Les champignons sauvages - article ; n°1 ; vol.76, pg 83-107
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Communications - Année 2004 - Volume 76 - Numéro 1 - Pages 83-107
Cet article étudie la façon dont la recherche scientifique a mis en culture certains champignons saprophytes et est parvenue à piloter la présence et la fructification de champignons mycorhiziens dans des sortes de vergers. Conjointement, il s'est révélé que le champignon de Paris, que l'on croyait issu d'une mutation due à sa domestication, existait à l'état sauvage. Des champignons ont ainsi passé la frontière du sauvage et du domestique quand d'autres se sont installés dans un entre-deux.
In this paper, we examine how scientific research came to domesticate mushrooms : some saprophitic mushrooms are produced in greenhouses, and one can now promote the fructification of some other edible fungi in sorts of myconhizal orchards. At the same time, reaserchers discover that French mushrooms live in a wild state, whereas one believed that they descended from a genetic mutation joined to their domestication. Thus, some mushrooms went beyond the boundaries of wilderness and domestication while others became situated in between the two.
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2004
Nombre de lectures 32
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Mr Raphaël Larrère
Les champignons sauvages
In: Communications, 76, 2004. pp. 83-107.
Résumé
Cet article étudie la façon dont la recherche scientifique a mis en culture certains champignons saprophytes et est parvenue à
piloter la présence et la fructification de champignons mycorhiziens dans des sortes de vergers. Conjointement, il s'est révélé
que le champignon de Paris, que l'on croyait issu d'une mutation due à sa domestication, existait à l'état sauvage. Des
champignons ont ainsi passé la frontière du sauvage et du domestique quand d'autres se sont installés dans un entre-deux.
Abstract
In this paper, we examine how scientific research came to domesticate mushrooms : some saprophitic mushrooms are produced
in greenhouses, and one can now promote the fructification of some other edible fungi in sorts of myconhizal orchards. At the
same time, reaserchers discover that French mushrooms live in a wild state, whereas one believed that they descended from a
genetic mutation joined to their domestication. Thus, some mushrooms went beyond the boundaries of wilderness and
domestication while others became situated in between the two.
Citer ce document / Cite this document :
Larrère Raphaël. Les champignons sauvages. In: Communications, 76, 2004. pp. 83-107.
doi : 10.3406/comm.2004.2160
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2004_num_76_1_2160Raphaël Larrère
Les champignons sauvages,
nouvelles figures du domestique
II y a des gens qui, pour rien au monde, n'accepteraient de manger des
champignons sauvages, mais n'éprouvent pas le moindre dégoût pour les de Paris. C'est une attitude assez rare en France, et très
inégalement répartie, mais presque systématique en Grande-Bretagne, et
fort répandue aux États-Unis. Le puritanisme s'est toujours méfié de ces
excroissances charnues qui entrent en érection au moindre orage et dont
certaines exhibent des formes indécentes. Il y a, parmi les champignons
que l'on trouve dans la nature, des espèces toxiques (dont certaines mort
elles) ; d'autres ont des vertus hallucinogènes, et quelques-unes sont pré
sumées aphrodisiaques. Par chance pour les individus qui soupçonnent
tous les champignons sauvages de ces vertus peu recommandables à leurs
yeux, les catégories étaient particulièrement bien tranchées en Europe
occidentale (et de même aux Etats-Unis)... du moins jusqu'à ces dernières
décennies.
Le seul champignon largement cultivé en Occident était le champignon
de Paris (Agaricus bisporus), dit encore champignon de couche ou champi
gnon de fumier ifrench mushroom dans le monde anglophone). On le pouv
ait acheter frais chez tous les marchands de légumes, en conserve, sur
gelé ou en plats cuisinés dans toutes les grandes surfaces. Une gamme de
champignons sauvages,' variable selon les régions, était appréciée par les
amateurs, qui, s'ils n'étaient pas en mesure de les cueillir, eux-mêmes,
pouvaient les acquérir chez des marchands spécialisés, ou les déguster
dans les « bons restaurants ». Remarquons d'abord qu'il ne s'agissait pas
des mêmes espèces. On considérait que le champignon de Paris était une
espèce nouvelle due à une mutation de l'agaric champêtre {Agaricus cam-
pestris), ou rosé des prés, associée à - ou provoquée par — la domesticat
ion. Ensuite, il ne s'agissait pas des mêmes filières de mise à la disposi
tion des consommateurs. Côté domestique, il y avait de grandes firmes
(aujourd'hui, multinationales) spécialisées dans la production de blanc*.1
83 Raphaël Larrère
(c'est-à-dire de souches de mycélium* sélectionnées destinées à inoculer
les substrats), des entreprises de compostage* (fabrication du substrat à
partir de paille et de différents sous-produits de l'agriculture), des product
eurs (allant des petites « caves » à de vastes installations en serre, en pas
sant par les grandes unités installées dans d'anciennes carrières), des
conserveries, des cartels intégrant ces différents niveaux, enfin tout un
réseau de grossistes et de détaillants. Côté sauvage, il y avait d'abord une
importante autoconsommation. Parallèlement, un nombre variable de
cueilleurs vendaient leurs récoltes de façon plus ou moins régulière ; des
« leveurs » locaux (souvent des commerçants de village disposant de
camionnettes) rassemblaient ces apports et les livraient à quelques « gros
sistes expéditeurs ». Ces entrepreneurs polyvalents (ils s'intéressaient
aussi aux autres produits de cueillette : myrtilles, baies sauvages, fleurs,
lichen) approvisionnaient des conserveries et des grossistes spécialisés.
