Le cri de Valmy - article ; n°1 ; vol.45, pg 117-155
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Description

Communications - Année 1987 - Volume 45 - Numéro 1 - Pages 117-155
39 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 13
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Georges Gusdorf
Le cri de Valmy
In: Communications, 45, 1987. pp. 117-155.
Citer ce document / Cite this document :
Gusdorf Georges. Le cri de Valmy. In: Communications, 45, 1987. pp. 117-155.
doi : 10.3406/comm.1987.1671
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1987_num_45_1_1671.-
Georges Gusdorf
Le cri de Valmy
€ Bataille » de Valmy. . ,
Image d'Epinal. En haut de la colline, devant le moulin qui la
couronne, le général Kellermann, chapeau brandi à la pointe du sabre,
se dresse sur ses étriers, et de toute la force de sa voix crie : « Vive la
nation 1 » Cri aussitôt repris par la masse des troupes rangées en bataille
derrière le commandant en chef. En ce 20 septembre 1792, le cri de
Valmy possède une valeur emblématique si puissante que Goethe,
correspondant de guerre dans l'armée d'en face et témoin de l'incident,
croit pouvoir dater de ce moment une nouvelle ère dans l'histoire du
monde. . ;
De fait, Valmy, contrairement à la légende reçue, se réduit à ce cri. Il
n'y eut pas de bataille à Valmy, à peine quelques coups de canon, pas
d'affrontement, seulement la confrontation de deux armées, l'une
refusant de céder le terrain et l'autre renonçant à le conquérir par la
force. L'envahisseur comptait que les troupes révolutionnaires se
débanderaient sans combattre. Devant la ferme contenance de ces
soldats improvisés, l'armée de Brunswick se retira sans insister davant
age. L'invocation de la « nation » avait eu une efficacité magique.
Le cri de Valmy était une première mondiale ; jamais un tel cri de
guerre n'avait retenti sur un champ de bataille. Les armées françaises du
passé avaient crié : « Saint Denis ! Montjoie ! » ou encore : t Vive le
roi ! » ; les grenadiers prussiens avaient poussé des « hourrah ! » . Mais
la nation était une idée neuve en Europe. Et l'innovation eut sans doute
une importance majeure dans cette phase initiale des opérations où la
guerre révolutionnaire est pour beaucoup une guerre psychologique. Le
slogan brandi au bout du sabre du brave général Kellermann contribue
grandement à produire le plein effet de l'intimidation.
L'invention du mot d'ordre répond à l'exigence d'une situation sans
précédent, où s'affrontent deux légitimités, la légitimité des monarchies
traditionnelles et celle du régime institué par la Révolution de France.
Extraordinaire conjoncture historique : quelques semaines avant la
journée de Valmy, à la suite des événements du 10 août 1792, le roi a été
dépossédé des pouvoirs qui lui restaient encore. Le cri de Valmy, c'est le
117 Georges Gusdorf
mot de la situation, intervenant dans les vacances de la légalité pour
combler le vide constitutionnel au sein duquel la France révolutionnaire
se trouve provisoirement suspendue. Demain, 21 septembre 1792, se
réunira la nouvelle Convention nationale, élue par le peuple français,
dont la première décision, après-demain 22 septembre, sera de procla
mer la République. La formule « Vive la nation ! » anticipe de très peu
sur le cours de l'histoire, et Goethe n'a pas tort de juger qu'elle jalonne
une inflexion décisive dans le devenir de l'humanité. Son jugement se
rencontre avec celui de la Convention elle-même ; un an plus tard, le
5 octobre 1793, elle adoptera un nouveau calendrier, destiné à imposer
au temps la discipline des nouvelles valeurs révolutionnaires. Les
rythmes traditionnels des jours, des semaines et des années sont abolis,
avec toutes les implications sacrales qu'ils perpétuaient. L'humanité
libérée de ses chaînes affirme sa maîtrise sur un devenir réduit à la
raison. Or, la nouvelle origine choisie pour l'ère républicaine, le moment
zéro de la liberté, est fixé au 22 septembre 1792, jour de la proclamation
de la République, solstice irradié, à quelques heures près, par la gloire de
Valmy. >
Avant de prendre forme dans la mémoire collective pour l'édification
des générations futures, le champ de bataille de Valmy, le champ sans
bataille, fut le face-à-face entre deux systèmes de valeurs politiques,
représentés par deux cultures militaires opposées. L'armée prussienne,
superbe instrument de guerre, est la meilleure armée d'Europe, c'est-à-
dire du monde, façonnée au prix d'un demi-siècle d'efforts persévérants
par Frédéric-Guillaume Ier, le Roi-Sergent, et son fils Frédéric II, disparu
en 1786. Une telle armée de métier, recrutée et entretenue à grands frais,
rompue aux exercices et techniques de la profession militaire, représente
un capital si précieux qu'il en est à peu près irremplaçable. Il convient
donc de ne l'engager qu'à bon escient, et à coup sûr, dans une situation
de supériorité clairement établie ; il faut aussi que la partie en vaille la
peine, et que les pertes éventuelles permettent d'obtenir des résultats
positifs. La guerre est un facteur parmi d'autres dans les calculs
politiques.
Or, au jour de Valmy, le calcul atteste que le jeu n'est pas égal. Les
généraux prussiens jugent disproportionnée la confrontation entre leurs
troupes d'élite, parfaitement entraînées, et les cohortes désordonnées,
mal équipées, de l'armée révolutionnaire. En cas de désastre, les troupes
françaises pourraient se recompléter rapidement sans trop de peine ; il
n'en serait pas de même pour les belles troupes prussiennes, si l'affaire
tournait mal pour elles. Les volontaires de l'an I, sans expérience, sans
valeur technique, seraient vite remplacés par d'autres volontaires, aussi
médiocres qu'eux, et d'un prix de revient aussi bas. La quantité
compensant la qualité, et le fanatisme révolutionnaire faisant le reste,
l'affaire risquait de se jouer à qui perd gagne.
Par la vertu de ce raisonnement d'une sage économie, la belle armée
118 ■

