personnelle et quelques obscénités. A noter que le
cahier est l'occasion pour les adolescentes d'inscrire un dessin ou une
sorte de logo qui leur est propre, apposé aussi dans d'autres lieux, une
véritable signature reconnue par tous les copains. Dominique Blanc ana
lyse les conditions concrètes de l'écriture féminine à cet âge, en particulier
les correspondances recherchées entre les couleurs des feutres, leur odeur
123 Fine Agnès
enivrante, celle de la colle, la musique, bref, un jeu sur les sens et les
émois, comme si l'écriture des sentiments devait solliciter tout le corps et
tous les sens.
La correspondance avec l'inconnu.
Hors de l'école, les filles trouvent encore d'autres destinataires auxquels
elles adressent leurs écritures. Elles forment le gros des correspondantes
aux animatrices de télévision ou aux journalistes des magazines. Anna
Iuso a analysé un corpus de près de trois cents lettres envoyées au prin
temps 1991 à la présentatrice

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