Le colonialisme : un dérapage de l idéal éducatif? - article ; n°1 ; vol.72, pg 159-174
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Description

Communications - Année 2002 - Volume 72 - Numéro 1 - Pages 159-174
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 49
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madame Alice L. Conklin
Le colonialisme : un dérapage de l'idéal éducatif?
In: Communications, 72, 2002. pp. 159-174.
Citer ce document / Cite this document :
Conklin Alice L. Le colonialisme : un dérapage de l'idéal éducatif?. In: Communications, 72, 2002. pp. 159-174.
doi : 10.3406/comm.2002.2103
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2002_num_72_1_2103Alice L. Conklin
Le colonialisme :
un dérapage de l'idéal éducatif ?
L'une des caractéristiques fondamentales de l'enseignement en France
est de convaincre ceux qui en sont chargés qu'ils exercent une action
neutre, transparente, hors de pouvoir, puisqu'ils transmettent un savoir
universel. En règle générale, on accepte que, une fois ce savoir univer
sellement acquis, les discordances humaines disparaissent, faisant place
au règne de la vertu et de la raison. Compris dans ces termes, l'enseign
ement apparaît bien comme une action bénévole doublement dépourvue
de violence : elle n'est pas fondée sur la force, et son but est d'éliminer
le recours à la force dans les futures relations sociales. Or qu'en est-il
vraiment ?
L'acte d'éduquer n'est jamais une action neutre, parce que l'école est
une de ces zones où surgit la dynamique conflictuelle, propre à toute
société, entre dépendance des autres et affirmation de soi. Nier la réalité
de cet enjeu existentiel, qui apparaît quotidiennement, c'est l'aggraver à
court terme, et compromettre à long terme le but visé : établir des rapports
interhumains sinon, harmonieux, au moins. respectueux de l'individu et
de ses droits. De plus, un rapport de force existe toujours entre celui qui
détient le savoir et celui qui ne l'a pas encore ; cela est d'autant plus vrai
en France, où règne le modèle du professeur, tout-puissant grâce à son
capital intellectuel, face à l'élève qui doit passivement recevoir les
connaissances qui lui font défaut.
Quant à l'universalité de ce savoir, nous ne sommes que trop conscients
aujourd'hui des dégâts auxquels une telle prétention peut inviter. A l'inté
rieur de la société française, le mythe de l'universalisme a certes aidé à
souder la nation et assurer le progrès des savoirs et leur diffusion depuis
la Révolution ; mais en insistant sur le fait qu'il n'y avait qu'une seule
culture humaniste possible, héritée du passé et donc infaillible, l'école
- et l'école républicaine en tête - n'a pas su prendre en compte les pro
fondes transformations d'une France qui, depuis la fin du XIXe siècle, n'a
159 L. Conklin Alice
pas cessé de s'industrialiser et d'accueillir des émigrés. Et à l'extérieur de
la France, plusieurs générations, sûres de l'universalisme de la culture
française, sont restées des impérialistes de bonne foi, n'hésitant pas à
imposer leur civilisation « supérieure », à coups d'armes si nécessaire, à
des peuples qu'elles estimaient retardataires mais dignes néanmoins d'être
colonisés - c'est-à-dire éduqués — par la « grande nation ».
En effet, les paradoxes de l'idéal pédagogique en France ont marqué
plus encore l'entreprise coloniale de la Troisième République que sa poli
tique scolaire en métropole. Il peut donc être utile, pour mieux dévoiler
et confronter ces paradoxes, de faire un tour « aux colonies » au moment
même où le libéralisme éducatif triomphait en France, c'est-à-dire à la
fin du XIXe siècle.
Gomme on le sait, l'impérialisme républicain fut en grande partie un
acte de violence approuvé par l'Etat : d'une manière sommaire, on peut
dire que la France a « pacifié » de force des peuples indigènes qui résis
taient à la colonisation. L'administration coloniale française s'appuyait
sur une série de pratiques coercitives qui violaient ses propres valeurs
démocratiques. Les colonisés furent désignés comme sujets, non comme
citoyens : ils avaient des devoirs mais peu de droits. Cela dit, l'Empire
français ne fut que rarement perçu comme étant en contradiction avec
les valeurs émancipatrices et éducatives de la République universaliste.
