Les brocards de Loki et la toile d Arachné - article ; n°1 ; vol.13, pg 439-450
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Description

Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens - Année 1998 - Volume 13 - Numéro 1 - Pages 439-450
Les brocards de Loki et la toile d'Arachné (pp. 439-450)
Le nom suédois de l'araignée évoque celui du dieu Loki, le pernicieux meurtrier de Baldr. Plusieurs arguments plaident contre la thèse d'une simple coïncidence : non seulement le comportement cruel du trickster nordique s'accorde avec celui de l'insecte, mais ils possèdent le même type d'intelligence rusée, très comparable à la métis des Grecs et qui se cristallise dans les mailles du filet inventé par Loki ou de la toile que tissent les araignées. Plus singulière cependant est l'articulation dans les deux cultures de représentations a priori hétérogènes ; un animal habile à tendre des pièges ; une poésie satirique qui prend les dieux pour cibles de ses brocards. Le mythe d'Arachné les conjoint et permet ainsi de conforter l'hypothèse d'une liaison parallèle entre le railleur de la Lokasenna et l'araignée en pays Scandinave. La structure ainsi révélée éclaire peut-être aussi certains aspects de l'épisode des « Amours d'Ares et Aphrodite » dans l'Odyssée.
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 61
Langue Français

Extrait

Bernard Mezzadri
Les brocards de Loki et la toile d'Arachné
In: Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens. Volume 13, 1998. pp. 439-450.
Résumé
Les brocards de Loki et la toile d'Arachné (pp. 439-450)
Le nom suédois de l'araignée évoque celui du dieu Loki, le pernicieux meurtrier de Baldr. Plusieurs arguments plaident contre la
thèse d'une simple coïncidence : non seulement le comportement cruel du trickster nordique s'accorde avec celui de l'insecte,
mais ils possèdent le même type d'intelligence rusée, très comparable à la métis des Grecs et qui se cristallise dans les mailles
du filet inventé par Loki ou de la toile que tissent les araignées. Plus singulière cependant est l'articulation dans les deux cultures
de représentations a priori hétérogènes ; un animal habile à tendre des pièges ; une poésie satirique qui prend les dieux pour
cibles de ses brocards. Le mythe d'Arachné les conjoint et permet ainsi de conforter l'hypothèse d'une liaison parallèle entre le
railleur de la Lokasenna et l'araignée en pays Scandinave. La structure ainsi révélée éclaire peut-être aussi certains aspects de
l'épisode des « Amours d'Ares et Aphrodite » dans l'Odyssée.
Citer ce document / Cite this document :
Mezzadri Bernard. Les brocards de Loki et la toile d'Arachné. In: Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens. Volume 13,
1998. pp. 439-450.
doi : 10.3406/metis.1998.1092
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/metis_1105-2201_1998_num_13_1_1092'
les Brocards de loki et la toile d'Arachné
Ε una zinevra, « c'est une zinevra » [le mot désigne la
plupart du temps une araignée du type tarentule], se
dira d'une femme à la langue venimeuse, méchante,
mais pas sotte, plutôt « fine mouche », comme disait
une de nos informatrices, qui connaît le poids du
signifiant...
Dans son étude consacrée au dieu Scandinave Loki, parue en 1948, puis
enrichie et remaniée en 1986, Georges Dumézil propose une interprétation
de ce personnage fondée sur la comparaison indo-européenne, notamment
avec le héros ossète Syrdon2 ; avant de présenter la nouvelle lecture du
dossier qu'autorise sa méthode, il rassemble en un premier chapitre tous les
éléments de celui-ci3. Parmi les divers documents réunis, et qui vont des
récits complexes aux simples locutions, figure l'information suivante : « En
Suède, l'araignée est appelée locke, lock et la toile d'araignée lockanat,
lockasnara - noms qui ont peut-être un rapport avec Loki4 ». Sauf erreur de
notre part, cette éventuelle connexion étymologique entre Loki et
l'araignée, que Dumézil doit à H. Celander5, n'est pas exploitée dans la suite
de l'ouvrage, sans doute en raison de son caractère douteux, que souligne la
mise en valeur du peut-être.
Il ne serait pas difficile pourtant de puiser dans les riches aventures du
trickster nordique afin de justifier cette association, dont il importe peu de
1. Max Caisson, « Le four et l'araignée. Essai sur l'enfournement thérapeutique en
Corse », Études corses, 5, 1975, pp. 79-105.
2. Georges Dumézil, Loki, Paris, 1986.
3. Op. cit., pp. 15-59.
4. Op. cit., p. 59
5. Ibid., note 6 (H. Celander, Lokes mystika Ursprung, dans les Forhandlingar de la
Société de Linguistique d'Upsal, 1906-1909, Upsal, 1911). BERNARD MEZZADRI 440
