Le mariage indissoluble - article ; n°1 ; vol.35, pg 123-137
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Description

Communications - Année 1982 - Volume 35 - Numéro 1 - Pages 123-137
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 24
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Philippe Ariès
Le mariage indissoluble
In: Communications, 35, 1982. pp. 123-137.
Citer ce document / Cite this document :
Ariès Philippe. Le mariage indissoluble. In: Communications, 35, 1982. pp. 123-137.
doi : 10.3406/comm.1982.1528
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1982_num_35_1_1528Philippe Ariès
Le mariage indissoluble
Le grand fait de l'histoire de la sexualité occidentale est la persistance
pendant de longs siècles, jusqu'à nos jours, d'un modèle de mariage
contraignant, le mariage monogamique et indissoluble. Il s'oppose aux
autres modèles qui l'ont précédé à l'époque romaine, ou qui coexistent
encore avec lui dans le monde d'aujourd'hui, et qui comportent, au moins
pour l'homme, le droit de le dissoudre et de recommencer. Le mariage où
l'homme peut répudier sa femme et se remarier est sans doute le modèle le
plus répandu, le plus banal partout sauf en Occident.
L'union indissoluble, elle, apparaît au contraire comme une exception,
mais une exception vigoureuse, qui résiste toujours aux puissantes érosions
des laxismes contemporains.
Comment donc est-on passé — sans doute pendant le Haut Moyen Age — du
mariage avec droit de répudiation (au moins de la femme) à un mariage
indissoluble? Énorme question où notre culture est tout entière engagée.
Question à laquelle on ne peut pas donner de réponse certaine. On peut
cependant avancer quelques hypothèses.
Le lecteur doit s'étonner. Comment voir un problème là où l'affaire
paraît si clairet Chacun croit savoir que l'indissolubilité du mariage est une
invention du christianisme, et, sous sa forme la plus radicale, du
christianisme occidental, latin. L'Église n'a eu qu'à l'imposer par la
contrainte aux populations qui lui étaient soumises et devaient se plier à sa
loi. C'est la version commune aux ennemis comme aux partisans de
l'Église : l'indissolubilité s'installe avec le pouvoir ecclésiastique, et elle
recule après son déclin avec la déchristianisation contemporaine. Rien n'est
moins sûr que ce topos.
D'abord parce qu'une tendance à la stabilisation du mariage (stabilitas
est le mot latin qui traduit à peu près dans la langue de l'Église ancienne ce
que nous entendons par indissolubilité) apparaît à Rome avant l'influence
chrétienne. P. Veyne nous suggère que pendant les premiers siècles de notre
ère, une transformation profonde des mœurs et des valeurs avait introduit
dans le mariage romain plus de sentiment, plus d'exigence morale, plus de
valeur reconnue à sa durée, bref une morale s'était alors imposée qui
deviendra la morale chrétienne, mais qui était païenne à l'origine :
reconnaissons-y des influences stoïciennes notables. Le changement des
mentalités qui a précédé, puis accompagné et, sans doute, favorisé le
christianisme fait de cette période baptisée par H.-I. Marrou l'Antiquité
tardive (plutôt que le Bas Empire de la terminologie traditionnelle) l'une
des plus importantes charnières de notre civilisation, l'une de ses grandes
123 Philippe Ariès
mutations. Les recherches récentes ont montré qu'elle ne se ramenait pas à
l'expansion du christianisme, mais que celui-ci en fut plutôt comme
l'aboutissement.
Dans les morales de cette époque, on inclinait à reconnaître une valeur à
la stabilité d'une union qui ne dépendait plus tout à fait du caprice ni de la
volonté des époux, et en particulier du mari. Mais c'était seulement une
tendance qui n'avait aucune volonté de bouleverser tout de suite la réalité
des mœurs. Et d'ailleurs, elle ne bouleversa rien du tout.
Si on veut essayer de comprendre quelque chose à cette réalité, il faut voir
comment cela s'est passé, d'abord dans les classes aristocratiques et dans
l'Église, entre le IXe et le xir siècle. C'est pendant cette période et dans ces
milieux que le mariage chrétien occidental a été mis en place, tel que nous
le pratiquons encore aujourd'hui, sous des formes laïcisées, allégées par la
possibilité du divorce, mais fixées par le droit.
