Face au Sphinx - article ; n°1 ; vol.82, pg 71-86

Edwy Plenel

Description

Communications - Année 2007 - Volume 82 - Numéro 1 - Pages 71-86
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: COMMUNICATIONS
• Publié le: 01 janvier 2007
• Nombre de lectures: 19
• Langue: Français

Extrait

Edwy Plenel

Face au Sphinx

Edgar Morin et le journalisme

Edgar Morin est, aussi, journaliste. Journaliste à sa manière, bien sûr, et sans doute seul de son espèce. Autrement dit journaliste morinien, tout comme il s’inventa sociologue, cherchant sa discipline en découvrant des chemins de traverse et en arpentant des sentiers d’aventure. Sociologue journalisant, journaliste sociologisant : défiant les réprobations classifi- catrices, qui se rassurent en simplifiant la connaissance et se protègent en limitant la curiosité, Morin n’a cessé d’occuper cette position inclas- sable, aussi exposée qu’incertaine. Pour autant, ses critiques seraient bien en peine de le travestir en spécimen des « intellectuels médiatiques » – obligés des médias où ils se commettent, enchaînés à cette servitude qui les promeut. La diversité des genres (études, tribunes, entretiens) comme des supports (certes, Le Monde et Le Nouvel Observateur de façon privilégiée, mais aussi bien Libération , L’Express , Le Figaro , d’autres titres encore, selon les contextes et les périodes) en témoigne : il a toujours gardé sa liberté, saisissant les médias selon son propre moment plutôt qu’il ne se laissait saisir par le moment médiatique. Seule sa morale de vie – disponibilité fraternelle, horreur des exclusives, absence de mépris social – explique une profusion médiatique parfois surabondante, tant il s’est toujours refusé à dresser un mur entre le savoir académique et la curiosité journalistique. Mais, s’il ne s’est pas protégé, il ne s’est aucunement perdu. Loin de l’expression habituelle d’opinions, où l’intellectuel s’égare en se prétendant juge de tout, le Morin journaliste témoigne d’un entêtement, doublé d’un risque : confronter sans cesse le cheminement de sa pensée aux surprises de l’actualité. Plutôt qu’une facilité, ce fut une contrainte, librement choisie : entre exercice et entraînement, une sorte d’épreuve et de contre-épreuve où l’œuvre en cours, au lieu de se réfugier dans sa tour d’ivoire, affronte la vie même qu’elle est censée éclairer, testant son idéal de compréhension sur la réalité de l’événement.

71