Le non-regard en littérature - article ; n°1 ; vol.75, pg 135-146
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Description

Communications - Année 2004 - Volume 75 - Numéro 1 - Pages 135-146
Par la mutilation que constitue la cécité, le non-voyant est un témoin privilégié de l'élaboration du regard. La littérature décline toutes les figures de la cécité, suggérant autant de figures du regard. Celles-ci émergent au gré des épisodes qui mettent en scène le non-voyant dans sa relation à Dieu, les modalités de son accès au savoir ou encore les termes de son dévoilement à autrui. Parce qu'il déstabilise et révèle tout à la fois, le non-voyant questionne la centralité du regard dans les relations humaines.
Blindness signals a lack and because of this very important impairment, the sightless becomes a special witness. Literature portrays the many faces of the blind — his relationship to God, his approach to knowledge, his openness to others — and through these appear the different aspects of looking. The blind, being both a form of disturbance and a catalytic force per se, begs the question of how central sight and looking are to inter-human relations.
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2004
Nombre de lectures 22
Langue Français

Extrait

Mme Sylvie Bressler
Le non-regard en littérature
In: Communications, 75, 2004. pp. 135-146.
Résumé
Par la mutilation que constitue la cécité, le non-voyant est un témoin privilégié de l'élaboration du regard. La littérature décline
toutes les figures de la cécité, suggérant autant de figures du regard. Celles-ci émergent au gré des épisodes qui mettent en
scène le non-voyant dans sa relation à Dieu, les modalités de son accès au savoir ou encore les termes de son dévoilement à
autrui. Parce qu'il déstabilise et révèle tout à la fois, le non-voyant questionne la centralité du regard dans les relations humaines.
Abstract
Blindness signals a lack and because of this very important impairment, the sightless becomes a special witness. Literature
portrays the many faces of the blind — his relationship to God, his approach to knowledge, his openness to others — and
through these appear the different aspects of looking. The blind, being both a form of disturbance and a catalytic force per se,
begs the question of how central sight and looking are to inter-human relations.
Citer ce document / Cite this document :
Bressler Sylvie. Le non-regard en littérature. In: Communications, 75, 2004. pp. 135-146.
doi : 10.3406/comm.2004.2147
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2004_num_75_1_2147Sylvie Bressler
Le non-regard en littérature
Par la mutilation que constitue la cécité, le non- voyant est un témoin pri
vilégié. Il révèle indirectement la complexité et la diversité d'un travail :
celui du regard et de son interminable élaboration, construction devenue si
évidente pour le voyant qu'il n'en est plus conscient. Les figures de la
cécité pourraient ainsi suggérer autant de figures du regard. C'est à cette
mise en perspective que répond le présent texte, le choix de la littérature
étant lié au fait qu'elle en décline tous les modèles.
La cécité est un thème récurrent dans la littérature moderne, tous siècles
et tous pays confondus : en témoigne la présence d'un aveugle dans des
œuvres aussi hétéroclites que la Vie de Lazarillo de Tormès, courte biogra
phie d'un auteur espagnol anonyme en 1554, Jane Eyre de la Britannique
Charlotte Brontë en 1847, Reflections sur l'État Physique et Moral des
Aveugles de la Française Thérèse-Adèle Husson en 1825, L'Aveuglement
du Portugais José Saramago en 1995, ou encore La Pitié dangereuse de
l'Autrichien Stefan Zweig en 1939.
Les récits recouvrent tous les cas de figure, de l'aveugle de naissance
(l'Aveugle dans la nouvelle du même titre de Guy de . Maupassant) au
voyant qui perd la vue définitivement (le Maître d'École dans Les Mystères
de Paris d'Eugène Sue) ou temporairement (M. Rochester dans Jane Eyre),
en passant par le non-voyant de naissance qui accède à la vue (Gertrude
dans La Symphonie pastorale d'André Gide), et sans oublier celui qui fait
semblant de ne pas voir (Michel Strogoff dans le roman de Jules Verne qui
porte son nom).
Le non-voyant peut être le héros du livre, comme Mélanie de Salignac
dans les additions à la Lettre sur les aveugles de Denis Diderot ; parfois, il
joue un rôle essentiel dans le déroulement de l'intrigue (le Mendiant dans
L'île au trésor de Robert Louis Stevenson) ; ou encore, bien que personnage
secondaire, il apporte un éclairage pertinent sur le thème central du récit