. . Pour cette exploration nous disposons de bons guides, en particulier :
G. Duby, Medieval Marriage \ et P. Toubert, La Théorie du mariage chez les
moralistes carolingiens2. Nous les suivrons.
A la fin de l'époque carolingienne, vers le Xe siècle, nous relevons très
clairement l'existence de deux modèles opposés de mariage, celui des
grands, et celui de l'Église. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le
modèle laïc est le plus facile à saisir — quoique nous le connaissions surtout
par le témoignage des clercs. Il est en effet le plus simple.
Comme à Rome, le mariage est un acte essentiellement privé : il se passe à
la maison, quoiqu'il soit aussi public en ce sens (restreint et, nous dirions,
mondain) que les époux et leurs parents sont entourés de spectateurs qui les
acclament et qui, par leur présence, témoignent de la réalité de l'acte et de
l'assentiment de la communauté. Toutefois cet acte privé/public n'absorbait
pas tout le symbolisme du mariage. Celui-ci n'avait pas le caractère
ponctuel qu'il a pris plus tard et qu'il a toujours aujourd'hui, quand une
cérémonie, un mot, une signature créent le droit et font qu'avant on n'est
pas encore marié, et qu'après on le devient aussitôt à part entière.
L'acte du mariage s'étalait sur une période de durée variable, parfois
longue, commençait avec la desponsatio, la promesse, lefœdus ou pactum
conjugale, d'où sont issues à la fois nos fiançailles et la cérémonie du
contrat, très importante chez nous jusqu'à la guerre de 1914 environ. Le
mariage était un traité engageant la foi des contractants entre deux
familles. Une famille donnait une femme, l'autre famille la recevait en
échange d'un dos, d'un douaire (donatio puellae). La dernière étape de la
période conjugale était la mise au lit des jeunes époux qui avait lieu en
public, était entourée de solennité, sanctionnée par l'acclamation des
assistants qui témoignaient ainsi de la réalité des faits. On célébrait en effet
le moment essentiel où le garçon et la fille étaient couchés dans le même lit
avec la mission d'engendrer le plus tôt possible et autant de fois que
possible. L'importance et l'urgence de la mission dépendaient de la richesse
ou de la puissance de la famille, du poids des stratégies matrimoniales et des
alliances qui en dépendaient. On peut se demander dans quelle mesure la
réalité du mariage, ainsi manifestée par sa publicité et la présence de
124 Le mariage indissoluble
témoins nombreux, ne dépendait pas de la valeur des enjeux : là où ils
étaient négligeables, il pouvait ne pas y avoir de publicité ni de cérémonie
marquante, par conséquent pas de mariage réel, mais seulement, ce qui
revenait au même, un mariage virtuel, en pointillé, dont la réalité juridique
dépendait de sa trace dans la mémoire collective. Si la trace était faible, il
était interprété comme une liaison de passage, si la trace était forte, il était
au contraire considéré comme un mariage légitime.
A l'origine, tous les prétendus mariages ne devaient pas avoir la même
valeur.
Dans les classes aristocratiques où les enjeux pesaient lourd, où le
mariage scellait des alliances, engageait dans une politique, il n'y avait
donc que des mariages réels, et ceux-ci étaient réservés aux puissants, et à
quelques-uns seulement de leurs enfants.
Le grand moment était alors le rassemblement de la parenté dans la
chambre de l'héritier de la maison, autour du lit. Le père du garçon, le
canut generis, joue le rôle d'officiant. C'est lui qui appelle la bénédiction de
Dieu sur les jeunes époux qu'on vient de déshabiller et de coucher ensemble.
Plus tard, le prêtre s'insinua dans les cérémonies pour bénir le lit,
l'encenser, l'asperger d'eau bénite. C'est sans doute la première (et la seule)
intervention ecclésiastique dans une cérémonie privée, privée parce que
familiale, et cepe

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