L Allemagne et le passé nazi - article ; n°1 ; vol.59, pg 211-230
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L'Allemagne et le passé nazi - article ; n°1 ; vol.59, pg 211-230

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Description

Communications - Année 1994 - Volume 59 - Numéro 1 - Pages 211-230
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 14
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Sibylle Hübner-Funk
Jean-François Poirier
L'Allemagne et le passé nazi
In: Communications, 59, 1994. pp. 211-230.
Citer ce document / Cite this document :
Hübner-Funk Sibylle, Poirier Jean-François. L'Allemagne et le passé nazi. In: Communications, 59, 1994. pp. 211-230.
doi : 10.3406/comm.1994.1900
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1994_num_59_1_1900Sibylle Hûbner-Funk
L'Allemagne et le passé nazi
La gestion de la mémoire du nazisme en Allemagne pèse lourdement
sur les relations entre générations. Etant donné la disposition très variable
à disqualifier le Reich hitlérien, les images sociales et historiques des dif
férentes générations sont si opposées qu'il est vain d'espérer qu'une entente
puisse intervenir entre elles sur les « enseignements » du passé. La pro
fonde césure, sans équivalent dans ses conséquences pour l'histoire poli
tique de l'Allemagne et de l'Europe, que représente l'accession de Hitler
au poste de chancelier du Reich allemand, le 30 janvier 1933, a durable
ment brouillé et bloqué le transfert d'expérience historique entre les
générations \ Les Allemands nés après l'écrasement de l'Etat national-
socialiste ne peuvent ni ne veulent hériter des souvenirs « authentiques »,
non censurés, des membres des classes d'âge allemandes plus anciennes
— impliqués d'une manière active et consentante dans la vie quotidienne
nationale-socialiste — , car ces souvenirs portent témoignage de l'existence
au plus haut point criminelle d'un Etat, Etat qui n'a néanmoins été massi
vement criminalise qu'après le 8 mai 1945 2. Les interdits et les tabous
qu'ont édictés et fait respecter les forces d'occupation alliées, et qui devaient
amener à une « denazification » des manières de sentir et de penser des
classes plus âgées (mais qui n'ont très souvent conduit qu'à une attitude
récalcitrante3), ont pesé de tout leur poids sur le «dialogue historico-
politique entre les générations », pour ne pas dire qu'ils l'ont complète
ment invalidé. D'innombrables malentendus et une profonde méfiance de
part et d'autre ont édifié une « barrière de contact et de communication 4 »
qui a entravé, des décennies durant, le « travail » dialogique sur la période
nationale-socialiste. Les deux bords ont ressenti cette barrière à la com
préhension et à l'entente, aussi bien dans le discours privé que public,
comme un élément extrêmement douloureux et inhibiteur. Un des enjeux
de la révolte des étudiants en 68 était de jeter une lumière publique sur
la « faute » biographique des générations concernées 5.
211 Sibylle Hubner-Funk
Même l'ancien chancelier Helmut Schmidt mentionne, dans un texte
récemment publié relatif à «son enfance et sa jeunesse sous Hitler»,
que l'impulsion à entreprendre ce travail de mémoire lui a été donnée
par son désir de faire comprendre à sa fille — née en 1947 — et à
la génération de celle-ci ce qu'avait été son rôle en tant que Scharfuh-
rer (sergent-chef) dans les Jeunesses hitlériennes de la marine de Hamb
ourg, en tant que soldat — volontaire — de la Wehrmacht allemande
et en tant qu'officier « non politique » sur le front de la Seconde Guerre
mondiale6. «On ne voit pas très clairement pourquoi tu as été aussi
longtemps un homme sans réflexion politique, un homme apolitique.
L'invocation du non-savoir et de la volonté de ne pas savoir ce qu'il
en était de la question juive est décidément une explication très courte. »
Telle est la remarque que lui a faite sa fille après avoir lu les premiè
res esquisses de ses «souvenirs politiques»7. Schmidt raconte que
