La notion de Phrasis dans la traduction française de la Renaissance - article ; n°1 ; vol.15, pg 102-108
8 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

La notion de Phrasis dans la traduction française de la Renaissance - article ; n°1 ; vol.15, pg 102-108

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
8 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance - Année 1982 - Volume 15 - Numéro 1 - Pages 102-108
7 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 17
Langue Français

Extrait

Glyn P. Norton
La notion de Phrasis dans la traduction française de la
Renaissance
In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°15, 1982. pp. 102-108.
Citer ce document / Cite this document :
Norton Glyn P. La notion de Phrasis dans la traduction française de la Renaissance. In: Bulletin de l'Association d'étude sur
l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°15, 1982. pp. 102-108.
doi : 10.3406/rhren.1982.1301
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_1982_num_15_1_1301102
LA NOTION DE PHRASIS DANS LA TRADUCTION FRANÇAISE
DE LA RENAISSANCE
La philosophie de la traduction, notamment sa théorie, a pour but d'explici
ter les rapports et les échanges linguistiques formulés à deux niveaux principaux : celui
des langues entre elles, leurs capacités expressives réciproques, et celui des textes, les
structures exemplaires de cette expressivité plus large. Pris dans son acception moderne, le
mot «traducteur» se réfère donc à quelqu'un qui s'adonne à un travail foncièrement scrip
tural, et à l'acte de récrire un autre texte. Ce qui manque à cette définition, semble-t-il,
c'est tout un réseau de nuances sémantiques autrefois réunies dans le vocabulaire transla
tif et depuis longtemps exclues par la tendance moderne à démystifier le problème de la
traduction. Pour le XVe et le XVIe siècles, côtoyant à la fois une ère typographique nouv
elle et un passé orienté vers les articulations plus énergiques de la parole, la traduction
s'exprime dans un vocabulaire nettement dominé par les mouvements réciproques de
l'écriture et de l'oralité. Par conséquent, un terme comme interprète, s'inspirant d'une
forme latine, interpres, évoque le statut ambigu du traducteur, d'une part un interméd
iaire entre deux clients séparés par leurs langues respectives, deux interlocuteurs se par
lant au moyen d'un truchement, et d'autre part, un écrivain négociant les distances pla
nes entre deux surfaces textuelles. La notion de partage intertextuel se modèle sur le
souvenir d'un moment primitivement oral et so ni que. Chez les traducteurs et les théori
ciens français du XVIe siècle, une conscience rehaussée de cette transfiguration du texte
translatif est liée à l'histoire parallèle du terme phrasis et de ses analogues vernaculaires,
phrase et nerf.
Ces modulations sémantiques, incontestablement présentes chez les rhétori-
ciens antiques, passent par, la suite dans la refonte linguistique du XVIe siècle tout en
se rattachant au problème de la collaboration entre les textes et les langues. Suivant la
définition de Quintilien (VIII, i, 1), «ce que les Grecs appellent p bra sis, on appelle en
latin elocutio,» (1) le terme elocutio désignant à la fois une condition primaire de style
et, par sa forme verbale eloquor, une condition accessoire de la parole. Dans sa traduction
d'Isocrates (cl 5 3 3), le traducteur anglais, Thomas Ely ot,. témoigne de ces nuances en
affirmant que «the forme of speakyng, used of the Grekes, called in greeke, and also in
latine, Phrasis, much nere approcheth to that, whiche at this daie we use : than the order
of the latin tunge : I mean in the sentences, and not in the words» (2). Plusieurs éléments
relèvent de cette définition. Phrasis, nous l'apprenons encore, est une «forme de parler»,
une propriété agencée dans la structure orale et normative du langage. Toute langue,
paraît-il, est non seulement dépositaire de phrasis, mais existe en fonction de son align
ement dans un espace imaginaire domestique où les rapports entre les langues ressemblent
à une confraternité et aux proximités relatives du sang. Grâce à cette consanguinité, cha
que langue en tant que phrasis dispose de ses voies d'approche plus ou moins accessibles
à celles de ses confrères. Une fois mises en juxtaposition translative, deux langues quelcon