Le cri de Valmy
prussienne devait sortir sans dommage de la confrontation de Valmy. La
nation en armes inaugure l'ère républicaine en faisant reculer, par la
seule fermeté de sa contenance, la plus grande puissance militaire de
l'Ancien Régime. Ayant ainsi tiré son épingle du jeu, l'armée prussienne
devait survivre une quinzaine d'années encore avant de sombrer corps et
biens, face au même adversaire français, dans la catastrophe de Iéna, en
1806. Entre-temps, les volontaires républicains, les soldats de l'an II, se
seront transformés en professionnels expérimentés ; l'armée impériale
de Napoléon sera devenue un instrument technique encore supérieur à
celui mis au point par Frédéric II. Supériorité consacrée sans ambiguïté
aucune sur le champ de bataille. Mais cette fois, du côté français, on ne
criera plus : * Vive la nation !» ; on criera : « Vive l'Empereur ! »
Et, chose étonnante, sous le traumatisme de la défaite, les Prussiens à
leur tour découvriront le sentiment national. A la place de la vieille
armée anéantie, ils se donneront une armée de patriotes, qui reprendra à
son compte le mot d'ordre français de Valmy, « Vive la nation ! »
devenu, contre les armées napoléoniennes, le cri de l'Europe coalisée.
Face à l'impérialisme de la France se dressera la nation allemande,
exhortée par les Discours du philosophe Fichte. Et pareillement le
peuple tyrolien, le peuple espagnol, le peuple russe, soumis à l'occupa
tion étrangère, sentiront s'éveiller au profond de leur être l'exigence
d'une identité nationale, dont ils n'avaient pas jusque-là soupçonné
l'existence. Francs -tireurs et guérilleros, embusqués dans les bois, dans
les replis des chemins creux, derrière les rochers, feront le coup de feu
contre les isolés, les traînards, combattants de l'ombre, maquisards dont
les rangs finiront par grossir suffisamment pour défier l'ennemi en rase
campagne. L'expédition de Russie, puis à Leipzig, en octobre 1813, la
bataille des Nations consacreront la défaite et le reflux de l'envahisseur
français.
L'idée nationale, le cri de Valmy, fut la leçon de la Révolut

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