Impudique Aurélie - article ; n°1 ; vol.46, pg 199-220
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Description

Communications - Année 1987 - Volume 46 - Numéro 1 - Pages 199-220
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 51
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean-Marie Apostolidès
Impudique Aurélie
In: Communications, 46, 1987. pp. 199-220.
Citer ce document / Cite this document :
Apostolidès Jean-Marie. Impudique Aurélie. In: Communications, 46, 1987. pp. 199-220.
doi : 10.3406/comm.1987.1694
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1987_num_46_1_1694Jean-Marie Apostolidbs
Impudique Aurélie
Dans un petit village de Haute-Provence, situé sur le plateau entre
Manosque et Valensole, arrive un nouveau boulanger qui fait le pain
bon comme de la brioche. Il est à peine installé que sa jeune femme, au
grand scandale des villageois, s'enfuit avec un berger. Désespéré,
l'homme s'enivre d'abord, puis commence la grève du fournil. Menacé
une fois de plus d'être privé de pain, le village entier s'unit alors pour
retrouver la fugueuse. C'est seulement après le retour de la belle bou
langère que le mari se remet à pétrir et que se rétablit l'ordre de la
petite communauté. Voilà brièvement résumé la Femme du boulanger
de Marcel Pagnol. Inspirée d'un conte de Jean Giono, cette histoire a
d'abord été un film avant d'être un texte publié *. Sous ces deux for
mes, si elle reçut du public un accueil enthousiaste, elle provoqua
rarement l'analyse critique. Du film, Georges Sadoul écrivit qu'il était
« sans prétentions philosophiques » : « C'était tout bonnement un
fabliau, une grosse farce, dans la tradition de certaines pièces de
Molière 2. » En dépit de quelques commentaires qui détonnèrent —
Orson Welles, par exemple, tenait la Femme du boulanger pour l'un
des plus grands films du monde — , cette œuvre n'a guère suscité
d'autres éloges que la sympathie de commande qu'on accorde aux
histoires mettant en scène des personnages folkloriques. Parmi les
facteurs du succès, il faut aussi mentionner la participation d'acteurs
populaires (Charpin, Delmont, Ginette Leclerc) et la performance uni
que de Raimu dans le rôle du boulanger cocu. Il nous paraît cependant
que, derrière la transparence immédiate de l'action et des caractères,
cette œuvre dit autre chose qui explique son persistant pouvoir
d'attraction ; qu'elle peut supporter plusieurs niveaux de lecture, et
qu'une approche critique plus ouverte permettrait d'en révéler la
richesse et la complexité. Nous tenterons de le montrer en prenant
comme fil conducteur, parmi d'autres possibles, le thème de la femme
impudique dans une société traditionnelle.
199 Jean-Marie Apostolidès
Un village en déclin.
L'histoire du boulanger et de son épouse se déroule à la veille de la
Seconde Guerre mondiale, dans un village qui se meurt lentement.
Sous son immobilité apparente, on décèle en effet plusieurs symptômes
de sclérose sociale. L'autonomie locale et le repli sur soi n'y sont plus
des signes de vitalité mais de déclin. La moindre faille dans la com
plémentarité des métiers menace chaque fois l'autosuffïsance des vil
lageois. Ainsi, lors de la folie éthylique de Lange, le précédent boulang
er, ils avaient dû ou se satisfaire d'un pain frelaté ou bien faire douze
kilomètres par les chemins de montagne pour en obtenir un de meil
leure qualité, et qu'ils mangeraient de toute façon rassis au bout de
quelques jours (p. 43). Le déclin de la vitalité collective se remarque
encore dans le respect exagéré de l'étiquette et l'absence de communic
ation. En effet, le village s'accroche à des marques de politesse héri
tées de l'Ancien Régime. Ces formules désuètes tracent une frontière
entre les « élites » et la masse des paysans. Dans le premier groupe, on
compte le curé, l'instituteur et, au-dessus d'eux, le maire du village. Sa
supériorité, il ne la tient pas de ses fonctions administratives mais de
ses attaches à la France traditionnelle. Il répond au nom de Castan de
Venelles, fait sonner bien clair son titre de marquis et cite Virgile dans
le texte pour l'édification du peuple. Le se présente lui-même