ques font figure d'entamer un dialogue, de s'entretenir sur des terrains parallèlement amén
agés. Pour la Renaissance, si la traduction se propose comme dialogue entre deux asiles
de phrasis, il n'en reste pas moins que toute la notion de para-phrase se trouve de proche
en proche nuancée par une acception plus figurée, une image de deux textes qui, prenant 103
corps, se matérialisent en structures d'équipollence. De là, la définition avancée par
Robert Estienne dans son Dictionarium (1531) : un paraphraste, dit-il, transfère «non
lettre pour lettre, mais sens pour sens, comme s'il parlait à proximité» {quasi iuxta lo-
quens) (3). Paraphrase se valorise nécessairement par la compagnie étymologique de sa
forme apparentée, phrase. C'est un rapport auquel Charles Estienne, frère de ce dernier,
fait allusion dans son édition de Térence (1542), affirmant que le paraphraste est celui
qui rend «le sens, la. phrase, et l'esprit d'une matière, sans contrainte du langage» (4).
Ayant par là affaire à un assemblage articulé qui déborde les seuls mots,
l'action de phrasis s'allonge pour englober une déclaration intégrée, à savoir un sens
répondant à l'élan le plus implacable de la parole : celui d'interpréter et de rendre intel
ligible l'expérience humaine. Au fond, la traduction se définit, nous semble-t-il, en raison
d'une impulsion phrastique. On ne traduit pas sans réinterpréter le monde et le monde,
ainsi que le texte, ne se rend pas intelligible sans cette démarche constitutive de l'énergie
interprétante de la parole. Ne s'agit-il pas là de nous reporter à la signification la plus
primordiale du verbe phrasein chez les Grecs, vocable comportant les fonctions complé
mentaires d'explication, d'indication, et de déclaration ? A partir de 1540 (serait-il juste
ici de mettre en cause les courants néo-cicéroniens ?), il faut signaler toute une série de
textes manifestant et affinant le problème de phrasis et les nuances relevées ci-dessus.
Les premiers textes à témoigner de ces tendances générales, bien que visant de
biais la terminologie proprement dite, montrent le chemin en exposant le rapport fonc
tionnel entre les gestes d'écriture et de traduction, rapport qui n'arrive que tardivement
dans la sensibilité des traducteurs de la Renaissance. Pierre Tolet, dans sa traduction de
Paul d'Egine (1540), recourt au terme «interpréteur» pour désigner ce qu'on appelle au
trement à l'époque «traducteur» ou «translateur». «Les interpréteurs du temps présent»,
affirme-t-il, «sont tant astrainctz aux parolles, que plustost ilz accommodent les choses
au parler, que les parolles aux choses» (5). Comme le paraphraste, Vinterpreteur se distin
gue, suivant l'étymologie du terme, par les valeurs ambiguës de celui qui s'interpose oral
ement, qui rapproche les camps adverses et qui remplit au fond une fonction herméneuti
que. Autrement dit, il incombe à Vinterpreteur d'accommoder «les parolles aux choses»,
de traduire de telle façon que la matière (res) soit sollicitée par les moyens d'articulation.
C'est ainsi que la traduction se voue par définition à un geste d'autant plus ambigu qu'il
se rapproche, comme l'a bien noté l'humaniste anglais, Laurence Humphrey, en 1559,
d'un problème appartenant à la fois aux textes entre eux et aux facultés de la perception
(6). Chez les traducteurs de la Renaissance, traduire, c'est vouloir réconcilier en somme
les écarts entre le monde et le texte.
Au fur et à mesure que ces notions continuent à se répandre sur le plan théori
que, on est conscient de faire face à une nouvelle série de corrélations renvoyant toutes à
l'acte de phrasis. Il ne suffit plus de coucher la traduction dans un vocabulaire qui se ci
rconscrit aux vains espoirs du traducteur, mais d'élargir et d'approfondir le champ cognitif
où il compte centrer son acte. Antoine Macault, dans sa traduction de Diodore de Sicile
(1541), est un des premiers traducteurs français à réunir explicitement l'action d'escripre
à celle de translater (la composition à la traduction) remarquant que «de l'ung et de l'au
tre deppend et procède une réciproque et semblable utilité» (7). Il finit par encadrer cette
idée dans une configuration spatiale où le placement et le fonctionnement des deux textes
s'incarnent sous forme de rapports dramatiques. A la place d'un traducteur, Macault p

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents