Le petit autre - article ; n°1 ; vol.68, pg 33-45
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Description

Communications - Année 1999 - Volume 68 - Numéro 1 - Pages 33-45
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 53
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Gérard Leblanc
Le petit autre
In: Communications, 68, 1999. pp. 33-45.
Citer ce document / Cite this document :
Leblanc Gérard. Le petit autre. In: Communications, 68, 1999. pp. 33-45.
doi : 10.3406/comm.1999.2029
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1999_num_68_1_2029Gérard Leblanc
Le petit autre
D'un dictionnaire Vautre.
Les dictionnaires, comme on le sait, ont définition à tout. C'est même
ce qu'on leur demande. Mais il est des mots dont la définition ne permet
pas de comprendre la signification. Ainsi en va-t-il pour celui d'« amat
eur » . Chaque acception vide la précédente de la signification qui y était
inscrite. Comment le lecteur pourrait-il s'y retrouver ?
Sans doute les dictionnaires ne font-ils qu'enregistrer des usages de la
langue et, quand ils intègrent une dimension étymologique, ne font-ils
que dater ces usages. Si ces usages sont contradictoires ou même incomp
atibles entre eux, on ne saurait en tenir leurs rédacteurs pour respon
sables et ce n'est pas à eux d'en analyser les implications.
D'après le Petit Robert, un amateur, c'est d'abord une « personne qui
aime, cultive, recherche (certaines choses) ». Le premier sens, et d'ailleurs
le plus répandu dans tous les dictionnaires, culmine dans la figure du
collectionneur (d'objets ou de livres rares). C'est à partir de cette figure
que le Littré se croit fondé à distinguer « celui qui aime » (sens latin
traditionnel) de l'amateur. On aime les roses en général (c'est l'exemple
choisi), mais l'amateur préfère certaines d'entre elles et, de plus, il est
capable d'en nommer chaque variété. De ce pouvoir de nomination, ne
tirerait-il pas au moins partie de son plaisir ? L'amateur ne se borne ni
à l'effusion ni à la fusion. Il met entre lui et l'objet qu'il admire une
distance où se constitue la possibilité même d'élaborer un discours esthé
tique.
La figure du collectionneur recoupe en ce point celle de l'érudit. L'éru-
dit sait nommer ce qu'il voit et peut lui attacher des mots spécialisés que
son lecteur devra apprendre à son tour. Et s'il n'est guère d'usage de la
langue qui ne soit soumis à des rapports de pouvoir, la parole définitoire
y est liée plus étroitement encore puisqu'elle consiste d'abord à assigner
33 Gérard Leblanc
une place, un rôle, une fonction, à quelque chose ou à quelqu'un. Définir
fixe un état.
La figure du collectionneur recoupe en un autre point celle de l'amateur
fortuné, à savoir celui qui dispose des moyens de s'approprier pour son
usage personnel des objets et des œuvres cotés sur le marché de l'art et
des antiquités. Est-ce son argent qui lui donne la capacité de discrimi
nation dont on lui fait généralement crédit, et cette survivrait-elle
à sa ruine ou à son désinvestissement du marché ? La réponse n'est pas
aisée à formuler.
Un deuxième sens, origine à 1680, désigne une « personne qui cultive
un art, une science, pour son seul plaisir (et non par profession) ». Cette
définition du Petit Robert utilise en fait, sans la désigner, une citation de
Jean- Jacques Rousseau, que le dictionnaire étymologique du Larousse
thématique restitue à son auteur. Mais il est possible aussi que Rousseau
se soit approprié une idée qui était déjà un lieu commun à l'époque où il
écrivait. Nous sommes alors plutôt au XVIIIe siècle. L'exemplification suit
immédiatement, en italique : « Un talent d'amateur. "Un amateur qui
barbouille des toiles le dimanche" (Sartre). »
Ainsi, l'amateur, capable d'apprécier et de collectionner les plus grands
chefs-d'œuvre, deviendrait simple barbouilleur dès lors qu'il passerait de
la réception à la pratique et entreprendrait lui-même de peindre. Il y a
là une contradiction difficile à concevoir, à moins de hasarder une expli
cation toute simple : les artistes professionnels et les marchands ont besoin
d'admirateurs et d'acheteurs fortunés et non de concurrents ou de simples
visiteurs.
La contradiction demeure néanmoins difficilement surmontable. Pein
tre du dimanche : est-ce donc cela, cultiver un art pour son seul plaisir ?
Comment peut-on goûter le meilleur d'un art et se contenter de barbouill
er des toiles,- qui plus est à l'heure de la vacance dominicale et; pourquoi
pas, après la sieste qui succède elle-même à un repas bien arrosé ? Le
plaisir de l'artiste amateur ne serait-il rien de mieux qu'un passe-temps
réductible au temps des horloges, un passe-temps qui n'empiéterait pas
sur ses autres activités, à commencer par sa vie professionnelle, et qui se
laisserait si aisément circonscrire, réduire et compartimenter ? Pourtant,
serait-ce sous cette forme dérisoirement dégradée, il est malgré tout ques
tion du plaisir de l'amateur, alors que le professionnel semble n'en éprou
ver aucun. Autre contradiction à interroger.
Il est vrai que l'exemplification suivante, relative au sport, est plus
explicite : « Athlète, joueur qui pratique un sport sans recevoir de rémun
ération directe (opposé h professionnel) ». Ainsi, ce ne serait pas le temps
qu'il consacre à son art qui différencierait l'amateur du professionnel, ce
serait le fait qu'il perçoive ou non une rémunération — il existe encore des
34 petit autre Le
athlètes amateurs et, surtout, de vrais faux athlètes amateurs à plein
temps.
Un peintre amateur n'est pas forcément un peintre du dimanche. Il est
même possible qu'il peigne jour et nuit, sa vie durant, mais il n'est pas
payé pour cela. En ce sens, il reste un « amateur », quel que soit par
ailleurs l'intérêt de sa peinture. Il semble inimaginable qu'un artiste ne
fasse pas commerce de son art. Ici comme ailleurs, c'est la relation au
marché qui importe et qui l'emporte. Où l'on constate que les définitions
des dictionnaires renvoient, comme il est logique, à l'organisation de la
société, même si le rapport à l'argent est davantage masqué pour l'art et
peut s'énoncer plus ouvertement pour le sport, activité de moins grand
prestige culturel.
Un dernier sens, qualifié de « péjoratif », porte le coup de grâce à
l'amateur pratiquant : « Personne qui exerce une activité de façon négli
gente ou fantaisiste. => dilettante. Travailler en amateur. »
Le Littré oppose de la même façon l'amateur qui exerce son goût sur
les œuvres d'autrui (« celui qui a un goût vif pour une chose. Un amateur
de peinture, de musique ») à celui qui pratique : « celui qui cultive les
beaux-arts sans en faire sa profession. C'est un amateur distingué ». Le
terme « distingué » n'est pas désobligeant, du moins dans certains
milieux, et le Littré ne propose pas d'exemple à la Sartre. Néanmoins, la
frontière entre la distinction et la médiocrité est bien mince, comme en
témoigne le troisième sens attribué au mot par ce même dictionnaire :
« En mauvaise part. C'est un amateur, c'est un homme d'un talent médioc
re. » Mais comment tracer une ligne de démarcation entre la « bonne »
et la « mauvaise » part, entre l'amateur distingué et l'amateur médiocre ?
Dans quelles conditions la distinction bascule-t-elle dans l'absence de
talent ? Seule l'idée de rémunération semble à même d'écarter ces délicats
jugements de valeur. Il n'y a pas de professionnel distingué et de profes
sionnel médiocre.
La- rémunération suffit-elle à caractériser un artiste ou un écrivain
professionnel ? Non, un autre critère intervient. Ainsi, précise le Petit
Robert, « l'écrivain professionnel est une personne de métier (par oppos
ition à amateur) ». La profession débouche sur le métier et, pour certains
auteurs, un romancier professionnel se reconnaît précisément à son
métier. Et de citer l'écrivain André Maurois à l'appui de cette définition :
« II y a toujours, dans la composition d'un roman par un professionnel
expérimenté, une part de métier. » Mais comment évaluer, quantitative
ment et qualitativement, cett

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