cette critique l'a beaucoup affecté, car le désir de « permettre à la géné
ration suivante non seulement de porter un jugement mais aussi de
comprendre» avait été l'un des motifs principaux qui l'avaient poussé
à écrire. a
II voulait expliquer ce qu'étaient les « conditions de vie sous une dicta
ture » ayant recours « sans aucun scrupule à tous les instruments de la
mise sous tutelle et de la terreur » et ayant suscité, par ce moyen, paral
lèlement au «non-savoir», une «volonté de ne pas savoir» destinée à
l'autoprotection.
Cependant, depuis le début des années 80, les barrières, posées dans
le discours des générations de l'Allemagne de l'Ouest, à la compré
hension du contraste entre l'iniquité objective de l'État hitlérien et le
sentiment d'iniquité subjectif des « membres du peuple aryen » (au cours
des années 1933-1945) ont été de plus en plus entamées et levées.
Cela est sûrement lié à la disparition des « véritables » (c'est-à-dire enti
èrement responsables de leurs actes en raison de leur âge) auteurs des
crimes du Reich hitlérien, qui a progressivement mis fin à la répres
sion pénale spectaculaire (au sens des procès d'Auschwitz et de Maj-
danek). Cela correspond aussi au coming out de plus en plus insistant
de la génération des Jeunesses hitlériennes et de l'Union des jeunes
filles allemandes, qui, en leur qualité de témoins à la fois coupables
et innocents de l'ère hitlérienne, ressentent toujours plus fortement la
«nécessité d'établir leur histoire et leur biographie» à mesure qu'ils
avancent en âge.
Les innombrables exemples d'auteurs connus et inconnus, anonymes
ou revendiquant leurs parcours, dont les ouvrages de souvenirs arrivent
aujourd'hui sur le marché portent tantôt la marque de l'auto-justification,
tantôt celle de l'auto-accusation8.
212 L'Allemagne et le passé nazi
Ces «témoignages d'époque» se défendent pour la plupart contre
l'« autosatisfaction arrogante» des plus jeunes qui ont tendance à
condamner leurs aînés pour « ce qu'ils ont cru, fait et laissé faire jusqu'en
1945 9». Ils tiennent quitte la majorité de leurs contemporains d'une
«culpabilité» ou même d'une «culpabilité par la naissance», eu égard
aux mesures d'extermination raciale et idéologico-politiques prises par
le Reich hitlérien, c'est-à-dire le génocide systématique des Juifs, des
Sintis et des Roms, de même que les campagnes d'extermination syst
ématique en Pologne et en URSS. Ils insistent, comme Helmut Schmidt
par exemple, sur un phénomène psychosocial déterminant, la vulnérab
ilité de la jeunesse aux « tentatives de séduction politique », qui aurait
ses racines dans son «idéalisme» et dans sa «conscience du devoir» :
deux vertus fondamentales exploitées politiquement mais ressenties sub
jectivement comme «non politiques».
L'alibi du «non-politique» sous Hitler est un sujet de débat perma
nent en RFA, entre les représentants des différentes générations et frac
tions politiques. A été estimé «non politique» tout ce qui n'était pas
explicitement en rapport avec la vie du parti, par exemple la participa
tion à des manifestations de masse ou les fonctions institutionnelles assu
mées dans des organisations étrangères au parti ou indirectement liées
à celui-ci. Ainsi, l'engagement volontaire dans la Wehrmacht allemande
— comme pour Helmut Schmidt — ressortit à une décision purement
«patriotique» et en aucun cas «nazie»10.
La nécessaire réflexion sur la « mobilisation totale » en vue de la « guerre
totale » entreprise stratégiquement dès 1933 par le régime hitlérien dans
le cadre de l'« aryanisation » et de l'« incorporation à la communauté natio
nale allemande» est délibérément écartée11, bien que les objectifs éduc
atifs et militaires du national-socialisme aient été manifestes.
La production en masse de « soldats politiques du Fiïhrer 12 » endurc
is et prêts au combat a été un programme d'entraînement systémat
iquement mis en œuvre et mené à bien, auquel même les jeunes fille

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