Pour satisfaire une demande croissante d'amateurs qui ne pouvaient pas
se libérer à la saison des champignons, ces « expéditeurs » sont devenus,
dès les années 1980, importateurs, ce qui leur a permis de faire pression
sur les prix d'achat lors des années de faible pousse ?. La consommation
de champignons sauvages s'est alors développée, grâce aux importations
en provenance des pays de l'Est 3, du Chili ou du Canada. «
Ni les mêmes espèces, ni les mêmes acteurs, ni les mêmes mangeurs :
voici des domaines bien confortablement distincts. Mais cette répartition
se trouve subrepticement subvertie depuis une trentaine d'années, et le
sera, sans doute, de plus en plus. La sphère domestique a recruté des
champignons jadis sauvages : entre la mise en culture des uns et le simple
pilotage de la présence et de la fructification des autres, bien des figures
intermédiaires sont apparues entre sauvage et domestique; Inversement, il
s'est avéré que le champignon de Paris — espèce cultivée par excellence —
était aussi une espèce sauvage, et l'était bien avant d'être domestiqué. On
compte même sur ces souches sauvages pour enrichir de caractères inté
ressants (pour le producteur ou le consommateur) les rares souches et les
hybrides* cultivés dont disposent les entreprises de blanc. Comment tenir
encore les frontières lorsque, de part et d'autre, passent ainsi des contre
bandiers?
C'est le récit de ces deux itinéraires que je* voudrais schématiser ici,
après les avoir replacés dans une perspective historique. J'utiliserai, pour
ce faire, une enquête effectuée entre octobre 1991 et décembre 1992 (avec
un complément en 1994),1 qui portait sur les laboratoires impliqués dans la
« domestication des champignons sauvages ». C'était une recherche dans
laquelle j'entendais associer des réflexions épistémologiques à une étude
de la science telle qu'elle se fait au quotidien. Cette enquête s'inscrivait
84 champignons sauvages Les
dans. un contexte conflictuel. D'abord, les spécialistes des champignons
comestibles sont aussi divisés que les sociologues, et tout aussi désireux
de se nuire. Ensuite, au début des années 1990, l'INRA, très impliquée
dans ces expériences, avait demandé aux chercheurs > engagés dans de
telles études « phytotechniques 4 » — les champignons n'étant pas des
plantes, je parlerai plutôt d'études « mycotechniques » — de se réorienter
en direction de recherches plus fondamentales (principalement en géné
tique des champignons). Certains de mes interlocuteurs avaient contesté
cette injonction : s'ils excellaient dans leur domaine — la mycotechnie —,
ils n'avaient pas les compétences requises pour réorienter leurs travaux.
D'autres, à l'inverse, s'étaient fort bien accommodés de ces nouvelles direc
tives et tendaient à considérer que leurs collègues étaient « ringards ». Les
uns et les autres m'avaient fait confiance, avaient exposé en détail ce
qu'ils faisaient, leurs ruses pour feindre de faire ce que l'institution atten
dait d'eux tout en poursuivant ce qui leur semblait être leur mission et qui
correspondait à leurs compétences. Ils avaient exposé franchement ce
qu'ils pensaient de leurs collègues, ce qu'ils appréciaient chez les uns, ce détestaient ou méprisaient chez les autres. Dans ce tout petit milieu,
mes informateurs étaient éminemment identifiables, quelles qu'auraient
pu être mes propres ruses pour protéger leur anonymat. C'est pourquoi je
n'ai jamais publié les résultats de cette recherche. Je ne. vou

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