savoir si elle correspond à une véritable liaison étymologique ou s'il s'agit
d'un jeu de mots entraîné par la proximité phonétique des deux termes. Le
comportement de l'animal présente en effet des traits immédiatement
constatables qui font écho au caractère et aux aptitudes attribués à Loki. La
cruauté tout d'abord : redoutable prédateur, l'araignée capture ses victimes
et les met impitoyablement à mort quand elle les tient à sa disposition ; de
même l'inflexible Loki, entre autres forfaits de moindre envergure, fait périr
par la main de l'aveugle Hodhr celui qui représentait le plus grand espoir des
dieux, le magnifique Baldr6, et non content d'avoir été le concepteur de ce
crime odieux, il y met un comble en empêchant in extremis la résurrection
de sa victime : il suffisait pour que le jeune dieu pût quitter les enfers et
revivre que toute la création le pleurât ; sous la forme d'une vieille sorcière
ignorante de l'amour, Loki refuse de verser la moindre larme : Baldr restera
chez les morts7.
A cette méthodique méchanceté, trop générale encore pour suffisamment
expliquer une association symbolique, on ajoutera la subtilité rusée que
déploient tant Loki que son double animal présumé pour s'emparer de leurs
victimes : l'araignée tisse sa toile invisible où se laissent enfermer sans y
prendre garde les insectes qu'elle dévorera ; Loki cause la mort de Baldr
indirectement, d'une part en décelant en un recoin du monde le seul être,
une pousse de gui minuscule, qui n'a pas juré d'épargner Baldr, d'autre part
en armant de cet instrument apparemment inoffensif la main de l'innocent
et aveugle Hodhr et en guidant son coup : ainsi Loki n'est-il pas le meurtrier
« par la main », mais seulement celui « par intention ». Chez l'animal
comme chez l'homme, on constate donc le recours à une procédure
détournée, la complexe préparation d'un piège, concret mais presque
invisible dans le cas de l'araignée, ourdie de subtils préparatifs, dont
l'enchevêtrement ne laisse à la victime aucune chance d'échapper. Ici et là,
la cruauté se manifeste au moyen d'un guet-apens ou d'une intrigue
sophistiqués. A voir le réseau serré dans lequel Baldr est au bout du compte
emprisonné et qui le condamne à un trépas irréversible, on est tenté comme
le fait peut-être la langue suédoise de parler de « toile de Loki ».
Reste la distance du concret à l'abstrait qui sépare le piège du dieu de celui
de la bête : elle peut être réduite jusqu'à s'effacer quasiment si l'on songe à
la manière dont les anciens Scandinaves contaient la capture et le châtiment
de Loki, puni par les autres dieux pour le crime que nous venons d'évoquer.
Le dieu rusé possède dans ses compétences des aptitudes qui relèvent de la
6. Op. cit., pp. 35-42.
7. Op. cit., ibid. BROCARDS DE LOKI ET LA TOILE D' ARACHNÉ 44 1 LES
magie et notamment le don de métamorphose, et c'est sous la forme d'un
saumon qu'il se cache à ses poursuivants. Mais - réversibilité caractéristique
elle aussi de ce « type mythologique » - ce poisson est aussi l'inventeur du
filet de pêche ! Il sera ainsi l'artisan de sa propre perte. Voici la manière
dont la Gylfaginning raconte cette péripétie8 : « Une fois qu'il [Loki] était
dans sa maison, il prit du fil de lin et en tressa des mailles, comme sont faits,
depuis lors, les filets. Du feu brûlait devant lui. Il vit alors que les Ases [ses
poursuivants] étaient proches de lui, - car Odhinn, du haut de la Hlidskjolf,
avait vu où il était. Il bondit aussitôt dehors et s'élança dans l'eau, après
avoir jeté le filet dans le feu. Quand les Ases arrivèrent à sa maison, le
premier qui entra fut le plus sage de tous, qui s'appelle Kvasir ; et lorsqu'il
vit dans le feu la cendre blanche que le filet avait faite en brûlant, il
remarqua que ce devait être un moyen de prendre les poissons et il le dit aux
Ases ». Ce fantôme de filet, exténuation ultime et seulement perceptible par
le plus subtil des Ases, peut être considéré comme le dernier état, à mi-
chemin entre l'instrument concret qui se caractérise déjà par son aptitude à
n'être pas repéré par la victime qui doit venir s'y prendre et le concept
abstrait, pure forme intellectuelle, idée de filet ou plus généralement idée de
ruse. Cette trace ou cette épure suffit à trahir Loki, qui autorise la
confection d'un nouvel ustensile grâce auquel l'avatar salmonide sera péché.
Le commentaire est inutile : on aura remarqué chemin faisant que Loki
apparaît dans cet épisode comme l'inventeur malheureux d'un piège dont
l'aspect et le mode d'emploi font un analogon assez exact de la toile
d'araignée - et le glissement de l'un à

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