comme « chef d'escadron à la retraite mais paillard en activité »
(p. 48). De fait, il entretient dans son château trois ou quatre demois
elles de petite vertu, « pour le plaisir de [ses] vieux jours et le déver
gondage de [ses] bergers » (p. 49). Lorsque le village évoque les « nièces »
de son maire, l'ombre de Barbe-Bleue plane sur la communauté. Ces
demoiselles n'apparaissent pas dans le film mais elles forment une
présence dont le caractère obsédant et répétitif est le signe d'un manq
ue. La communauté en parle d'autant plus volontiers qu'elle n'a pas
de femmes. A l'exception d'Hermine, la jeune serveuse du café, les
seuls êtres féminins qu'on y rencontre sont des enfants ou des bigotes
qui ne demandent qu'à lapider la femme adultère. Monsieur le mar
quis jouit donc d'un monopole sexuel qui n'est pas sans rappeler
l'antique droit de cuissage, puisqu'il dispose d'un cheptel féminin qui
contraste avec le manque des villageois. Son exemple n'affecte en rien
la communauté, dit-il ; il ne serait même pas contagieux, à en croire
les propos qu'il tient à son confesseur avec un cynisme patelin :
La débauche n'est pas un péché gratuit ; les exemples dangereux, ce
sont les exemples à la portée de toutes les bourses ; mais les péchés
200 Impudique Aurélie
qui exigent des rentes ne peuvent se répandre que chez les ren
tiers ; or nous n'avons ici que des paysans, et, contre les dangers de
mon exemple, la Pauvreté leur tient lieu de Vertu ! (p. 53).
Cela n'empêche pas les villageois d'éprouver envers le marquis une
rancune qui ne demande qu'à se manifester. En effet, leur attitude à
l'égard des femmes est toute déterminée par cette continence obligée et
se traduit par une vénération qui se retournera très vite en une féroce
misogynie 3.
Après le marquis, les deux personnages les plus en vue dans la
hiérarchie locale sont le curé et l'instituteur. Le premier représente la
tradition. Il a pour lui le prestige attaché au costume ecclésiastique, et
le souvenir du temps où la Provence était à la fois monarchiste et
catholique. A ce titre, il reçoit à déjeuner le marquis, presque sur un
pied d'égalité. Son insistance sur l'étiquette témoigne cependant de sa
perte effective de pouvoir : il ne règne plus que sur les femmes, « crain
tives brebis [qui viennent] en cachette se réfugier auprès du Bon Pas
teur » (p. 109). Ce n'est pas que les hommes aient totalement perdu la
foi, mais ils manifestent un anticléricalisme bon teint et ont tous opté
pour les valeurs laïques 4. Le curé profitera bien de la mésaventure du
boulanger pour les ramener à une foi plus vive, mais sans guère de
résultats : aucun office religieux ne saurait les retenir durablement
quand vient le temps de la traditionnelle partie de pétanque. Si le curé
règne sur l'église, l'instituteur domine au café, autre sanctuaire de la
socialite villageoise. Lui aussi gouverne par la parole. Il est l'esprit fort
du cercle, le seul qui soit abonné au Petit Provençal dont il répand les
nouvelles au-dehors. Dès qu'un problème se pose, on attend de lui une
solution parce qu'il a de l'instruction. Curé et instituteur sont en
constante rivalité. Jeunes l'un et l'autre, ardents à propager leur foi, ce
sont deux frères ennemis qui tentent chacun de régner sur le village.
Dès qu'ils se rencontrent, ils se mesurent dans des joutes oratoires, se
renvoyant à la face qui Jeanne d'Arc, qui Renan.
Alors qu'ils devraient collaborer pour que le village accède de nou
veau à la parole communautaire, la rivalité du curé et de l'instituteur
ne fait qu'accentuer les divisions traditionnelles. Ce sont elles surtout
qui réduisent la socialite villageoise. Elles éclatent à tout propos, par
exemple lors du refus de Barnabe de tailler des ormeaux qui font de
l'ombre sur le jardin d'Antonin (p. 37-39). Il n'en faut pas davantage
pour que démarre la vendetta. Les insultes à l'honneur du groupe
familial se transmettent aux générations successives, au point que la
querelle persiste quand le motif en est perdu :
201 Jean-Marie Apostolidès
Mon pè

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