On parla, au contraire, d'une mission qui avait pour but principal d'élever
les peuples « enfants » d'Afrique, d'Asie et d'Océanie à la civilisation.
A l'instar de l'école, le colonialisme s'est bel et bien présenté comme une
œuvre d'éducation et' de progrès dont le contenu n'était pas à discuter ;
cette œuvre de civilisation échappait elle aussi — au moins après la
conquête initiale - à l'emploi de la force brute, et donc elle était le com
plément « naturel » de la mise en place d'une scolarisation de masse en
France. *
II est permis, bien sûr, de douter de la bonne foi coloniale professée par
tant de Français il y a un siècle, et même plus récemment. Leur discours
civilisateur n'était-il pas une façon contournée de justifier les motivations
et les pratiques plus mesquines du grand capitalisme français, les ambit
ions de certains militaires en quête d'aventures et d'avancement profes
sionnel, ainsi que les visées revanchardes • d'une France atteinte par la
perte récente de l'Alsace et de la Lorraine ? Or, même si la vision éducative
de l'impérialisme français a été cyniquement manipulée par certains indi
vidus qui en ont profité directement, il n'empêche qu'elle, et elle seule,
explique certaines spécificités — et certains avatars - de la politique offi
cielle suivie outre-mer. L'idéal pédagogique et son corollaire, la prétention
à l'universalité du modèle culturel républicain, ont inspiré dans les pos-
160 Le colonialisme : un dérapage de Vidéal éducatif?
sessions outre-mer toute une série de mesures qui ont occulté — tant pour
les administrateurs français sur place que pour le public métropolitain —
les véritables rapports de force existant entre colonisateurs et colonisés.
Rendus ainsi inconscients de la violence de base du régime colonial dont
ils étaient collectivement responsables, les gestionnaires de la colonisation
furent mal préparés aux conflits qui surgirent fatalement lorsque leurs
sujets rejetèrent, ou réinterprétèrent, la civilisation française au nom de
leurs propres valeurs.
Quelles furent donc ces mesures dites « civilisatrices » de la France, qui
constituèrent un écho lointain de certains aspects de la politique scolaire
incarnée en métropole par Jiiles Ferry ? Elles se divisent en deux catégor
ies distinctes mais complémentaires.
Premièrement, en s'appuyant sur la rhétorique de 1789 concernant le
droit d'accès aux libertés fondamentales pour tous, les Français ont estimé
qu'il était de leur devoir, en tant qu'éducateurs civilisés des peuples pri
mitifs, de libérer les indigènes des formes existantes d'oppression - que
ce soit l'esclavage, le « féôdalisme », l'ignorance, ou la maladie. Elever
ces « grands enfants » à l'âge d'homme et à une citoyenneté universelle
future passait obligatoirement par un apprentissage de la liberté indivi
duelle, déjà . accompli en partie en France grâce à la Révolution et à
l'installation définitive - enfin - des républicains au pouvoir, et auquel
l'éducation à la portée de tous (mais pas la même éducation pour tous,
comme nous le rappelle Claude Lelièvre — voir ici même, p. 141-158)
était une nouvelle garantie.
En second lieu, la France s'est donné pour devoir de poser des limites
à la coercition que l'administration coloniale était autorisée à infliger aux
colonisés, surtout au sein du système judiciaire et en ce qui concernait
l'emploi du travail forcé. Cette autocensure de la violence fut réalisée au
moyen de réglementations qui, à leur tour, créèrent l'illusion que la civi
lisation des indigènes se poursuivait dans la neutralité et la légalité, la
plus complète. Ici encore, il est légitime de faire la comparaison entre un
système colonial qui estimai

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