— l'épouse du docteur Condor dans La Pitié dangereuse.
Les significations que revêt le non-regard en littérature aident à circons-
135 Sylvie Bressler
crire la notion de regard en en délimitant a contrario les champs d'applicat
ion. Paradoxalement, c'est la permanence des repères dans l'évocation du
non- voyant en littérature qui fait émerger les éléments signifiants du
regard. En effet, une certaine constante s'observe dans la représentation du
non-voyant, ainsi que dans le rôle et les fonctions qui lui sont impartis,
nonobstant la date et le lieu de parution des œuvres étudiées. Tout se passe
comme si les discours qui s'élaborent autour et à propos de la cécité dans
les œuvres littéraires étaient déconnectés du contexte historique, ancrés
dans la réalité du handicap et la pérennité de ses implications tant pour le
non- voyant lui-même que pour ses interlocuteurs. Il est surprenant que la
cruauté de l'aveugle qui tire avantage d'une condition maîtrisée s'exerce de
manière similaire dans la Vie de Lazarillo, texte du XVIe siècle espagnol, et
dans L'Aveuglement, roman du XXe siècle portugais ; surprenant aussi que
la tendresse à l'égard d'une jeune fille aveugle s'exprime en des termes voi
sins dans la Lettre sur les aveugles de Diderot en 1749 et dans La Pitié dan
gereuse de Stefan Zweig en 1939. La notion de temporalité est comme
ignorée. À l'absence de perception immédiate par l'aveugle des marques
objectivement observables que le temps peut infliger aux êtres et aux
choses semble répondre une sensibilisation accrue à leurs caractères
intangibles.
La lecture transversale des textes littéraires qui font intervenir la cécité
comme argument narratif réfléchit l'image d'une infirmité invariante
perçue indépendamment des préoccupations de l'époque. La présence du
non-voyant bouleverse l'ordre établi sans le menacer toutefois : une cer
taine autonomie dans le discernement aussi bien des enjeux à venir que
des mutations sociales ou intimes se dégage alors de l'analyse. C'est ainsi
que les questionnements induits par la représentation de la cécité s'articu
lent principalement autour de trois thèmes : le lien à Dieu, le rapport au
savoir et la relation à autrui. Ces axes de réflexion pérennes sur le non-
regard font émerger en miroir les enseignements que la littérature peut sug
gérer de la notion de regard et en structurent le sens. Le lien à Dieu reflète
le regard comme perception immédiate et instantanée de l'infini ; le rapport
au savoir renvoie au regard comme émanation d'un code individuel ou col
lectif; la relation à autrui fait référence au regard comme dévoilement de
soi.
Le non- regard et Dieu.
La représentation du non-voyant en littérature fait référence à l'infinité.
Dans le livret de l'opéra Iolanta (1892) écrit par Modeste Tchaïkovski,
quand l'héroïne, ayant recouvré la vue, craint de devenir folle, le médecin
136 non-regard en littérature Le
qui l'a guérie l'adjure de regarder vers le ciel pour retrouver le Dieu auquel
elle croit dans l'infini qu'elle peut enfin contempler : elle peut ainsi s'ins
crire dans la réalité nouvelle qui est désormais la sienne. Dieu est présent à
la fois comme réfèrent du non-voyant et comme instrument de la cécité ou
de sa disparition. Le regard qui prétend tout saisir et tout voir ne s'inscrit-il
pas aussi, mais a contrario, dans une relation avec Dieu ?
Des représentants de l'Église figurent souvent dans les romans qui met
tent en scène des non-voyants. Une illustration : La Sagesse dans le
sang (1949), de Flannery O'Connor, un prêcheur aveugle est au cœur du
récit, avec cette particularité qu'il n'est pas vraiment aveugle mais qu'il
prétend l'être après avoir mis en scène et rendu publique dans la presse sa
décision de sacrifier ses yeux afin d'être plus près encore de Dieu. Les
scènes se juxtaposent : celle où l'on voit le prêcheur, Asa Hawkes, s'adresser
à la foule et la fascination que son prétendu handicap contribue à intensif
ier, celle où les coupures de presse sont relatées, celle où la supercherie
est révélée, celle où le héros, Hazel Motes, désespéré par la popularité du
prêcheur « aveugle », qui illustre bien la forme de religiosité de la commun
auté du Sud profond où il est retourné après l'armée, finit par fonder son
propre ordre, l'Eglise sans Christ. La bataille spirituelle menée par Hazel
Motes s'inscrit dans un rapport de forces inégal puisque le prêcheur, parce
qu'il se dit aveugle et se comporte comme tel avec la complicité de sa fille
dégénérée de quinze ans, est perçu plus proche de Dieu par la foule.
D

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